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MOUSSA KAKA, CORRESPONDANT DE RFI AU NIGER : "Les Nigériens n’accepteront plus la dictature"

Publié le jeudi 26 août 2010 à 01h53min

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Accusé d’atteinte à la sûreté de l’Etat en complicité avec les rebelles touaregs du Mouvement des Nigériens pour la justice (MNJ), basé dans le nord du pays, Moussa Kaka, correspondant de RFI au Niger et directeur de la radio locale Saraounia, a été libéré le 8 octobre 2008 après avoir passé 384 jours en prison. Cette détention n’a pas émoussé l’engagement de ce journaliste surnommé "le prisonnier de Tandja" qui dit à qui veut l’entendre que personne ne pourra l’arrêter ou l’empêcher de parler du conflit touareg parce que, dit-il "je connais le chemin". Dans cet entretien qu’il nous a accordé à Niamey, dans les studios de sa radio, il se rappelle les chefs d’accusations retenus contre lui, fustige l’ancien président Mamadou Tandja et trace des lignes de conduite pour le futur président qui sera issu des prochaines élections.

"Le Pays" : Pourquoi avez-vous été emprisonné le 26 septembre 2007 ?

Moussa Kaka : Ce n’est un secret pour personne, j’ai été arrêté par l’ancien régime au motif que je suis le complice de la rébellion touareg. Donc une atteinte à la sûreté de l’Etat et passible d’une peine à vie ou au moins 30 ans de prison ferme. Ce n’est également un secret pour personne ici au Niger, depuis près d’une vingtaine d’années, que le seul journaliste qui parle de la rébellion touareg, qui va dans les montagnes, qui revient à chaque fois qu’il y a des troubles, c’est bien Moussa Kaka. Le pouvoir de Tandja m’a coincé parce qu’étant journaliste de RFI, on parle beaucoup de la rébellion sur cette radio internationale. Tandja préparant son affaire de 3e mandat, il a donc planifié un tas de choses et il fallait éliminer les gens un à un. J’ai été incarcéré parce que ma voix était gênante et j’ai purgé un an de prison. Je suis sorti et aujourd’hui, j’ai repris de plus belle mes activités journalistiques.

Votre statut de journaliste vous a-t-il fait bénéficier de conditions particulières de détention ?

J’étais considéré comme un criminel en prison. Toute l’année que j’ai passée en prison, j’ai vécu dans une chambre de 6 m2 avec 14 personnes, notamment de grands criminels. Toutefois, tous les prisonniers m’ont respecté jusqu’à ma sortie et il n’y a pas eu de brimade. J’ai toujours eu de la considération avec tous les détenus parce que ce sont des gens qui écoutent RFI et qui me connaissaient avant mon incarcération. Je tiens à ajouter que durant les 17 ans que j’ai travaillé pour RFI, je n’ai jamais été convoqué, en aucun moment ni par la police, ni par la gendarmerie ou la justice pour diffamation, escroquerie ou autre chose contraire à la déontologie. C’est sous le régime de Tandja que j’ai été plusieurs fois interpellé par la gendarmerie et toujours sur le sujet de la rébellion. Aujourd’hui, l’histoire a fait ce qu’elle devait faire.

Le prisonnier de Tandja, comme certains vous appellent, a finalement bénéficié d’une liberté provisoire. Cependant, une certaine opinion croit toujours que vous étiez en intelligence avec la rébellion du MNJ...

Les bandes qu’ils disent détenir ont été écoutées par des juges et leur justice. Je le précise puisqu’à l’époque, c’était leur justice et non une justice populaire. Ils avaient une justice à eux et ils ont fait écouter toutes nos conversations.

Vous accusez sans citer nommément quelqu’un...

Si c’est ce que vous voulez, je dis tout simplement que c’est Tandja, puisqu’il était le président.

Existe-t-il des preuves ? Bien sûr que oui ! Ils m’ont fait écrouer. Mais lorsque les juges ont écouté toutes les conversations que j’ai eues avec les rebelles, ils se sont rendu compte que c’était du bluff. Les deux doyens de juges qui m’ont fait libérer après avoir écouté les bandes ont été sanctionnés à cause de moi. Ils ont été affectés loin de Niamey pour m’avoir libéré, pour avoir prononcé un non-lieu deux fois.

Certains soutiennent pourtant que votre véhicule est un don du chef rebelle touareg du MNJ en reconnaissance au soutien incommensurable que vous leur aviez apporté…

Ils n’ont qu’à la montrer ; la voiture en question. Ils n’ont qu’à dire aux Nigériens et au reste du monde quel est ce véhicule. Je dirige un groupe de radios de 5 antennes FM depuis 10 ans. Si je n’ai pas le droit de m’acheter une voiture, c’est scandaleux. Je travaille pour RFI depuis des lustres, je suis payé en euros. Alors, si je ne peux pas m’acheter un véhicule ou me construire une maison, ce n‘est pas la peine. Celui qui m’a donné un franc, qu’il lève le doigt. Si Tandja m’a donné un franc pendant ses 10 ans de règne, si son Premier ministre ou un membre du gouvernement m’a donné un seul rond, qu’ils viennent le réclamer. Si j’avais pris l’argent avec eux, ils allaient le publier dans la presse internationale pendant que j’étais en prison. Que n’ont-ils pas dit sur moi ? Que Kadhafi m’a donné un véhicule dont le modèle n’existe pas au Niger. Pourtant, ce sont eux, leurs épouses et leurs enfants qui ont bénéficié de véhicules de Kadhafi, alors que Kadhafi ne me connaît pas personnellement. C’est de la calomnie et de la diffamation contre le président libyen. Mon véhicule a des traces au ministère des Transports, au service des vignettes, à la douane.

"Ils en voulaient à ma personne"

La justice vous a-t-elle blanchi ?

J’ai bénéficié d’une liberté provisoire. De crime, ils ont requalifié d’abord trois fois l’infraction en atteinte à la sûreté de l’Etat, atteinte à la défense nationale et maintenant simple délit. Cela n’a pas de sens. Le gouvernement a reculé 3 fois parce qu’il n’y a rien dans le dossier.

Des enseignements, vous en avez certainement tiré de cette incarcération ?

Durant ma détention, j’ai bénéficié d’un grand soutien aussi bien moral que matériel non seulement des confrères nationaux, africains, du monde entier et de ma "boîte" RFI. Pendant ma détention, aucun avertissement, pas même du Conseil supérieur de la communication, n’a été donné à aucune radio du groupe que je dirigeais à partir de la prison. Je pilotais tout ou presque à partir de la prison. Ils en voulaient à ma personne et puis ils m’ont réglé les comptes. Aujourd’hui, Dieu aussi leur a réglé les leurs .

La liberté provisoire dont vous aviez bénéficié depuis le 8 octobre 2008 vous oblige-t-elle à vous ramollir , ou bien les 384 jours de prison sont considérés comme un adjuvant pour vous ?

Ah non ! Si vous suivez mes reportages, je suis toujours le même. Ce qui est, je le dis. Je ne peux pas mentir et je vais toujours sur le terrain. Personne ne pourra m’arrêter et m’empêcher de parler du conflit touareg. Je connais le chemin. Le dernier coup d’Etat qui a balayé Tandja Mamadou, c’est moi qui l’ai annoncé à l’opinion nationale et internationale. De ma position ici à la radio, j’ai entendu le crépitement, j’ai sauté dans la voiture et j’ai foncé sur le lieu.

Racontez-nous un peu cet épisode …

(Hésitation, rires ...) Vous savez, ce sont mes œuvres. Les coups de canon ne me font pas reculer. J’ai dormi plusieurs fois durant la rébellion touareg au milieu des mines, des canons et des missiles à la recherche de l’information. Ce ne sont pas des 12/7 qui vont me faire reculer. Le jour du coup d’Etat, je suis allé dans la direction des tirs et j’ai informé RFI en temps réel. De 13 h , je suis rentré chez moi autour de 4h du matin.

Le temps vous a-t-il permis de mesurer l’attitude de la population à cet instant T ?

Les Nigériens ont apprécié parce que c’était un coup d’Etat salvateur contre le régime de Tandja. Celui qui l’a renversé était à la hauteur au point d’être apprécié et continue de l’être.

Votre jugement n’est-il pas bâti sur les griefs que vous avez particulièrement contre Tandja ?

Non, je ne suis pas le seul à apprécier. Je donne un point de vue. J’ai vécu, j’ai suivi Tandja, je n’ai aucun regret. Vraiment, je lui pardonne tout ce qu’il m’a fait. L’histoire l’a rattrapé malheureusement. Ce n’est pas à moi seul qu’il a fait du mal. Il y a ces millions de Nigériens à qui il a caché la famine pendant plus de cinq ans. En 2005, il a caché la famine. Il en a fait pareil en 2006 et en 2010. Mais la famine s’est révélée d’elle-même au grand jour. On a vu des Nigériens mourir, des animaux aussi. Votre pays (le Burkina) a envoyé près de 5 000 tonnes de céréales au Niger. Il aurait déclaré que le Niger serait sauvé parce que les bailleurs de fonds allaient nous aider de même que les Nigériens allaient s’aider. Ce n’est pas une prise de position parce qu’il m’a emprisonné. C’est une réalité incontournable. Je dis et je répète que je pardonne à Tandja, à Ben Omar, à M. Albadé et même au chef d’état- major qui a voulu me tuer.

Quelle est votre appréciation des multiples actions menées par la junte au pouvoir ?

Je pense sincèrement qu’elle est de bonne foi. Cette junte, si je ne me trompe, tiendra parole en organisant les élections. Tous les actes que cette junte a posés jusque-là montrent qu’elle est sur la bonne voie. Je ne sais pas ce qui se passera demain, mais jusqu’à aujourd’hui 17 juillet 2010, c’est sans faute. Même le délit de presse a été dépénalisé. Tandja a toujours fait du chantage à la presse nigérienne. Pendant ses deux mandats, il a berné la presse à la veille de chaque campagne électorale par des propos du genre : "Dès que les élections vont finir, on va dépénaliser". Malheureusement, il n’a jamais tenu parole. Fort heureusement, aujourd’hui c’est fait. Maintenant, tout journaliste qui se fera prendre pour avoir diffamé ou pour avoir été léger, c’est son problème.

Tandja avait tenu le même langage avant de s’entêter en tripatouillant la Constitution …

Je crois que les membres de la junte militaire au pouvoir sont des hommes qui ont une parole d’honneur à défendre. Dans leur propre intérêt, ils ont intérêt à faire vite et remettre le pouvoir aux civils au terme de la transition. Le temps des coups d’Etat est révolu. Celui-là est un coup d’Etat accepté par l’ensemble de la population, en tout cas plus de 90% de la population nigérienne et par la communauté internationale qui ne l’a pas beaucoup condamné parce qu’elle en a avait marre d’ailleurs.

"Le futur président a intérêt à continuer l’oeuvre de la démocratie"

Selon vous, qu’est-ce qui attend le futur président démocratiquement élu ? Le futur président a intérêt à continuer l’œuvre de la démocratie, à continuer dans le sens de la démocratie nigérienne parce que le pays revient de très loin. L’opposition, c’est elle qui va arriver demain au pouvoir, cela est certain. Je ne sais pas qui sera le futur président mais la personne a intérêt à conduire le pays comme il se doit parce que les Nigériens n’accepteront plus la dictature.

La plupart des Etats africains fêtent le cinquantenaire de leur indépendance cette année. Quelle est votre appréciation de ces jubilés d’or ?

Fêter un cinquantenaire est toujours une bonne chose. Il permettra aux gens de se remettre en cause, de faire un bilan. Qu’est-ce que nous avons fait des cinquante dernières années pour nous projeter maintenant les cinquante autres années qui viendront ? Quel rôle l’élite africaine d’une manière générale qui fête ce cinquantenaire, fera du 21e siècle ? Il faut qu’il y ait de la bonne gouvernance, beaucoup plus de liberté de la presse et que tout se joue dans la transparence totale avec le respect des règles de la Constitution, du Code électoral, du Code de la justice, de la séparation des pouvoirs. Il faut que chacun joue son rôle dans sa sphère d’influence et tout ira bien. Si Tandja ne s’était pas écarté, s’il avait respecté la Constitution, il ne serait pas aujourd’hui en prison. Aujourd’hui, il est en prison, son enfant est en prison et demain, Dieu seul sait qui de sa famille pourrait l’y rejoindre.

Comment se porte aujourd’hui la presse nigérienne ?

Dans sa globalité, la presse nigérienne se porte très bien. Il n’y a aucun journaliste en prison du fait de délit d’opinion. Aucun n’a reçu un avertissement. Tout se passe normalement et il appartient aux journalistes de prendre leur responsabilité. Quand vous écrivez quelque chose, il faut vous assumer. Quand vous dites une information, il faut vous assumer. Il ne faut pas diffamer ou insulter quelqu’un gratuitement ; allez toujours vers les faits et vérifiez. Si vous n’avez pas d’autres sources concordantes, ce n’est pas la peine de balancer l’information. Pour terminer, je dirais que j’ai foi en ce que je fais. J’ai toujours cru au "petit" boulot de journaliste que je fais. Depuis plus de 20 ans, je fais ce métier et cela me plaît. Je projette ouvrir une télévision locale qui s’appellera Saraounia TV. La demande d’autorisation est déposée et, en principe, l’accord ne tardera pas à sortir. Ça me tient à cœur et quand j’aurai réalisé cela, je bouclerai la boucle comme on le dit.

Le MNJ vous soutient-il dans ce sens ?

(Rires.) Non. C’est sur fonds propres. Je vendrai ma maison, je l’ai même mise sur le marché et je compléterai avec un prêt auprès d’une banque de la place. J’ai cinq antennes de radio. Cela me fait largement vivre et j’ai plus d’une maison.

Propos recueillis à Niamey par Serge COULIBALY

Le Pays

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