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Lefourba : Qui a semé la graine de la discorde ?

Publié le jeudi 1er juillet 2010 à 00h33min

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La portion labourée du terrain querellé.

Un conflit foncier qui était en latence depuis près de cinq ans a fini par éclater à Léfourba, un village de la commune rurale de Sabcé dans le Bam. Le jeudi 3 juin 2010, bravant l’interdiction préfectorale, 5 agriculteurs ont décidé d’aller labourer l’espace mis en quarantaine. Ils sont interpellés par les forces de l’ordre et gardés à vue. Leurs partisans sont allés incendier en représailles les cases des éleveurs. C’est le début de la crise.

Ouédraogo Wendpouïré 60 ans, Ouédraogo Tibila Madi 43 ans, Ouédraogo Noufou 51 ans, Ouédraogo Lébia 38 ans et Ouédraogo Gombraogo Jean 60 ans, tous résidents à Léfourba ont été reconnus coupables d’avoir par " actes et paroles jeté un discrédit sur une décision de justice " et condamnés à un mois de prison ferme et à une amande de cinquante mille (50 000) francs CFA chacun. C’est le verdict rendu le 16 juin 2010 par le Tribunal de Grande Instance de Kongoussi dans l’affaire qui a opposé les éleveurs peulhs aux agriculteurs mossis de Léfourba. Les premiers étaient assistés par maître Farama Ambroise et les seconds par maître Zagré du cabinet Sagnon/Zagré.

Interpellés et mis sous mandat de dépôt à la Maison d’Arrêt et de Correction de Kongoussi (MACKO) le jeudi 3 juin passé, les prévenus ont comparu devant le tribunal une semaine après, soit le mercredi 9 juin. A la barre, ils ont tous reconnu avoir déposé des tas de cailloux destinés à dresser des cordons pierreux et d’avoir labouré le terrain objet du litige.
Depuis août 2006, la préfecture de Sabcé dont relève le village belligérent avait par arrêté ( du 25 août 2006 ) décidé de suspendre jusqu’à nouvel ordre, toutes exploitations champêtres sur le terrain objet de litige. Et jusqu’au moment où nous tracions ces lignes, la mesure n’avait pas été levée. Pourtant, les prévenus ont affirmé à l’audience du 9 juin qu’ils ont été autorisés par leur conseil à exploiter le terrain.

Ce que Maître Zagré lui-même a confirmé en soutenant à la même audience qu’étant entendu que le juge n’a pas donné droit à la requête en droit de propriété de leurs protagonistes, il en conclut que ce sont ses clients qui l’emportent.
Pourtant, en juin 2007, lorsque le tribunal a déclaré non fondée la demande de Diallo Boukari et autres à être déclarés propriétaires des terres objet de litige, le même tribunal s’est aussi déclaré incompétent pour connaître de la demande reconventionnelle introduite par maître Zagré requerrant le droit d’exploitation au profit de ses clients. (Jugement N° 65/2007 rendu le 29 juin 2007 par le Tribunal de Grande Instance de Kongoussi).

Les deux parties avaient du reste interjeté appel de ce jugement devant la Cour d’appel de Ouagadougou. Cela n’a pas empêché Maître Zagré de commettre un huissier de justice pour signifier aux deux parties sa lecture des décisions de justice. Dans la signification adressée à Diallo Boukari, il est écrit que "la présente notification lui est faite pour produire tous effets de droit notamment le rejet de sa demande à être déclaré propriétaire des terres objet du litige et l’obligation qui lui est faite de libérer en conséquence les lieux. "

Sur la base de ce document, les agriculteurs de Léfourba se sont ainsi sentis investis de tous les droits C’est ainsi qu’ils se sont crus autorisés à exploiter le terrain refusant même d’écouter les appels à la prudence émanant à la fois du procureur du Faso et de la police de Kongoussi. Ce comportement des agriculteurs vient s’ajouter à la frustration des éleveurs à qui il était interdit l’accès à l’eau depuis 2009 à la fois pour les hommes et le bétail.

De même, lors des campagnes de vaccination, les éleveurs n’avaient plus le droit de faire vacciner leurs enfants à Léfourba Mossi. L’objectif semblait plutôt clairement fixé depuis belle lurette : pousser les éleveurs à quitter le village. Qui a semé la graine de la division à Léfourba, un village où les communautés vivaient dans la cohésion et le partage ? Des communautés qui avaient tout en commun où agriculteurs et éleveurs mangeaient et buvaient ensemble, priaient et se soignaient ensemble. A présent, cinq chefs de familles d’agriculteurs sont en prison et vont payer des amandes ; treize cases peulhs ont été incendiées laissant 74 personnes issues de dix ménages sans abri, ni ressources.

Toutes ces personnes sont pourtant de Léfourba. En attendant, ceux qui ont commis les actes de vandalisme sont en cavale. Pour leur part, les autorités administratives et judiciaires locales ont joué leur partition. Dès le jour des évènements, 12 policiers ont pris position à l’école de Mafoulou où étaient réfugiés les fuyards et au campement peul de Léfourba et y sont restés pendant 10 jours. Le parquet a émis des convocations de justice à l’endroit des fauteurs de trouble et le CMA de Kongoussi a dépêché une équipe médicale sur les lieux. L’action sociale a évalué les dégâts. L’ONG Plan International Burkina a apporté le premier secours, avant même la nationale du secours d’urgence (CONASUR) qui y est arrivée une semaine après le sinistre.

Il faut aussi se féliciter de la réaction salutaire des villages voisins mais surtout du directeur de l’école et les populations de Mafoulou qui ont accueilli les victimes, leur ont offert gîtes et couverts. Les victimes elles-mêmes l’ont avoué, les populations de Mafoulou, mossis et peuls, ont fait preuve de solidarité à leur endroit. Ce comportement de Mafoulou montre que la crise n’est pas d’ordre ethnique mais plutôt d’ordre foncier et interne au village de Léfourba.

Diouldé Sadou Diallo


TEMOIGNAGE

Boureima et son épouse ont tout perdu

Ahmadou était là le 3 juin passé quand les agresseurs arrivaient au campement peul de Léfourba. Nous avons rencontré ce témoin oculaire de l’assaut, sur les cendres de sa case. Il nous a conté la scène.

Ahmadou Diallo : C’était jeudi soir et il goûtait un peu quand, soudain, la foule est apparue. Ils sont venus du côté nord (le quartier mossi) en courant, criant : "tuez les, brûlez les maisons". Ils étaient nombreux et armés de machettes, de haches, de fusils.

Vous dites qu’il y avait des fusils ?

Il y avait des fusils. J’en ai vu un qui en tenait. Il s’appelle Porsé (Prosper), son nom mossi c’est Pègdwindé. C’est le fils de Pègdéba.

Quel genre de fusil ?

Un fusil de chasse

A-t-il tiré ?

Il a tiré ! Il a tiré, jusqu’à ce qu’une femme enceinte qui se trouvait là, prise de panique, est tombée sur son enfant. Elle en ai tombée malade et a été évacuée au dispensaire de Nasséré.
Il y avait des enfants qui dormaient dans les cases. Nous avons trouvé que si nous ne nous sauvons pas avec les enfants, ils allaient nous tuer. Alors, nous avons pris les enfants, escalader la colline pour descendre à Mafoulou. Nous avons débouché sur l’école de Mafoulou. C’est l’enseignant là qui nous a reçus.

De ton point de vue, ils devraient être combien ?

Pas moins de 50 personnes. Sans compter les autres qui accouraient derrière le premier groupe. En repartant, ils ont croisé d’autres groupes d’insurgés qui venaient s’adjoindre à eux. Ils ont replié ensemble. Sur le chemin de retour, ils ont croisé notre conseiller qui revenait d’une réunion au CSPS de Nasséré. Ils l’ont attaqué, le blesser et gâter son vélo.

Ce sont vos cohabitants et vous êtes censés vous connaître les uns les autres. Avez-vous reconnus des gens parmi vos agresseurs ?

Oui. Nous les avons reconnus. Nous les connaissons tous (…) Baba, Hamidou dit Le gros, Porsé (Prosper), Yagada, Daniel, Issa, Hamado, Alaye Kango, Kouka dit Kouka Gnolguel, Sambo Balèdjo (teint noir), Daarè, Nassourou, Kouka le petit frère de Jean, Laissa (Blaise) dit Laissa fils de Jean, Adama Fouroundi, Baki, Moussa, leur neveu Patrice y était, Maalane Doogo et son fils Baba.

Comment était composée la foule ? Y avait-il des personnes âgées ?

Si ! Il y avait des jeunes et de grandes personnes. Par exemple celui qu’on appelle Yagada là, il a des enfants et des petits fils.

Comment vous avez été reçus à Mafoulou ?

Les femmes et les enfants ont été logés dans une maison. Et les forces de sécurité sont arrivées. Les policiers y ont pris la garde et dire que les sinistrés ne repartiront pas au campement avant que la situation ne calme. On leur a apporté la nourriture et des nattes. Mais les hommes ont dû à un moment donné repartir pour s’occuper du bétail.

Qui s’est occupé à réunir tout cela ?

C’est le directeur de l’école et le chef du village de Mafoulou. Toute la population de Mafoulou, peuls comme mossis s’est mobilisée à notre secours

Propos recueillis par Diouldé Diallo

L’Evènement

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Vos commentaires

  • Le 1er juillet 2010 à 12:01, par richard En réponse à : Lefourba : Qui a semé la graine de la discorde ?

    Monsieur le journaliste,
    Pour que l’information soit complète, il aurait fallu aussi interviewer un agriculteur. En ce moment peut être on aurait su ceux qui ont semé la graine de la discorde.

    • Le 16 octobre 2010 à 18:56, par La silgure En réponse à : Lefourba : Qui a semé la graine de la discorde ?

      Richard, t’as raison. Mais, dans le journal imprimé, il ya un encadré qui rend compte du refus total de parler de la part des agriculteurs de Léfourba Mossi. LeFaso.net aurait mieux fait effectivement de nous servir cet petit encadré qui est d’une grande importance.
      Sinon, comme ça, tous ceux qui n’ont pas eu le journal en papier ne peuvent pas se rendre compte que les agriculteurs ont eu la parole et refusé de parler. C’est important
      La Silgure

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