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Fistules obstétricales dans le Sahel : Des maris refusent des soins à leurs femmes

Publié le lundi 19 juillet 2010 à 00h29min

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Awa a 40 ans. Elle a eu 7 enfants dont 3 décédés en bas âge. A sa troisième grossesse il y a 15 ans de cela, elle a eu des complications lors de son accouchement. Conséquence, une fistule qu’elle traine depuis lors. Elle n’arrive pas à retenir ses urines. Cette incapacité l’affecte sérieusement. Pour elle, c’est sa dignité qui est en cause. "Je n’ose plus fréquenter les gens comme je le faisais avant. Les baptêmes et les mariages me sont désormais interdits. Ce n’est pas quelqu’un qui me dit de ne pas y aller, c’est moi-même qui n’ose pas. J’ai peur d’être ridicule au milieu des gens.

Que vont penser les gens d’une femme qui mouille à tout instant son pagne ? Je préfère rester chez moi.", confie la dame Awa. Cette situation de quasi isolement dure depuis 1995. Elle a cherché partout des remèdes à son mal. Elle est allée chez des guérisseurs traditionnels qui lui ont donné des médicaments à base de plantes. Le mal n’est pas pour autant parti. Elle s’est résolue ces dernières années à se confier à la médecine moderne. Elle est allée au centre de santé le plus proche de son village, Badnogo, à 14 km de chez elle. Les infirmiers ont diagnostiqué la fistule et l’ont recommandée au projet qui s’en occupe. L’animateur du projet dans le village, Boureima Tamboura, l’a inscrite en 2009 sur sa liste de femmes victimes qu’il doit transmettre à Djibo puis à Dori où ont lieu toutes les opérations de soins des fistules.

Malgré la distance (plus de 200 km), elle est prête à y aller. Quel sacrifice ne pourrait-elle pas faire pour se débarrasser de ce mal qui l’empêche de vaquer normalement à ses occupations ? Enfin, elle pourra fréquenter ses amies, ses voisins, aller aux baptêmes, mariages et autres événements qui ponctuent la vie de son village. Malheureusement, sa joie sera de très courte durée. Quand elle a annoncé la nouvelle à son mari, celui-ci a marqué une indifférence, puis quelques jours après, il dit qu’elle n’ira pas à Dori pour se soigner. Sur le coup, elle n’y croyait pas. Elle a mis ça sur le compte de sa mauvaise humeur. Son mari est un marabout respecté du village. Il est aussi craint pour ses colères aux conséquences désastreuses. A-t-elle commis quelque chose qui n’a pas plu à son homme, ne cesse-t-elle de s’interroger ? Rien de tout cela, selon l’époux. Il estime que sa femme ne souffre pas du mal dont on parle.

Dans le village, le mari de Awa traine la réputation de marabout autoritaire. Il parle peu, mais ses décisions sont irrévocables, selon son propre petit frère. Celui-ci n’a pas accepté nous accompagner chez son grand frère de peur de subir son courroux après notre départ. C’est l’animateur du projet dans le village qui nous y a accompagné.

Lui non plus n’a pas causé longtemps avec le marabout parce que l’année dernière, le marabout lui a dit de ne pas insister sur le cas de sa femme. Sa décision est prise, Awa n’ira pas à Dori pour de prétendus soins. L’intervention des proches parents n’y ont rien changé non plus. Le marabout reste ferme. Il a dit à l’animateur du village que son épouse n’a rien. Elle ne veut pas travailler, c’est pourquoi elle a inventé cette maladie aurait-il dit. Il la considère donc comme une paresseuse. Malgré les explications de l’animateur, il est resté intraitable, très ferme sur sa décision. "Au début, je pensais qu’il craignait les dépenses qu’auraient occasionné les soins et le coût de transport Djibo-Dori. Je lui ai fait comprendre qu’il ne va rien dépenser. Mais il a persisté dans son refus en continuant à nier la maladie de sa femme. Pourtant, il sait qu’elle souffre de ça depuis des années, c’est une maladie qu’on ne peut pas cacher très longtemps, surtout pas à son mari. J’ai compris que c’était de la mauvaise foi. On ne peut pas réveiller celui qui ne dort pas ", raconte l’animateur.

Quant à Awa, elle continue de s’interroger sur les raisons de l’intransigeance de son mari. Nous avons profité du petit moment d’absence de son époux qui est allé à la prière de 14h à la mosquée, à 50m de la maison pour échanger avec elle : "Je ne suis pas la seule qui souffre de cette maladie dans le village. La femme du petit frère de mon mari est rentrée de Dori il y a trois mois où elle a subi avec succès l’opération. Elle se porte mieux aujourd’hui. Je l’envie beaucoup. J’aimerais aussi aller me soigner, n’importe où. Je vous demande de convaincre mon mari de me laisser partir.", confie presqu’en larmes Awa.

Si le cas de Awa est pathétique, il est loin d’être isolé. A Bani, 30km de Dori, une autre femme n’a pas eu la possibilité d’aller se soigner en raison du refus de son mari. Certes, elle a fini par aller à Dori, mais à deux jours de son opération, elle a perdu son père. Elle est rentrée précipitamment à Bani et elle n’est plus jamais revenue. De mauvaises langues ont dit que c’est parce qu’elle a désobéi à son époux que son père est décédé.
Ces deux cas seraient, selon plusieurs témoignages, un échantillon de toutes les souffrances qu’endurent les femmes victimes de fistules. Selon les statistiques de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), pour 100 décès maternels dans les pays en voie de développement, on compte au moins 10 femmes fistuleuses. Au Burkina, révèle la même source, il y a une à deux fistules pour 500 à 1000 accouchements et sur 100 consultations en chirurgie, on dénombre 5 à 7 fistules.

Les principales causes de cette maladie invalidante sont le travail prolongé dans la phase de l’accouchement, les accidents d’actes médicaux ou chirurgicaux, les grossesses précoces, l’accouchement non assisté par un personnel non qualifié. Les retards liés à l’évacuation et les pratiques traditionnelles favorisent également la survenue de fistules.

Par Idrissa Barry

L’Evénement

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Vos commentaires

  • Le 19 juillet 2010 à 09:19, par theo En réponse à : Fistules obstétricales dans le Sahel : Des maris refusent des soins à leurs femmes

    Le droit à la santé étant reconnu comme un des droits fondamentaux de l’homme, y a-t-il juridiquement des dispositions permettant de contraindre ses maris indignes à autoriser leurs femmes à bénéficier des soins ? Sinon, notre législation devrait commencer à y penser. Pas seulement dans le cas des fistules mais pour bien d’autres maladies y compris le VIH/SIDA.

  • Le 19 juillet 2010 à 09:53, par Barracuda En réponse à : Fistules obstétricales dans le Sahel : Des maris refusent des soins à leurs femmes

    Ce marabout est idiot et j’aurais bien voulu le contacter pr lui dire ce que je pense.Avec son role social c’est bien plus un danger pr ts que tt autre chose. Idiot !

  • Le 19 juillet 2010 à 10:49, par mackiavel En réponse à : Fistules obstétricales dans le Sahel : Des maris refusent des soins à leurs femmes

    Une fois de plus, on découvre les limites de notre système de santé. Le mari de la pauvre dame n’a aucun problème. La faute est aux agents de santé. Lorsqu’un mari désire s’impliquer dans les soins de sa femme, au lieu de l’encourager, on lui fait croire qu’il n’a rien à y faire. J’ai fait l’expérience plus d’une fois où j’ai personnellement été refoulé des salles d’imagerie médicale alors que sous d’autres cieux, c’est été jusque dans la salle d’accouchement où j’ai tenu la main de ma femme durant l’épreuve. Il faut que nos agents d santé se disent que les questions de santé ont une dimension sociale et familiale et doivent aborder les personnes sous cet angle. Peut être même qu’il faut leur enseigner cela au cours de leur formation. Tout est dans le tact.

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