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Mamane (humoriste) : "Il ne faut surtout pas perpétuer l’œuvre du "président fondateur"

Publié le mardi 8 juin 2010 à 10h39min

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MamaneMamane, humoriste et célèbre chroniqueur sur RFI était ce weekend dans la capitale burkinabè, pour un spectacle en compagnie d’Adama Dahico et de « Son excellence Gérard ». Ce citoyen du monde et de la « République très très démocratique du Gandwana », a bien voulu accorder un entretien au Faso.net. L’occasion de revenir sur son parcours, sa vision de l’Afrique et son engagement citoyen.

Bonjour Mamane, vous êtes aujourd’hui un humoriste reconnu, comment êtes vous venu à la comédie ?

Tout à fait par hasard. J’ai commencé mes études au Niger puis en Côte d’Ivoire, pour étudier la physiologie végétale. Pour mon troisième cycle je suis allé en France, car c’est le drame des pays africains même après cinquante ans d’indépendance, pour ce qui est des études supérieures on n’est pas très indépendants… Je suis donc parti en France faire un DEA, mais après avoir arrêté, j’ai connu quelques galères. A ce moment là, j’ai rencontré une association qui avait un atelier théâtre, j’ai donc joué avec eux un sketch, puis un deuxième, et les choses se sont enchainées jusqu’à ce que je monte mon spectacle, et que je tourne en France avant d’être repéré par Laurent Ruquier, puis d’intégrer RFI.

Vos chroniques sur RFI évoquent « la République très très démocratique du Gandwana », pouvez-vous nous expliquer quel est ce pays ?

Dans mes chroniques je ne voulais pas viser des personnes en particulier. De toute façon, les maux sont sensiblement les mêmes dans de nombreux pays : le délestage, les trous dans les routes, la corruption … Il fallait donc prendre un pays imaginaire qui reprenne toutes ces tares là, c’est la République très très démocratique du Gandwana. Je voulais en faire un repoussoir pour que les gens rient de ce qui s’y passe, par exemple quand le « président fondateur » déclare qu’il veut être président à vie. Quand cela arrive ensuite, les gens peuvent s’exclamer « on n’est pas au Gandwana ici ! » Lorsque j’entends ce type de réflexion, je me dis qu’il y a déjà quelque chose de gagné.

Vous parler beaucoup dans vos chroniques des tares de l’Afrique, avez-vous déjà reçu des pressions ou des menaces suite à cela ?

L’avantage de la chronique c’est qu’elle ne se passe pas au Togo, au Niger ou au Burkina mais dans la « république très très démocratique du Gandwana », ce n’est pas Blaise Campoaré ou Laurent Gbagbo, c’est le président fondateur. Il n’a pas de nom ni de prénom, donc si un président se reconnait… Moi je ne cite personne, j’expose simplement les faits qui se déroulent au Gandwana. Pour le moment je n’ai pas eu de menaces directes, j’ai eu vents de quelques commentaires mais la direction de RFI fait bloc autour de moi et j’ai une liberté totale dans ce que je fais. Je fais attention à une seule chose : respecter les gens qui m’écoutent, en maniant une langue correcte et le second voire le troisième degré.

D’où tirez-vous votre inspiration pour éduquer et amuser à la fois ?

De l’actualité, tout simplement. Les humoristes qui s’inspirent de l’actualité et de la vie socioéconomique ne seront jamais au chômage. Tous les jours les hommes politiques nous donnent un sujet de chronique ou de sketch. Ce sont eux les premiers humoristes, leurs longs discours pompeux et creux me font rire. Ils nous font de la concurrence mais il faudrait qu’ils arrêtent pour s’occuper véritablement des problèmes des gens.

Justement, vous vous tenez très aux faits de l’actualité africaine, quel regard portez-vous aujourd’hui sur le cinquantenaire de l’indépendance pour de nombreux pays ?

Je porte le regard du Gandwanais lambda. En réalité, pour faire le bilan de ces cinquante ans d’indépendance il suffit de filmer dans n’importe quel pays l’Africain lambda, toute la journée pour suivre son quotidien. On y verra, les galères, pour trouver à manger, pour l’éducation des enfants, pour les soins médicaux, les problèmes de délestage, pour les démarches administratives, la pollution, le manque d’eau potable. Après cinquante ans d’indépendance on en est là, donc le bilan est fait. Les gens qui fêtent ça sont seulement les gens d’en haut, et ils fêtent ça avec l’ancienne métropole, ce qui veut tout dire.

Votre pays d’origine semble également inspirer régulièrement vos chroniques, que pensez-vous de la situation actuelle au Niger ?

Depuis le 18 février, et le coup d’Etat, le pays est dans une situation d’exception, une transition. Nombreux sont ceux qui ont accueilli ce coup d’Etat avec soulagement. Or, accueillir un coup d’Etat militaire avec soulagement est très paradoxal. Cela montre à quel point l’ancien président est allé se dévoyer dans un aveuglement suicidaire qui l’avait coupé des réalités du pays, et qui le conduisait vers la dictature. Je ne sais pas si c’est dû à l’ivresse du pouvoir, mais il a montré qu’il méconnaissait la tradition démocratique du Niger. C’est un pays où la démocratie est un sentiment et une réalité, le débat démocratique y est très vif et respectueux. A partir du moment où le président Tandja avait dépassé la date de son mandat, il était inéluctable qu’il se passe quelque chose. Aujourd’hui je souhaite surtout que la transition se déroule le mieux possible, qu’il en sorte des institutions et des textes solides pour que l’on puisse prendre un nouveau départ et que la constitution ne puisse pas être modifiée par la volonté d’un seul homme.

Vous étiez en spectacle avec Adama Dahiko qui est candidat à l’élection en Côte d’Ivoire. Il y a une transition aujourd’hui au Niger, pourriez-vous vous aussi être candidat ?

Non absolument pas. Ma position d’humoriste me permet d’être au-dessus de la mêlée pour lancer mes flèches de tous les côtés. Descendre dans l’arène politique serait déjà perdre mon libre arbitre, je suis un citoyen impliqué qui vote, s’engage dans des associations, mais je ne souhaite pas faire de la politique politicienne. Adama Dahico, lui, le fait lui plus comme une farce pour montrer le ridicule de la situation. Il va sur le terrain des politiques pour se moquer d’eux.

Vous avez rencontré des jeunes à l’université de Ouagadougou, qu’avez-vous pensé de cette rencontre avec la jeunesse estudiantine ?
Cela me fait chaud au cœur de voir ces centaines d’étudiants présents pour assister à de tels débats, je ne peux que me réjouir de voir la jeunesse impliquée, mobilisée et politisée. Cela change des pays développés occidentaux où une partie de la jeunesse est désintéressée de la politique et des débats sur la vie quotidienne. La jeunesse impliquée n’y est qu’une minorité alors que les autres sont davantage mus par un désir de consommation immédiate, pour se construire sa propre vie, individuellement. Nombre sont ceux qui ne pensent qu’à leur plaisir personnel.

Justement, quel message voudriez-vous adresser à la jeunesse ?

Les jeunes doivent faire de la politique. Je leur dirais que s’ils ne font pas la politique, la politique va les faire, et ça va faire mal… Il faut s’impliquer, lire, participer, adhérer à des associations, travailler, et être un acteur vivant. Il faut être au courant de ce qui se passe ailleurs dans le monde, s’ouvrir, ne pas seulement aller à l’école pour obtenir un diplôme.
Quel message voulez-vous adressez aujourd’hui à ceux qui vous écoutent et qui pourraient perpétuer l’œuvre du président fondateur ?
Il ne faut surtout pas perpétuer l’œuvre du président fondateur. Je leur dirais qu’il faut faire des études, car un citoyen instruit est un citoyen utile, à lui-même, à son entourage et à la Nation. En résumé : l’éducation et le travail d’abord.

Vous vous êtes produit au CCF, de nombreuses personnes n’ont pas pu vous voir faute de places disponibles avez-vous été surpris de cet accueil au Burkina ?

Pas vraiment, j’ai déjà joué à Lomé, à Bamako, au Sénégal et à chaque fois on a été submergé de monde. L’accueil des Ouagalais ne m’a donc pas surpris, surtout dans la mesure où Adama Dahico et « son excellence Gérard » participaient à la soirée. Je ne doutais pas du Burkina où la l’amour de la culture est très fort. Je reviendrai donc, c’est sûr, mais je ne sais pas encore quand.

Gabriel Kambou et Céline Landreau (stagiaire)
Lefaso.net

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