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EMPRISONNEMENT D’UN AVOCAT AMERICAIN AU RWANDA : Le génocide, l’arme fatale de Kagamé

Publié le mercredi 9 juin 2010 à 00h23min

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Au Rwanda, il ne fait pas bon d’être taxé de négationniste ou de révisionniste, c’est-à-dire, quelqu’un qui remet en cause la réalité ou les proportions du génocide de 1994 contre les Tutsis. Très vite, l’on tombe sous le coup d’une loi votée en 2003 qui punit d’une peine allant de 10 à 20 ans de prison "toute personne jugée coupable d’avoir nié ou minimisé de façon grossière le génocide ou détruit des preuves y afférentes".

Le couperet tombe sans chercher à savoir si le révisionniste est rwandais ou non. C’est ce qui est en train d’arriver à l’avocat américain Peter Erlinder arrêté le 28 mai dernier venu au Rwanda pour défendre l’opposante politique Victoire Ingabire accusée, elle aussi, de négation du génocide. Détenu depuis cette date, l’avocat américain a vu sa demande de remise en liberté sous caution rejetée le 7 juin dernier par un tribunal de Kigali. Conséquence : il doit attendre encore pendant un mois, délai au terme duquel pourra intervenir son procès.

Le cas de l’opposante pour laquelle l’Américain est venu à Kigali est aujourd’hui relégué au second plan au profit maintenant du sien propre. Il doit lui-même se tirer d’affaire d’abord avant de penser à en faire de même pour l’opposante. Et concernant cette dernière, c’est à se demander si elle aura encore un défenseur. Si jamais l’avocat américain arrivait à s’en sortir, on ne sait pas s’il sera toujours disposé à défendre sa cliente. Aussi, au regard de ce qui lui est arrivé, un autre défenseur de la veuve et de l’orphelin, qu’il soit rwandais ou d’une autre nationalité, osera-t-il porter assistance à l’opposante politique ? Visiblement, vouloir défendre Mme Ingabire, c’est courir le risque d’être taxé de négationniste du génocide. C’est un véritable jeu d’équilibriste auquel il n’est pas intéressant de s’adonner même pour un avocat qui ne fait que son travail. Pourtant, l’opposante politique a bel et bien le droit de prendre un ou des avocats pour se défendre, vu ce qui lui est reproché et surtout pour ce qu’elle risque.

Finalement, la situation incongrue dans laquelle on risque de se retrouver avec cette affaire, n’est-elle pas une application zélée, une interprétation large de la loi de 2003 ? In fine, cette loi est une menace sérieuse et à la liberté d’opinion et à la profession d’avocat. Elle s’applique au mépris de l’immunité de parole dont jouissent les avocats pour ce qu’ils disent dans leurs plaidoiries. Certes, on comprend le traumatisme causé par le génocide au Rwandais, mais on ne peut tout de même s’empêcher de s’interroger sur la frilosité que son évocation suscite chez les autorités. La sensibilité du sujet est même l’objet d’une exploitation politique. La fameuse loi de 2003 est devenue une arme de dissuasion des opposants politiques entre les mains de Paul Kagamé. Il suffit de s’afficher comme un adversaire politique sérieux de l’homme mince de Kigali et par un tour de passe-passe, on vous collera l’étiquette de révisionniste.

Finalement, ce qui arrive à l’opposante n’a rien d’étonnant dans un contexte d’élection présidentielle. Les ennuis judiciaires de la dame ont pour source sa décision de briguer la magistrature suprême de son pays en même temps que Paul Kagamé. Et comme on lui prête un statut de sérieux challenger parmi les candidats qui se sont déclarés jusque-là, il faut bien lui mettre des bâtons dans les roues. L’accusation d’"appartenance supposée à un groupe terroriste et de promotion de l’idéologie génocidaire" participe d’une campagne de dissuasion et de déstabilisation. Il faudra qu’elle cherche d’abord à se laver de cet opprobre (semblable à l’antisémitisme que les juifs n’hésitent pas à brandir à tout bout de champ) avant de songer à la compétition électorale.

Séni DABO

Le Pays

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Vos commentaires

  • Le 10 juin 2010 à 18:26, par Alice Etcevary En réponse à : EMPRISONNEMENT D’UN AVOCAT AMERICAIN AU RWANDA : Le génocide, l’arme fatale de Kagamé

    Il serait bon que les journalistes s’enquièrent des paroles prononcées par les personnes citées en justice pour négationnisme avant de prétendre - a priori visiblement - qu’il y a abus. Peut-être comprendraient-ils s’ils s’en enquerraient.

    Par ailleurs, pourquoi, alors qu’on ne tolère pas le négationnisme dans le cadre du génocide juif, le tolérerait-on dans le cas du génocide des tutsi ? On est dans le même cas de figure, non ? Ne parle-t-on pas de génocide ?

    Merci d’y réfléchir.

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