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STATUT DES PERSONNELS ENSEIGNANTS DE L’ENSEIGNEMENT SUPERIEUR ET DE LA RECHERCHE : Le SYNADEC exige une relecture de la loi

Publié le mercredi 1er septembre 2010 à 23h07min

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Magloire Somé

Le Syndicat national des enseignants-chercheurs (SYNADEC), dans l’écrit ci-dessous, se réjouit de l’adoption et de la promulgation de la loi n°025-2010/AN consacrant le retour à un statut particulier des personnels enseignants, chercheurs et hospitalo-universitaires au Burkina Faso. Toutefois, le syndicat estime que cette loi comporte des insuffisances préjudiciables à ces personnels et demande, par conséquent, sa relecture en certains points.

L’année universitaire 2008-2009 a été une année de mobilisation massive des enseignants-chercheurs des universités publiques du Burkina Faso pour réclamer la revalorisation de leur statut fortement dégradé et qui mettait les personnels enseignants de l’enseignement supérieur et de la recherche du Burkina au ban des communautés universitaires de l’espace UEMOA. Après plusieurs mois de mouvement social, pendant lesquels l’opinion a témoigné au SYNADEC une sympathie indéniable, le gouvernement s’est enfin résolu à examiner ses doléances.

Les négociations, on le sait, ont été difficiles. Elles auraient même pu échouer au regard du manque d’accord entre les parties, mais la justesse des points de revendication du SYNADEC a conduit le gouvernement à rompre avec sa pratique habituelle du mépris et à opter plutôt pour le bon sens. Ainsi la commission tripartite, mise en place dès le mois de juillet 2009 et qui a débuté ses travaux au mois d’août suivant a achevé d’élaborer un avant-projet de loi en novembre. Le gouvernement en a fait un projet de loi introduit a l’Assemblée nationale en mars 2010. Avant son introduction à l’Assemblée nationale, le projet de loi a provoqué une onde de choc dans les milieux syndicaux universitaires en raison du fait que le gouvernement, voulant user de son droit d’amendement, avait décidé d’introduire dans la loi un article fleuve portant sur l’évaluation de personnels faisant déjà l’objet d’évaluation. Le mode même de l’évaluation tel que prévu contenait les germes de l’arbitraire et de l’injustice. Notre protestation avait amené le gouvernement à abréger l’article consacré à l’évaluation plutôt que d’en abandonner l’idée.

Lorsque l’Assemblée nationale reçut le projet de loi, sa Commission des affaires générales institutionnelles et des droits humains (CAGIDH) invita les partenaires sociaux pour les entendre. Nous avons apprécié les avancées dans l’élaboration de la loi qui corrige des vides juridiques concernant le statut des personnels de l’enseignement supérieur et de la recherche. Nous avons relevé que l’esprit d’ouverture de la CAGIDH prédisposait, par la volonté de l’écoute, à un dialogue social constructif en vue de promouvoir la paix sociale au sein de nos institutions d’enseignement supérieur et de la recherche.

A la lecture du projet de loi, devenu loi depuis son vote le 18 mai 2010, on peut exprimer une satisfaction d’ensemble sur la qualité du travail fait par la commission tripartite, avalisé par le gouvernement et adopté par l’Assemblée nationale. La loi reflète, si elle est appliquée, les vues de l’ensemble des partenaires sociaux de l’enseignement supérieur et de la recherche, parce qu’il prend en compte l’essentiel de leurs préoccupations. Nous saluons le vote de la loi n°025 portant régime juridique applicable aux emplois des enseignants-chercheurs, des enseignants hospitalo-universitaires et des chercheurs au Burkina Faso et sa promulgation par le président du Faso en la date du 10 juin 2010. Cette loi fait renaître l’esprit du décret n077/373/PRES/FPT/MF/ENC du 26 septembre 1977 portant statut particulier des personnels enseignants de l’Enseignement supérieur en Haute-Volta.

Le retour au statut particulier, une justice rendue aux personnels-enseignants

Ce statut particulier avait été supprimé par la loi 98 portant régime général applicable aux agents de la Fonction publique. Ce retour au statut particulier est une justice rendue aux personnels enseignants de l’Enseignement supérieur et de la recherche, dont la spécificité si évidente des emplois et fonctions méritait qu’on les reconnût et qu’on traitât tôt ces personnels à la juste mesure de leur particularité dans la Fonction publique. Toutefois, en examinant minutieusement le projet, nous avons pu constater qu’il comportait dans sa formulation et sa teneur des points qui nécessitaient soit quelques observations, en raison de lacunes que nous estimions devoir relever, soit carrément une relecture, afin que les parties puissent s’accorder sur la compréhension de la lettre du discours juridique.

Nous avons alors relevé ce que nous considérons comme des vides juridiques et avons proposé de les combler. Car pour nous, une loi statuant sur une catégorie de travailleurs doit être complète. Elle doit prévoir tous les cas de figures, en fonction de l’expérience et de la particularité du terrain. Les vides juridiques relevés portent sur :
- le statut de l’assistant qui, qu’on le veuille ou non, est le premier corps des fonctions universitaires. Nous avons fait comprendre que la création d’un corps des assistants, loin d’être un facteur d’abaissement du niveau de formation universitaire, en est plutôt le stimulateur, puisque la revalorisation galvanisera le jeune employé et le mettra dans les meilleures conditions d’une promotion professionnelle. La revalorisation du statut de l’enseignant-chercheur passe, commence même par la reconnaissance du statut de l’assistant. Cette reconnaissance est en même temps une valorisation du plus haut diplôme universitaire

comme condition préalable à l’évolution dans le métier d’enseignant-chercheur, d’hospitalo-universitaire et de chercheur. C’est aussi une stratégie pour rendre attrayantes les fonctions ci-dessus dénommées, en vue de résoudre le problème crucial de manque d’enseignants et de vieillissement de ce personnel. La pyramide s’inverse sérieusement, et cette tendance s’observe depuis au moins une demi-douzaine d’années ;
- le point d’ancrage des militaires hospitalo-universitaires dans les établissements de formation civils. Nous avons souhaité que le législateur les prenne en compte en précisant clairement leur statut dans les universités. Sachant qu’ils ne sont pas régis par les mêmes normes que les civils, nous avons pensé qu’il était donc indispensable de trouver le point de leur ancrage dans les établissements d’enseignement supérieur et la recherche. A ce titre, nous avons proposé l’insertion d’un article définissant leur positionnement par rapport à l’Enseignement supérieur. L’article pourrait être formulé de la sorte : "Lorsqu’ils officient dans l’Enseignement supérieur et la recherche, les militaires hospitalo¬-universitaires sont des personnels associés corps pour corps et grade pour grade à ceux de l’Enseignement supérieur et de la recherche".

Il y a des vides dans la loi

Enfin, le législateur de la présente loi a défini des typologies d’emplois, des droits et des devoirs, etc., mais n’a pas toujours tenu compte de l’équilibre entre les parties du texte juridique. Il y a des vides concernant certains champs d’application de la loi. Ainsi, si à l’article 10 on parle de la possibilité de participation à l’accomplissement des missions assignées à l’Enseignement supérieur et à la recherche de professeurs ou directeurs de recherche émérites et/ou honoraires, aucun titre, chapitre, section ou article ne prévoit la nomination des professeurs émérites, etc. D’autre part, le chapitre l du titre VI portant sur l’admission à la retraite ne prévoit rien concernant l’âge de la retraite. Il faut fixer la limite d’âge dans la loi et non dans un décret. Il est vrai que les enseignants-chercheurs, en intellectuels sont ce qu’ils sont, des hommes et des femmes incapables d’harmoniser leurs points de vue pour défendre des intérêts communs. Les représentants d’un certain syndicat du secondaire et du supérieur prétendant défendre les intérêts des travailleurs ont préféré rejoindre la position du gouvernement et la défendre âprement sans aucune honte. Néanmoins, la divergence des vues n’occultait nullement la justesse de la position des travailleurs défendue par les autres syndicats. Certaines propositions d’amendement peuvent relever du détail des faits, mais d’autres avaient une importance cardinale parce qu’elles sont relatives à des articles pouvant poser des problèmes aux conséquences incalculables dans leur application.

Un alinéa liberticide dans l’article 102

A la lecture de la loi, nous avons eu l’impression que les membres de la CAGIDH nous ont écoutés sans nous avoir entendus. Au sujet des libertés académiques et des franchises universitaires, consacrées notamment par les articles 101 et 102, nous avons pu relever un alinéa liberticide. L’article 102 stipule que : "Les enseignants-chercheurs, les enseignants hospitalo-universitaires et les chercheurs sont libres de leurs opinions politiques, philosophiques et religieuses et aucune mention faisant état de ces opinions ne doit figurer dans leur dossier individuel. Toutefois, l’expression de ces opinions doit se faire en dehors du service et avec la réserve appropriée aux fonctions exercées. (C’est nous qui soulignons). Ils peuvent notamment créer des associations ou des syndicats professionnels, y adhérer et y exercer des mandats, dans les conditions prévues par la législation relative au droit d’association." L’alinéa 2 de cet article est liberticide. Nous en avions demandé la suppression et avions fait la proposition suivante de reformulation de l’alinéa 2 de l’article 101 aux fins de garantir réellement ces libertés : "Ils bénéficient en plus, sur les lieux d’enseignement et de recherche, des libertés, privilèges et garanties traditionnels appelés franchises universitaires ou libertés académiques. A ce titre, ils jouissent d’une pleine indépendance et d’une entière liberté d’expression dans l’exercice de leur fonction d’enseignement et de leurs activités de recherche sous les réserves que leur imposent les principes d’objectivité et de tolérance."

La conséquence du maintien de l’alinéa 2 de l’article 102, c’est que non seulement il contredit l’alinéa 1 qui le précède, mais annule toutes les dispositions de libertés prévues par l’article 101. Si on le prend à la lettre, il signifie que même en dehors du service, l’expression de sa liberté doit être strictement mesurée. Il n’y a pas une université au monde où les libertés sont autant sacrifiées avec autant de contrôle autoritariste ! Il faut remonter peut-être à l’époque de l’Union soviétique pour voir de telles mesures liberticides. Pendant les négociations, la partie gouvernementale n’a eu de cesse de nous signifier que la loi est rigide et qu’on ne peut y prévoir telle ou telle disposition du statut des personnels. C’est pour cette raison que presque toutes les dispositions essentielles ont été renvoyées dans des décrets d’application. Or, on sait que dans tous les pays du monde, la loi s’amende : le débat actuel sur l’amendement de l’article 37 de la Constitution montre que si la loi revêt un caractère sacré, elle n’est pas immuable. Il faudrait donc que d’ores et déjà, l’on pense à l’amendement des articles 101 et 102 de notre statut pour nous accorder les libertés académiques et les franchises indispensables à l’exercice en toute quiétude de notre métier.

En attendant, le SYNADEC résilie son contrat de confiance avec les autorités

En attendant qu’un amendement intervienne pour nous accorder ces libertés, le SYNADEC résilie son contrat de confiance avec les autorités universitaires et le gouvernement au sujet du Service de sécurité universitaire (SSU). Compte tenu du fait que la loi nous supprime les libertés, nous ne percevons en toute légitimité dans ce Service de sécurité rien d’autre qu’une police politique instituée à des fins inavouées de répression. Du reste, le SSU a démontré, en deux ans d’existence, son inefficacité dans la protection des biens et des personnes sur les campus, en particulier de Ouagadougou : depuis son installation sur le campus de Ouagadougou, le nombre de cambriolages a augmenté. Le SYNADEC souhaite en conséquence le départ du SSU de tous les campus universitaires du Burkina Faso avant la rentrée d’octobre prochain.

Il est étonnant, sinon préoccupant, d’entendre affirmer la volonté de revaloriser le statut de l’enseignant-chercheur, de lui voir accorder même un statut spécial (après une âpre lutte, reconnaissons-le !), mais de garder un silence de mort quant au contenu des décrets d’application qui doivent accompagner la loi votée : rien ne filtre à ce sujet, et les supputations vont bon train, certaines autorités universitaires versant même dans une euphorie proche de la démagogie. Les enseignants-chercheurs, pour leur part, commencent à se demander à quelle sauce ils seront réellement mangés. De là à penser qu’il se prépare une entourloupe, qui portera très certainement sur les aspects financiers et matériels de la revalorisation, il n’y a qu’un pas qui sera certainement très vite franchi si la révélation du contenu des décrets d’application tardait encore, et si elle s’avérait décevante. Car, rappelons-le, courant mars 2009, les négociations entre le SYNADEC et le gouvernement ont buté précisément sur la question du "nerf de la guerre".

On peut s’interroger également sur le rôIe de l’Assemblée nationale dans la vie de la nation. A-t-elle entre autres pour compétence de contrôler l’action du gouvernement ou de n’apparaître que comme sa caisse de résonnance ? En plus des observations et propositions d’amendement faites par les syndicats, une analyse critique par cette assemblée des articles consacrés à la question des libertés lui aurait permis de porter les amendements nécessaires à garantir la quiétude des personnels enseignants dans l’exercice de leur métier. En lieu et place, la loi soulève, par ces articles, un problème de fond qui oblige ces personnels à la réaction.

A relire attentivement la loi, on constate que le seul amendement que l’Assemblée a porté après les éclairages apportés par les représentants syndicaux, concerne la fameuse dénomination de "chercheur-enseignant", rejetée à juste titre. Il est vrai, le président de la CAGIDH a eu l’honnêteté de nous signifier que sa commission ne pourrait certainement pas prendre en compte tous nos points d’amendement. Nous n’en pensons pas moins que sur un point aussi cardinal que celui des libertés, elle se devrait d’être plus critique vis-à-vis de la position du gouvernement, au nom du devoir de ramener la paix sur les campus. Nous nous sentons obligés de revenir sur ce point cardinal des libertés et de prendre encore l’opinion à témoin sur leur liquidation par les dispositions de l’article 102.

Pour le Bureau national du SYNADEC

Le Secrétaire général

Magloire Somé

Le Pays

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