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Site aurifère de Boala-Balogho : L’or, le « bantaaré » et « Mille balles »

Publié le mardi 8 juin 2010 à 03h06min

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Boala et Balogho, deux villages voisins situés de part et d’autre de la frontière entre les provinces du Nahouri et du Ziro, connaissent depuis plus d’un an, une effervescence particulière. En effet, l’apparition de l’or dans cette localité a attiré des milliers de personnes venues des quatre coins du Burkina et même de pays voisins, pour faire fortune. Sidwaya est allé constater pour ses lecteurs l’atmosphère qui y règne.

Il est 11 heures en cette journée du mercredi 24 février 2010 lorsque nous débouchons, au détour d’un sentier, sur le site d’orpaillage de Balogho. De loin, les trous béants à perte de vue creusés par les orpailleurs ressemblent à un serpent géant longeant le flanc de la colline. Le site est désert. Sauf quelques margouillats qui se dépêchent de disparaître à notre approche entre les tas de terre sortis des trous par les orpailleurs. « L’or est fini ici. Le filon a franchi la limite de ce village et s’est installé sur les terres de Boala… », explique notre guide.

Ainsi, c’est sur le nouveau site que nous avons trouvé les orpailleurs. Ici les trous sont concentrés pour l’instant sur un petit espace. A notre arrivée, un orpailleur s’affairait autour d’une marmite au feu. Il s’empare prestement de sa marmite à notre vue, pour fuir l’objectif du photographe. « Yacouba (c’est son nom) ne veut pas se faire photographier avec sa marmite de bantaaré … », se moque un de ses compagnons.

Le "bantaaré", c’est en fait du haricot mélangé et des céréales bouillis qui servent de nourriture aux orpailleurs. A quelques mètres de nous, un groupe de cinq personnes accroupies autour d’un grand plat contenant ce repas de fortune. « Le bantaaré est la principale nourriture pour nous ici. C’est le seul met que les patrons donnent aux ouvriers sur le site… », nous confie l’un d’entre eux. « C’est le bantaaré ou rien.

Et comme nous n’avons pas les moyens pour nous procurer autre chose, nous nous en contentons... pour ne pas mourir de faim… », explique notre interlocuteur en guise de réponse à notre inquiétude sur le dégoût que pourrait entraîner la consommation excessive de cette denrée. Ses propos sont approuvés par ses camarades. La majorité des orpailleurs sur le site d’exploitation sont des employés car en général "le trou" (mine artisanale) appartient à une autre personne. John Compaoré est originaire de Manga.

La trentaine bien sonnée, chevelure en dread look, vêtu d’un tee-shirt bleu, la culotte descendant juste en dessous des genoux, il fait partie des privilégiés. Propriétaire de huit trous sur ce site, il emploie une quarantaine de personnes à raison de cinq par trou. « Je donne 50% des gains à mes employés.

Tout est une question de chance. Je peux dépenser dix millions dans l’exploitation d’un seul trou et ne rien retirer de ce trou comme je peux en gagner plus avec moins d’investissement… », explique-t-il. Les dépenses selon lui, concernent la nourriture des employés, les frais médicaux en cas de maladie, le prix de la dynamite pour sauter les roches que les orpailleurs rencontrent souvent au fond des trous.

C’est de la matière qui coûte cher, selon lui. John Compaoré, à l’entendre, a l’expérience dans l’orpaillage. Cela fait dix ans qu’il est dans cette activité. « J’ai des trous sur plusieurs autres sites. J’emploie environ 400 personnes. Je ne me plains pas car il m’arrive de gagner de l’or… », affirme-t-il.

Qui est "Mille balles ?"

Michel Sawadogo est, lui, venu de la province du Soum. Propriétaire de six trous sur le site, il emploie trente personnes. Lui aussi, soutient être dans cette activité depuis plusieurs années, mais la fortune ne lui a pas encore souri. « l nous arrive d’en trouver mais ce n’est pas comme nous l’aurions souhaité. Si je suis ici c’est parce que je n’ai pas le choix.

Et cela est valable pour la plupart de tous ceux qui sont ici. Si l’Etat nous trouve du travail nous cesserons immédiatement cette activité où la mort nous guette à tout instant. Ce n’est pas par plaisir que les gens descendent à une profondeur pouvant atteindre souvent 30 m de profondeur. Tu peux ne pas en ressortir… », souligne-t-il.

Ces propos qui s’apparentent à un coup de gueule, sonnent comme le déclic qui a délié les langues. Chacun y va alors de son commentaire, certains fustigent ce qu’ils appellent une démission des pouvoirs publics face au chômage grandissant des jeunes. La conversation prend ainsi des allures de procès contre l’autorité publique. Et nous avons de la peine à recadrer le débat sur l’activité à laquelle ils s’adonnent en ces lieux.

Alain Ouédraogo, Jean Ouédraogo et deux de leurs camarades nous donneront cette occasion. Autour d’un puits, le groupe ne semble pas être intéressé par le débat mené au sein de l’assistance. Arc-bouté, Alain tire une corde du trou tandis que les trois autres ont le regard rivé sur le fond du puits. Au bout de la corde, un seau plein de terre latéritique dont les mottes laissent apparaître des petits points brillants à peine visibles. Jean se saisit du seau et verse son contenu sur un petit tas de même nature déjà constitué. « C’est le ressort… », nous lance-t-il.

Lorsque nous avouons notre ignorance face à ce langage de spécialistes, il nous explique que c’est dans le ressort que l’on trouve l’or. Difficile à un non initié de reconnaître à vue d’œil ce détail. « Cette terre va être lavée pour ne retenir que les petits points brillants qui constituent l’or… », note-t-il.

La distance entre le site d’exploitation et l’aire de traitement où est installé le comptoir d’achat est d’environ 3 km. Le ressort, comme ils le disent, y est convoyé par charrettes à raison de 750 francs CFA le sac de 50 kg pour traitement et vente. « Si le comptoir était à côté, cela nous aurait épargné des dépenses inutiles en énergie et en argent… », fait remarquer quelqu’un dans l’assistance. « Pourquoi ne le faites-vous pas déplacer ? », leur avons-nous demandé. « Boala et Balogho se disputent le comptoir.

Boala veut qu’on le délocalise parce que le site d’exploitation se trouve sur ses terres. Si « Mille balles » apprend que nous parlons de cette histoire avec quelqu’un qui n’est pas ici, nous aurons des problèmes… », relève notre interlocuteur. « Mille balles » est en fait le gérant du comptoir. « C’est lui le patron des lieux. La loi ici c’est Mille-balles. Tu subis ou tu te casses. Personne ne le conteste.

Si tu as un trou qui ne produit pas, il te le fait retirer. Gare à toi si tu oses broncher. C’est lui qui fixe le prix de l’or ici. Il achète le gramme à 12 500 francs CFA contre 15 000 francs CFA proposés par les acheteurs parallèles. Hier (23 février 2010), il a fait retirer l’or d’un orpailleur d’une valeur de 250 000 francs CFA tout simplement parce que ce dernier ne voulait pas le lui vendre… », révèle un membre du groupe.

Notre suggestion de le dénoncer reçoit une réponse surprenante. « Mon ami, tu veux nous créer des problèmes ou quoi ? Tout ce qui a été dit ici va lui être rapporté. Et crois-moi, après ton départ, il va nous emmerder… », s’inquiète un autre. Le comptoir d’achat, en fait de bâtiment comme nous le supposions, est un hangar fait de secco qui tient lieu de bureau. C’est là que nous avons rencontré Mille-balles.

A l’Etat civil, il répond, au nom de Ousmane Ouédraogo. Il règne en maître sur tout le site. Le regard malicieux, 1,80 m environ de taille, Mille-balles est peu loquace. En peu de mots, il nous explique qu’il y a beaucoup de problèmes sur le site du fait que les gens sont venus de divers horizons. Il y a des règles selon lui, qui régissent la vie sur le site.

Aussi, souligne-t-il, il est inadmissible que quelqu’un veuille s’en écarter. Il affirme que la sécurité est assurée sur le site. « Nous n’avons jamais connu de problèmes d’insécurité. Sur ce plan, je n’ai pas de crainte. Je n’ai pas peur… », insiste-t-il en précisant que si des sinistres individus s’aventuraient sur le site avec des mauvaises intentions, ils l’apprendront à leurs dépens. « Je suis dans le métier depuis plus de dix ans. Il faut être un dur à cuir pour diriger un site d’or.

Et, sans modestie, je le suis. Je m’inscris dans la logique de ces bandits… ». Avoue-t-il. Son site n’a certes pas encore connu de problèmes d’insécurité. Mais il arrive que des orpailleurs s’affrontent dans une bagarre pour régler un contentieux. « En face de telles situations, je livre les auteurs à la gendarmerie… ». Lâche-t-il.

Pendant que nous nous entretenions, des orpailleurs viennent vendre leurs gains de la journée. De petites quantités dont le poids ne dépasse pas un gramme. L’agent commis à la tâche verse du mercure sur l’or, sous forme de poudre jaunâtre, et le passe sous une flamme. « Sous la chaleur, le mercure isole l’or, le séparant du peu de terre passée à travers le lavage », explique Mille balles. Le métal est ensuite passé sur la balance pour l’évaluation de son poids.

Outre les unités de mesures classiques, des brins d’allumettes et des pièces d’argent sont utilisées. Par exemple, douze brins d’allumettes et la pièce d’un franc pèse chacun un gramme. Mille balles nous confirme à cette occasion que son comptoir achète effectivement le gramme d’or à 12 500 francs CFA. « L’or récolté sur le site est vendu ici et nulle part ailleurs.

Il y avait un autre comptoir mais nous l’avons fait partir parce que nous détenons l’autorisation et le monopole ici. Nous avons également chassé des acheteurs parallèles qui opéraient frauduleusement sur le site. Ils achètent le gramme à 15 000 francs CFA parce qu’eux n’ont rien investi. C’est nous qui fixons le prix ici. C’est ça la règle… », commente-t-il.

Des femmes propriétaires de trous

Généralement sur les sites d’or. Mille-balles nie formellement l’existence de ces phénomènes sur le site dont il a la charge mais des orpailleurs affirment le contraire. « La plupart d’entre nous sommes obligés de prendre certaines substances pour surmonter la peur avant de descendre dans les trous dont certains peuvent atteindre 25 à 30 m de profondeur… », confie un orpailleur.

L’aire de traitement regroupe en fait le comptoir d’achat, le marché, la zone d’habitation. Mais il n’y a pas de garderie d’enfants. Les hangars s’étendent sur un espace de 2 ha environ. Ce qui d’emblée frappe le visiteur, c’est la présence des femmes en ces lieux.

Pour Hadiguèta Konditamdé, une d’entre elles, beaucoup sont là avec leurs maris. Originaire de Manga dans la province du Zoundwéogo, elle a suivi son époux avec leur petite fille. « Les hommes sont dans les trous.

Notre travail consiste à apporter l’eau pour le lavage de la terre afin de recueillir l’or… », explique-t-elle. Le bidon de 20 litres est vendu à 1 000 francs CFA. Dans la journée, elle peut vendre 10 bidons et à ses dires, certaines femmes peuvent en vendre 20. « Il faut aller jusqu’à Boala pour chercher l’eau.

La distance est d’environ 5 km. C’est ce qui fait que le coût est élevé et puis, nous sommes sur un site d’or… », note-t-elle avant de dire qu’elle a arrêté ses études en classe de seconde au lycée provincial de Manga suite à une grossesse qu’elle a contractée avec son ami, aujourd’hui son mari.

Albertine Maré, est venue toute seule de son Gomboussougou natal. Elle est une habituée des sites aurifères car elle en a fréquenté au moins une dizaine avant celui-ci. « J’ai pris contact avec les sites aurifères à l’âge de neuf ans lorsque j’étais en classe de CE1.

J’abandonnais les cours pour aller sur le site aurifère de Gombousgou. Après je suis allée à la mine d’or de Poura et sur d’autres sites avant celui-là… », souligne-t-elle. A vingt quatre (24) ans, Albertine Maré figure parmi les femmes privilégiées du site de Boala-Balogho. Elle ne fait pas que vendre l’eau. Elle fait partie des rares femmes propriétaires de trous.

Elle gagne de temps en temps de l’or mais pas suffisamment pour lui permettre d’arrêter cette activité qu’elle mène depuis au moins quinze ans. « Demain, si j’apprends que quelque part l’or a fait son apparition, je quitterai peut-être ce site au profit du nouveau… comme beaucoup d’autres personnes… », explique-t-elle. Mais sur le site, il y a des femmes qui mènent d’autres activités, notamment la restauration, et le commerce de divers articles. Et elles sont nombreuses celles qui tirent leur épingle du jeu.

Etienne NASSA avec la collaboration de Assita NION, correspondant AIB à Pô


Le métal jaune a troublé la quiétude des populations

Les populations de Boala et Balogho, tous deux situés à plus de 200 km de la capitale Ouagadougou, restent impuissantes face à l’arrivée massive des chercheurs d’or dans leur région. Depuis plus d’un an en effet, le métal jaune a été découvert dans cette localité, attirant des milliers de personnes en quête de ce minerai qui changerait peut-être leur vie.

Du coup, la quiétude des populations de ces deux villages situés l’un dans la commune rurale de Guiaro dans le Nahouri (Boala) et dans le Ziro (Balogho) a pris un coup. C’est l’avis en tout cas de ce jeune de Boala, membre du Comité villageois de développement (CVD) qui fulmine contre l’accentuation des multiples vols de bétail dans la région dont les auteurs ne sont autres que les orpailleurs selon lui. « Parmi ceux qui sont venus chercher l’or, il y a des bandits… », soutient-il.

De même, reconnaît le vieux Larba Zibaré, un sage de Boala, le barrage du village qui, habituellement est plein à cette période de l’année, est à moitié vide. Cela est dû aux orpailleurs qui puisent dans ce réservoir d’eau pour le traitement du minerai. Outre ces deux aspects, l’apparition de l’or a créé une mésentente entre les deux villages car l’or est d’abord apparu sur les terres de Balogho. Mais aujourd’hui, c’est sur celles de Boala que le métal jaune a élu domicile.

Aussi, l’or est actuellement extrait à Boala puis convoyé à Balogho pour être traité et vendu parce que le comptoir d’achat y est installé. Et cela n’est pas du goût de la population de Boala qui estime ne pas tirer profit de cette manne. « Nos enfants ne sont pas sur le site. Beaucoup d’entre eux y étaient au départ mais ils sont revenus parce que la chance ne leur a pas souri… », note un membre du Comité villageois de développement.

Et celui-ci de poursuivre que l’orpaillage a pris leurs champs de culture. « Il nous sera difficile de récupérer nos terres après l’exploitation de l’or. Elles seront dégradées… » , ajoute-t-il avec amertume. Outre les autochtones, il y a de nombreux migrants qui ont perdu également leurs lopins de terre que leur ont cédés les populations. Yacouba Koanda, est un migrant venu du Namentaga. » Je suis là depuis sept ans. Lorsque l’or est apparu, les orpailleurs ont détruit mon champ de maïs dont les jeunes pousses n’étaient pas encore matures.

Sur la partie qui n’a pas été touchée, je n’ai rien récolté parce qu’ils s’en sont servis pour leur propre consommation… », affirme-t-il. Alzouma Zibaré est de Boala. Son champ a été récupéré en vue de la délocalisation du comptoir d’achat. « Si au moins le comptoir avait été déménagé, nous aurions pu profiter des retombées. La campagne agricole prochaine est incertaine pour ma famille et moi car nous ne disposons plus de terres… », soutient-t-il.

Etienne NASSA avec la collaboration d’Assita NION, correspondant AIB à Pô

Sidwaya

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