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Musique : Le Burkina perd-il son âme ?

Publié le jeudi 26 août 2004 à 07h08min

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A la suite de M. Dahpouady Ouoba qui a stigmatisé, dans l’Observateur paalga n° 6190 du jeudi 22 juillet 2004, des Burkinabè parce qu’ils s’aliènent sans discernement au phénomène du "couper-décaler", je voudrais, pour appuyer son commentaire, blâmer à mon tour ce fait de mode qui prévaut dans ce pays en matière musicale.

Je ne suis pas contre "le couper-décaler" en tant que genre musicale et rythme prisé par les jeunes. Je n’ai rien contre le bazar musical et les bizarreries des danses venus d’ailleurs. Car le Burkina ne peut pas vivre en vase clos au plan culturel où c’est la loi du donner et du recevoir qui prévaut.

Toutefois ces rythmes endiablés comportent des inconvénients majeurs, très préjudiciables à notre culture et à notre identité. D’abord de par leur contenu, ensuite de par leur omniprésence.

En ce qui concerne le contenu, certains musiciens des bords de la lagune Ebrié réussissent la prouesse de nous faire danser au rythme de leurs xénophobies, de leurs insultes et autres moqueries. La plus illustrative de ces chansons chauvines est la fameuse "Libérez mon pays".

Voilà une musique qui a fait des ravages dans les maquis de tous genres, dans les restaurants et buvettes, dans les compagnies de transport et même sur les ondes de certaines radios. Une autre chanson, dont je n’ai jamais cherché à connaître le titre, parle de "Maliens, Guinéens, et même de vrais Mossi".

Comme si les Mossi n’avaient pas une nationalité : Burkinabè. Malheureusement ce sont ces mêmes "vrais mossi" qui sont prompts à s’exhiber sur les pistes de danse pour se tordre à vomir tripes et boyaux dans le but de démontrer qu’ils sont les meilleurs danseurs de ces folles mélodies.

Si certains albums en provenance de la Côte d’Ivoire sont vraiment attrayants, amusants et innocents voire instructeurs et intégrateurs, il en existe aussi qui sont xénophobes et racistes. Les uns d’un racisme ouvert, les autres d’une xénophonie subtile.

A Abidjan, les journaux qui encouragent la haine à l’égard des étrangers tout en prêchant la violence ont leurs répondants au plan musical.

A tous les journaux et musiques de la haine, j’estime qu’il faut réserver la même désapprobation. A tous les journalistes et musiciens à la solde de la xénophobie, il faut réserver le même mépris.

Hélas ! A notre fort taux d’illettrisme, s’ajoute l’analphabétisme culturel, trop élevé lui aussi. Si le rythme est dansant et l’air amusant, à nous la piste, même si les paroles sont moqueuses, humiliantes et insultantes.

Et dire qu’il ne s’est trouvé aucun mouvement des droits humains ou de lutte contre le racisme, aucune association culturelle ou politique pour dénoncer de telles chansons aux relents xénophobes, et entreprendre en conséquence des actions de sensibilisation relative à leur contenu.

L’autre phénomène inquiétant, c’est l’omniprésence dans l’espace et dans le temps de la musique étrangère (vous savez laquelle) dans les différents lieux dansants (bars, boîtes de nuit), dans les buvettes, restaurants et autres maquis, au cours des événements de joie ainsi qu’au niveau des transports inter-urbains.

C’est le calvaire pour des personnes d’un certain âge ou de certaines catégories sociales lorsqu’elles voyagent, obligées qu’elles sont d’écouter une musique que le convoyeur ou leur chauffeur leur imposent sur des trajets souvent longs. Parfois il y a des véhicules de transport interurbain, qui ne comptent parmi leurs clients ni amateur de"couper-décaler" ni "MC", mais dont les voyageurs sont néanmoins contraints de subir de telles musiques.

A plusieurs reprises, j’ai été obligé au cours de voyages de demander au convoyeur de nous faire écouter des mélodies sinon burkinabè du moins qui tranchent d’avec ces voix de cigales insouciantes pour qui l’hiver est égal à l’été, et le printemps, pareil à l’automne. Le pire, c’est que certaines radios s’en mêlent. Respectent-elles seulement le cahier de charges du CSI, qui exige la diffusion d’un taux donné de musique burkinabè ?

Partout, le matin, à midi et le soir, si ce n’est du "couper-décaler", c’est donc son cousin de logbi. Si ce n’est du mapuka, c’est donc du zouglou. En tout cas c’est toujours une musique d’ailleurs. Tout se passe comme si nous n’avions pas une identité musicale.

Si l’on devait reconnaître un pays à sa musique, la probabilité en écoutant la musique au Burkina serait forte qu’on nous confonde avec un pays voisin. Nous nous accommodons toujours et encore (excusez du peu) d’une bâtardise musicale. Ce que nous dénonçons, ce n’est pas tant la "consommation de la musique" d’ailleurs que sa "consommation" excessive.

Hélas ! Les Burkinabè sont des éternels complexés. Si vous leur demandez pourquoi ils n’aiment pas autant leur musique, ils vous répondront qu’elle est moche. Or c’est la quadrature du cercle. Les musiciens attendent que les mélomanes rendent intéressante leur musique.

Les mélomanes de leur côté attendent des albums nouvellement sortis qu’ils soient déjà des produits "hit-parade". Au Burkina, le public perçoit rarement son rôle dans la promotion et l’ascension du musicien.

Ce n’est pas comme ailleurs (en RD Congo par exemple), où il n’y a pratiquement pas de petits musiciens du fait des mélomanes et du public. Sachons que personne ne viendra aimer notre musique à notre place. A nous de l’aimer avant que les autres ne l’apprécient.

Dieu merci, nous avons un excellent ministre de la Culture, qui œuvre inlassablement à la promotion de la culture burkinabè, particulièrement de sa musique. Ne rendons donc pas vaine son action en préférant la musique d’ailleurs. N’acceptons pas de "couper" notre musique et de la "décaler" à tout vent.

De la musique quelqu’un a dit qu’"elle est le plus cher de tous les bruits", et Victor Hugo a renchérit : "La musique, c’est du bruit qui pense". Alors, jalousement, aimons d’abord notre pensée, gardons d’abord notre pensée... notre musique.

I.L.K.

L’Observateur Paalga

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