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PROCES DE LA FILIERE CAFE- CACAO EN COTE D’IVOIRE : Le grand déballage aura-t-il lieu ?

Publié le mardi 17 août 2010 à 23h50min

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Longtemps attendu, c’est finalement le 6 septembre prochain qu’aura lieu à Abidjan le procès du siècle pour les Ivoiriens : celui des anciens dirigeants de la filière café-cacao. Le mois dernier, suite à la publication des conclusions de l’enquête judiciaire sur la juteuse filière, trois journalistes avaient été poursuivis puis relaxés. Cela aurait-il eu pour effet d’accélérer la procédure ?

En tout cas, pendant un mois, le tribunal de première instance de la capitale économique ivoirienne, devrait voir défiler une trentaine d’ex-responsables dont des proches du chef de l’Etat ivoirien. « Soupçonnés de malversations massives », la quasi-totalité des responsables de la filière avaient été arrêtés en juin 2008, au cours d’une vaste opération « mains propres », entamée en 2007. Mais pourquoi avoir attendu d’être à deux pas de l’élection présidentielle pour trancher la question ? Dans quel intérêt ? Aurait-on pris le temps de faire disparaître des preuves susceptibles de déranger ? Aurait-on travaillé les suspects au corps afin de les inciter à abonder dans le sens souhaité ? Devrait-on s’attendre à voir les suspects aider à orienter le procès de manière à couvrir certains barrons du régime, et confondre d’autres personnes ? Auquel cas, il faudrait s’attendre à un procès dont le contenu sera fort édulcoré. Très rentable, la filière café- cacao constitue aussi l’un des secteurs d’activités parmi ceux qui, en Côte d’ivoire, pourvoient le plus d’emplois. Des années durant, elle a servi à alimenter la guerre. Tant du côté du pouvoir que de l’opposition. Pendant ce temps, producteurs et paysans se saignaient dans les profondeurs de la forêt ivoirienne, sans pour autant profiter des retombées de ces substances prisées à travers le monde.

Evidemment, ce n’est pas « fair-play » d’avoir "dealé" ces fonds rassemblés à la sueur du front de braves travailleurs. En général, ces derniers n’ont reçu en retour que des rapines. L’argent récolté a en fait beaucoup contribué à financer la guerre entre loyalistes et rebelles, et du même coup, plongé les ouvriers agricoles dans l’insécurité la plus totale. Longtemps, la filière a nourri les seigneurs de la guerre, entre autres, des élites devenues aujourd’hui de riches et célèbres notables tant dans leurs localités respectives qu’à Abidjan. Il est donc temps de voir s’ouvrir ce procès afin que l’on rende compte au peuple ivoirien, et que les auteurs des coups tordus paient pour leurs forfaitures. Certes, dans la forme, ce procès a une haute saveur politique. En effet, il se tiendra à deux pas de l’élection présidentielle dont on a par ailleurs mis du temps à fixer la date. Mais dans le fond, ira-t-on jusqu’au bout ? Faut-il s’attendre à des révélations après tous les subterfuges qui peuvent avoir jalonné le long parcours des investigations ? Rien ne devrait surprendre.

On pourrait jeter la pierre au régime Gbagbo en l’accusant d’avoir sciemment mis le dossier longtemps sous le boisseau. Comme tant d’autres. Cela, en attendant le moment propice pour confondre ses adversaires politiques ou régler des comptes à des indésirables du camp présidentiel. Il n’empêche, le chef de l’Etat ivoirien aura tout de même fait des efforts tendant à faire fonctionner la justice dans un pays vivant sous un régime d’exception. Ils sont rares aujourd’hui, les chefs d’Etat africains qui osent rompre avec l’impunité sous leur règne. Aussi faut-il espérer que la vérité émerge durant les joutes oratoires à venir. En particulier, justice doit être rendue à Guy-André Kiefer, lâchement assassiné alors qu’il menait des investigations en tant que journaliste sur les dessous de la filière café-cacao. Notre confrère et tant d’autres anonymes, ne doivent pas avoir rendu l’âme pour rien.

Contrairement à l’élection présidentielle, c’est la première fois qu’une date est annoncée pour le procès des anciens barons du cacao ivoirien. La date du 6 septembre devra néanmoins être confirmée par une ordonnance spéciale du président du tribunal. Etant donné les incessantes remises en cause auxquelles les autorités ivoiriennes ont habitué l’opinion, il est hautement souhaitable que ce procès se tienne effectivement à la date prévue. Le simple fait de l’envisager, constitue en soi un succès pour les producteurs de café et de cacao. Par ailleurs, ce procès incarne un certain espoir : il traduit la volonté de barrer désormais la route aux délinquants à col blanc. En effet, ces derniers ont pris en Afrique la sale habitude de piller les ressources nationales dans l’impunité totale. Ainsi, par le passé et bien avant l’ère Gbagbo, la Côte d’Ivoire a connu de nombreux scandales ayant défrayé la chronique. Mais rien ou presque n’a jamais été entrepris pour clarifier les choses et punir les coupables. Partant de ces considérations, le régime Gbagbo a du mérite.

Sans conteste, le chef de l’Etat ivoirien aura davantage de mérite si son régime parvient à faire triompher la vérité. Pour l’heure, Laurent Koudou Gbagbo et ses partisans peuvent jubiler. Ils marquent des points dans un contexte africain marqué du sceau de l’impunité, et où un rideau de fer se dresse entre le pouvoir et la justice. Toutefois, il est de l’intérêt du camp présidentiel, que ce procès aboutisse. Justice doit être rendue au peuple ivoirien. Seulement alors, le président Gbagbo pourra récolter des dividendes politiques du procès de la filière café- cacao. Par contre, il perdra beaucoup au change, si les choses tournent au vinaigre, et que la montagne accouche d’une souris.

"Le Pays"

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