LeFaso.net, l'actualité Burkinabé sur le net
Proverbe du Jour : “Vous n’empêcherez pas les oiseaux de malheur de survoler votre têtе, mаis vοus рοuvеz lеs еmрêсhеz dе niсhеr dаns vοs сhеvеux.” Proverbe chinois

Pour une autre critique de cinéma

Publié le jeudi 24 juin 2010 à 02h25min

PARTAGER :                          

On entend trop souvent que le cinéma africain va mal. La critique francophone ne s’en porte pas mieux. Mimétique de la critique française, oublieuse de ses buts et maladroite dans l’analyse de son objet, elle n’est au plus qu’un discours superflu. Il lui faut se réinventer pour accompagner les cinémas naissants du continent.

Une critique mimétique

Dans Africiné, le magazine en ligne de la critique africaine, la critique du film « Un homme qui crie » du Tchadien Mahat Haroun Saleh, prix spécial du jury de Cannes 2010, est illustrative des errements ou du complexe de l’assimilé de la critique africaine. Hassouna Mansouri, même s’il avoue l’inconfort de cette posture, ne résiste à la tentation de défendre l’universalité du film et sa valeur esthétique en convoquant Sophocle, Homère, la tragédie grecque et la Bible.

Cette lecture intertextuelle aurait quelque intérêt si elle ne se limitait à trouver dans ce film la structure de la tragédie grecque et dans les personnages, des clones des héros de la Bible ou de la mythologie grecque. Cette approche européocentriste est récurrente dans la critique africaine qui pense les films à travers la grille des canons helléniques et occidentaux.

Pourtant, pas besoin de plonger si loin dans le temps et dans l’espace pour voir les figures du tragique dans un film tchadien. Aristote peut aller se rhabiller. Son Art poétique n’est d’aucune utilité ici. Ce pays de sable et de tribus éparses, coincé comme une viande sanguinolente dans la gueule d’un molosse dont le Soudan et la Libye sont les puissantes mâchoires, porte en lui-même les germes du tragique.

Les tribus tchadiennes qui s’étripent indéfiniment et le perpétuel défilé de chefs de guerre à la tête de l’Etat, semant le deuil et la mort, n’ont rien à envier à la famille des Atrides en termes de cruauté ou de fatalité ! Ce film est ancré dans la réalité tchadienne, et toute critique qui ferait l’impasse sur cette réalité tchadienne n’est qu’un discours spécieux !

Pourtant tout le discours critique africain procède de la ventriloquie. Débiter un discours d’emprunt qui passe à côté du sens, aussi à côté de son objet qu’une oraison funèbre pour célébrer une naissance.
Critique africaine ou critiques africains ?

Cette question n’est pas superflue. Car pour qu’il y ait véritablement une critique africaine il faudrait bien un cinéma africain. Osons la question ? Y a-t-il un cinéma africain ? Évidemment, mon cher Watson !dirait Hercule Poirot. Pourtant, en allant au-delà de l’évidence, on verra que cette appellation est un pis-aller.

On ne parle jamais de cinéma asiatique, ni européen, ni du continent américain, reconnaissait Paulin Soumanou Vieyra dans son essai « Le cinéma africain des origines à 1973 » paru en 1975.

Les cinématographies sont toujours nationales. Parler d’un cinéma africain, c’est reconnaître l’inexistence de cinématographies nationales sur le continent, et par conséquent de l’inexistence d’un cinéma sur le continent tout simplement.

Il existe des films faits ailleurs par des réalisateurs africains avec des équipes européennes, et des films faits en Afrique avec des équipes européennes que l’on regroupe abusivement sous l’étiquette « cinéma africain ». Dans cette logique, on mettrait Out of Africa de Sydney Pollack et Stars War de George Lucas dans le répertoire africain sans frôler le ridicule.

Comment sortir de cette impasse ?

Il faut jeter par-dessus bord tous les films dont les éléments essentiellement filmiques ne sont pas le fait des Africains, c’est-à-dire la photogénie et le montage. Ainsi, un film dont les images et le montage sont faits par des non-Africains ne devront plus être considérés comme appartenant au répertoire africain.

Cela passe par l’abandon de la mystification des Cahiers du cinéma qui ont inventé la notion d’auteur dans une entreprise collective comme le film. Même en Occident, le réalisateur comme auteur n’est pas vrai en ce sens que pour un film, le studio peut avoir recours à plusieurs réalisateurs.

Le cas de Partie de campagne de Jean Renoir monté en l’absence du réalisateur, avec des rushes d’un tournage interrompu démontre l’imposture d’attribuer un film à un auteur. Cela est plus vrai en Afrique où la plupart des films passent sur la table de montage en France tandis que le réalisateur se tourne les pouces en Afrique !

Redéfinir le film africain en évacuant l’auteur, n’est-ce pas participer à une sorte de table rase de notre cinéma ? Ne court-on pas le risque de se retrouver les mains vides, sans aucun de ses films que nous brandissons fièrement comme des chefs- d’œuvre d’Afrique ? La Noire de… Touki Bouki, Wend kuuni, Tilaï, tous perdus pour l’Afrique ?

Entre nous, cela n’est pas une grande perte, juste une chirurgie réparatrice comme l’ablation d’un sixième doigt ou d’un appendice. D’ailleurs, ces fameux chefs-d’œuvre conçus dans une logique festivalière, mis à l’affiche d’une salle aujourd’hui, ne déplaceraient pas une centaine de spectateurs…
Retrouver les vrais objets du discours critique

Nous pensons que la perte n’est pas immense et, cela nous permettra de nous débarrasser par la même occase de films prétendument africains mais bourrés de clichés racistes, insultant notre image comme Ballon d’or de Cheick Doukouré ! D’ailleurs, de nos jours, il y a des pays qui ont des cinématographies bien établies tels l’Egypte, l’Afrique du Sud, le Nigeria, le Ghana, et le Burkina Faso dans une moindre mesure.

Là, il existe des films entièrement conçus par des nationaux. C’est à ces films que doit aller la critique. Toutefois elle devra descendre de son piédestal et s’intéresser à des films qu’elle a toujours méprisés quoique ces films fassent le bonheur des publics africains. Au Nigeria, il y a les films de Nollywood et au Burkina, il faudra regarder avec moins de condescendance les films véritablement burkinabè, ceux qui sont faits de bout en bout par des techniciens burkinabè.

Bien sûr, ces films sont gauches, ils sont horribles avec leur propension à charcuter des séries télé pour en faire des longs métrages, avec leur direction d’acteurs si théâtrale, les raccords approximatifs, et le son, exécrable.

Mais cela est propre à tout cinéma naissant, semblable à l’agneau qui vient de choir du ventre de la brebis, avec ses pattes flageolantes et sa vue hésitante qui tente de se mettre péniblement debout. La critique telle la brebis doit lécher ce cinéma-là, l’aider à se mettre debout et l’allaiter à la culture du cinéma mondial. Telle devrait être sa mission.

Et pour cela, il lui faut renoncer à sa morgue et considérer que ces films sont dignes d’être des objets d’analyse. Il lui faut remiser au placard les outils surannés et s’en créer d’autres plus opératoires. Considérer par exemple la Réception du film dans l’analyse.

Si toute critique naît avec l’objet ou la création qu’elle critique comme le suggère Paulin S. Vieyra, le père de la critique, africaine, alors la critique africaine est à réinventer à la mesure des cinématographies nationales naissantes sur le continent.

Alcény S. Barry

L’Observateur Paalga

PARTAGER :                              

Vos commentaires

  • Le 24 juin 2010 à 04:41, par Par Togsba En réponse à : Pour une autre critique de cinéma

    A l’auteur, merci pour cette belle contribution. Comment utilier des parametres etrangers pour evaluer une done locale ? Il souligne le trist constat que les africains et pretendu-africains, veulent porter des "lunettes" non adaptees pour lire des pages nationales : erreur. Il est temps que nous ayons nos propres demarches scientifiques pour cesser d’etre ridicule en plaquant a la lettre ce que nous avons appris en Europe. Cette "afrique" toujours vue selon les normes europeennes serait reellment l’AFRIQUE ? A nos chercheurs la question. Merci Barry.

  • Le 24 juin 2010 à 08:51, par Hamadou En réponse à : Pour une autre critique de cinéma

    Belle analyse mais la question fondamentale est peut-être la suivante : combien sont ceux qui font réellement de la critique cinématographique en Afrique ? L’existence de structures qui s’en réclament est-elle suffisante pour parler de critique africaine quand on sait que la plupart de ces plumitifs font plus du reportage que de l’analyse ? Le mérite de cet article est grand pour avoir osé aborder un sujet aussi pertinent que celui-là. Naturellement qu’il ne sera pas du goût de tous. Ce n’est pas grave, puisque ce n’est certainement son objectif.

 LeFaso TV
 Articles de la même rubrique
Plongez dans l’univers infini de Space Fortuna Casino