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Pr Elikia Mbokolo : « Dans 40 ans, nos enfants risquent de penser Macintosh, Coca-cola, Mac Donald »

Publié le jeudi 17 juin 2010 à 00h18min

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Présent à Tripoli dans le cadre de la conférence régionale sur l’utilisation pédagogique de l’Histoire générale de l’Afrique, le Pr Elikia Mbokolo (E.M.), président du comité scientifique, situe à Sidwaya les enjeux de ce projet, ainsi que le rôle de l’histoire dans le développement du continent.

Sidwaya (S.) : Qu’est-ce que l’Histoire générale de l’Afrique (Hga) ?

E.M. : L’Histoire générale de l’Afrique (HGA) est une collection de huit volumes dont la publication s’est étalée jusqu’en 1999. C’est la première aventure intellectuelle collective de la première génération des historiens, scientifiques et universitaires africains qui visait à montrer que l’Afrique a une histoire et que cette histoire n’est pas venue d’ailleurs.

Ils ont expliqué également que l’indépendance n’était pas un cadeau, une concession mais le résultat de luttes menées par les Africains depuis les empiétements extérieurs. Ce qui est encore plus remarquable, et pour éviter des discussions à l’avenir, ils ont convaincu les meilleurs historiens non africains du moment qui avaient des compétences sur l’Afrique à participer au projet.

Cela a pris du temps et coûté de l’argent. C’est une entreprise intellectuelle unique en son genre. Le travail a été fait dans un contexte particulier avec une vision panafricaine. Malheureusement, le projet africain a souffert de l’évolution générale du panafricanisme dans le cadre de l’OUA et des difficultés des premiers moments de l’indépendance. D’autre part, à ce projet africain se sont greffés les projets nationaux. Tous les Etats devenus indépendants ambitionnaient de se constituer en nations et de développer leurs systèmes éducatifs avec des programmes historiques, mémoriels, muséaux, etc.

S. : Les livres demeurent méconnus du grand public. Peut-on savoir pourquoi ?

E.M. : Ces livres ont été publiés en Europe, coûtent donc cher et sont très volumineux. Donc l’ouvrage est resté le compagnon des universitaires, encore que tous les professeurs d’université n’en disposent pas. Donc le projet n’a pas connu le retentissement espéré. Cependant, Présence africaine a fait un pas en publiant une collection de poche. Ces volumes n’ont pas non plus reçu le succès escompté. Mais les historiens sont restés dans la vision panafricaine du projet : ils ont créé l’Association des historiens d’Afrique qui a pendant longtemps été dirigé par le Pr Joseph Ki-Zerbo.

S. : Quel a été l’apport de la nouvelle génération dans cette aventure ?

E.M. : Le défi lancé par nos aînés nous obligeait à avancer dans la voie de l’histoire, sans quoi nous aurions manqué notre vocation d’historiens. Le défi pour nous était : qu’est-ce que nous pouvons dire de plus que nos aînés ? Sans vouloir rivaliser avec eux, nous avons défriché des terrains nouveaux, élaboré des problématiques nouvelles. Aujourd’hui, nous sommes allés un peu plus loin et nous avons ouvert des chemins plus nombreux.

S. : De quand date l’idée de la transposition pédagogique ?

E.M. : Quand l’OUA est devenue l’Union africaine, parallèlement aux différents projets économiques, il était nécessaire de reprendre la question identitaire, culturelle, mémorielle et historique du continent. Ainsi, les chefs d’Etat ont souhaité que les huit volumes de l’HGA entrent effectivement dans les programmes scolaires.

L’Union africaine a saisi pour cela l’Unesco qui, à son tour, a réuni les historiens autour de ce projet. C’est ainsi qu’après la rencontre de Paris, nous avons mis en place un comité scientifique et avons demandé à l’Association des historiens d’Afrique de faire une revue critique des huit volumes : des problèmes de mise à jour, des reformulations des méthodes, des contenus, des approches.

Nous sommes conscients que nous n’allons pas réinventer la roue. Le dernier volume date de 1999, ce qui suppose que ce travail a été effectué dans les années 70-80. Beaucoup de choses se sont passées entre-temps, à savoir les changements en Afrique australe, la démocratie, etc. Nous avions là, l’occasion de placer les évolutions actuelles dans une lecture africaine et non une lecture forcément internationale.

Lecture qui consisterait à dire par exemple, que la démocratisation de l’Afrique vient du discours de la Baule, de la chute du mur de Berlin ou encore que notre stratégie de décentralisation est inspirée du modèle allemand ou américain, alors que nos anciens empires (Mali, Kongo, Loango, etc.) sont des exemples de gestion des espaces énormes avec des populations différentes, parfois des langues et cultures différentes, mais qui ont tenu sur plusieurs siècles.

S. : Comment explique-t-on que le financement de ce projet d’envergure panafricaine soit fait par la Libye uniquement ?

E.M. : Le gouvernement libyen dont on connaît le rôle dans la relance de l’Union africaine a mis quelques moyens à notre disposition. Les travaux techniques ont été effectués et nous sommes à l’élaboration du cadre conceptuel, à savoir ce qu’il faut faire pour obtenir des résultats au niveau des citoyens qui seront formés.

S. : Combien de pays sont impliqués dans ce projet ?

E.M. : 44 pays ont répondu au questionnaire que nous avons élaboré. Les neuf autres Etats qui n’ont pas répondu sont ceux qui sont dans des situations de coup d’Etat ou de crise politico-militaire ou en cours de reconstruction.

S. : Quelle stratégie comptez-vous développer afin que notre histoire soit enseignée dans nos écoles ?

E.M. : Certains Etats ont de bons programmes en histoire. Je pense notamment aux derniers Etats qui se sont libérés soit du racisme, soit de la colonisation en Afrique centrale et pour qui l’histoire a une place importante. D’autres pensent que le développement est purement économique. Ils ont alors mis de côté tout ce qui est historique, ce qui a d’ailleurs fait penser à certains que l’Afrique était contre le développement. Aussi, nous avons vu des générations formées à la médecine, architecture, aux sciences sans aucune connaissance de l’histoire.

S. : Peut-être qu’il faut expliquer aux gens en quoi l’histoire participe au développement d’un pays !

E.M. : Aujourd’hui, toutes les puissantes émergentes (Chine, Inde, Brésil) sont des Etats dans lesquels la personnalité nationale est fortement ancrée, l’histoire nationale très bien connue et les références pour aller vers l’avenir sont tirées du passé. En Chine par exemple, la fable « Comment You Kong déplaça la montagne » tirée du fin fond de l’histoire a montré aux Chinois qu’ils peuvent déplacer des montagnes ! Si nous ne parvenons pas à ce genre de réalité en Afrique, nous allons penser que pour se développer, il faut singer l’Europe. Nous risquons de croire que ce dont nous avons besoin c’est le fameux document de stratégie de la réduction de la pauvreté comme programme de développement, alors que dans notre histoire, il n’a jamais été question de réduire la pauvreté, mais de créer des richesses. Si nous n’y parvenons pas, dans 40 ans, nos enfants penseront Macintosh, Coca-cola, Mac Donald et ne saurons rien de Soundiata Keita, de Chaka, etc.

S. : Suffit-il alors de changer les programmes pour produire un homme nouveau, étant donné que l’histoire de plus en plus ne s’apprend qu’à l’école ?

E.M. : Nous sommes convaincus que ce ne sont pas seulement les contenus des manuels qui doivent changer, ni la répartition des matières, mais surtout les méthodes pédagogiques. La pédagogie verticale qui consiste à apprendre par cœur et à recracher doit être revue. L’histoire est une discipline passionnante dont l’enseignement va désormais s’appuyer sur les bandes dessinées, les technologies de l’information et de la communication, etc. Les gens ne se rendent pas compte par exemple en regardant un film western que c’est l’histoire des Etats-Unis qui est racontée. Nous devons nous aussi mettre en scène notre histoire avec une pédagogie renouvelée. Il nous faut à très moyen terme, des citoyens africains.

S. : Pouvez-vous y parvenir sans manipulation ni falsification de l’histoire ?

E.M. : Rassurez-vous ! Nos aînés étaient très passionnés de l’histoire mais étaient très critiques à l’égard de l’idéologie issue du colonialisme, de la traite négrière. Nous restons dans la même posture. Nous traquons toutes les déformations car notre souhait est de transmettre aux jeunes la connaissance, la passion et la fierté de leur passé. Nous ne sommes pas en position de combattre, mais de création et de stimulation vers l’avenir.

Interview réalisée

à Tripoli par Assétou BADOH

Sidwaya

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Vos commentaires

  • Le 17 juin 2010 à 12:21, par Ousmane ATAÏFITA En réponse à : Pr Elikia Mbokolo : « Dans 40 ans, nos enfants risquent de penser Macintosh, Coca-cola, Mac Donald »

    "La pédagogie verticale qui consiste à apprendre par cœur et à recracher doit être revue. L’histoire est une discipline passionnante dont l’enseignement va désormais s’appuyer sur les bandes dessinées, les technologies de l’information et de la communication, etc. Les gens ne se rendent pas compte par exemple en regardant un film western que c’est l’histoire des Etats-Unis qui est racontée. Nous devons nous aussi mettre en scène notre histoire avec une pédagogie renouvelée. Il nous faut à très moyen terme, des citoyens africains."

    j’ai relevé cette partie de l’interview pour illustrer la pertinence des idées développées par le professeur et de me rendre compte finalement que les connaissances jusqu’alors inculquées par nos professeurs sur les bancs de l’école ne se réflètent dans la gestion de nos Etats. C’est vraiment dommage. On ne dirait pas que nos dirigeants ont été enseignés par d’éminents professeurs comme ELIKIA. Courage au professeur et à ses confrères, leur projet est très noble et les idées ou les stratégies pour ancrer l’histoire africaine dans nos têtes sont très bonnes} }}

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