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Sinistrés de la Gnagna : Des dons « détournés » ?

Publié le mercredi 2 juin 2010 à 02h48min

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La distribution des vivres et matériels dits de survie offerts aux « sinistrés » des inondations des 2, 3 et 4 septembre 2009 dans la province de la Gnagna, a été marquée par une mal gouvernance. Cette lacune a été perçue par l’opinion locale comme une volonté délibérée de détournement de l’aide de l’Etat. Ce qui a fait dire à certains, qu’« en servant les autres, on s’est tout simplement servi ».

Dans la nuit du 2 au 3 septembre 2009, les populations de Manni (situé à 230 km à l’Est de Ouagadougou) dans la province de la Gnagna se sont réveillées, les pieds dans l’eau. De son lit, la grande rivière qu’enjambe le pont à l’entrée de Manni, a déversé jusqu’à 300 mètres, le trop-plein de ses eaux, dans les champs de culture, les édifices administratifs et privés, et les maisons d’habitation.

C’était la panique générale ! 3 des 7 départements que compte la province : Coalla, Thion et Manni sont sous les eaux le 4 septembre. Siamou, un village de Bogandé commune, situé en aval de l’affluent de la rivière de Manni, sera « défiguré » le 4 octobre. Ces intempérie qui ont perduré jusqu’au 9 octobre 2009 ont causés des dégats importants. Face à cette situation, les secours s’organisent.

Un comité de crise présidé par Hubert Tindano, premier adjoint au maire de la commune, est mis en place aux fins d’évaluer immédiatement les dégâts matériels et les besoins de survie des populations sinistrées. Cette structure est composée notamment des représentants de l’Action sociale, des conseillers municipaux, de l’Association pour le développement du département de Manni (ADDM) et de volontaires…La création de ce comité est une initiative des services de l’Action sociale et de la mairie. Mais dès sa naissance, il est contesté par certaines personnes dont Kanfiagui Haro, préfet de Manni, qui trouve que l’initiative n’a pas été portée à la connaissance de l’autorité.

« Non seulement je n’ai jamais été mis au courant de l’existence de ce comité mais aussi après sa création, des réunions ont été organisées sans la participation de la préfecture. J’estime que la problématique de cette catastrophe naturelle qui a secoué la province de la Gnagna et particulièrement notre département, ne peut être épluchée sans notre participation », a déclaré le préfet, ajoutant qu’il a partagé ces observations avec la hiérarchie.

En retour, conseil lui a été donné de ne pas prendre part aux réunions. Sur le terrain, Sidwaya a effectivement eu la confirmation qu’aucune note administrative n’a matérialisé la mise en place du comité contesté dès sa création. Apparaissent alors les premiers règlements de comptes. Pendant que le comité est contesté, les victimes des inondations, et les premiers donateurs se sont, tout de même, adressés à cette même structure.

En témoigne le soutien d’une valeur de 200 000 F CFA remis au comité par les députés de la province. Par ailleurs, ce comité a reçu de l’ADDM, 14 sacs de 100 kg de maïs et une somme de 100 000 F CFA. Selon notre source, les représentants de l’Association ont suggéré que cette somme soit remise aux sinistrés de Manni et non à l’ensemble des victimes de la province.

Le CODESUR réactivé

Le comité adhoc a été supplanté par le Conseil départemental de secours d’urgence et de réhabilitation (CODESUR) rapidement réactivé. L’ampleur de la catastrophe va remonter aux autorités administratives et politiques à Bogandé, chef-lieu de la province. Celles-ci sonnent d’abord le réveil du Conseil provincial de secours d’urgence et de réhabilitation (COPROSUR) qui fait, à son tour, une évaluation exhaustive de la situation dans les 3 départements et dans la commune de Bogandé.

Mandat a été donné par la suite au préfet de Manni pour la mise en alerte du Conseil départemental de secours d’urgence et de réhabilitation (CODESUR) créé le 18 janvier 2007 par arrêté préfectorale N° 2007-001 / MATD/REST/PGNG/DMN. Selon les termes de cet arrêté, « le préfet est le président du CODESUR ». Ses membres sont explicitement cités (voir encadré). Mais le CODESUR va à son tour susciter de nombreuses polémiques au regard de sa composition et de ses attributions.

S’est-on servi en se servant ?

Des personnes comme Tifoudiba Tindano, vice-président de l’Association pour le développement du département de Manni (ADDM) ont mis en doute « l’intégrité morale » des membres du comité. « J’ai l’intime conviction que les personnes qui composent le CODESUR ne sont pas de bonne moralité.

Elles n’ont pas un profil d’intégrité. En outre, j’estime que la mauvaise organisation qui a terni la réception, la gestion et la distribution du matériel et des vivres destinés aux sinistrés de la province incombe au CODESUR qui a failli à sa mission… », a-t-il estimé. Et pourtant, pour avoir vu ses champs de culture envahis par les eaux de pluie, « Tifoudiba » comme on l’appelle couramment, ne s’est pas fait prier pour se faire recenser comme « victime de champs inondés » par ce même CODESUR dont il conteste la légalité.

En effet, Tifoudiba Tindano a reconnu qu’il a reçu du CODESUR, un sac de 25 kg de riz pour une de ses épouses, 3 couvertures, 2 tapis de sol, un kit alimentaire et un kit de cuisine, etc. Selon notre source, Tifoudiba aurait mené une opération de charme auprès des services de l’Action sociale afin de jouir d’un traitement de faveur. En effet, le vice-président de l’ADDM a tenté de faire passer quelques membres de sa famille comme sinistrés des inondations. Mais, il nie avoir demandé un quelconque favoritisme.

Les premières tâches du CODESUR et des services de l’Action sociale, ont consisté à dénombrer les « sinistrés » de l’inondation, et à établir une fiche de distribution de vivres et matériels dans les départements de Manni, Coalla, Thion et Bogandé commune. Au total, en dehors de Bogandé commune, 18 824 sinistrés des inondations ont été dénombrés dans les trois départements. Alors que les services techniques étaient sur le terrain pour parachever le dénombrement des familles sinistrées, les secours d’urgences depuis Ouagadougou ont commencé à arriver dans la province. En l’espace de 21 jours, le CONASUR, structure nationale qui existe depuis le 5 mars 1993, convoie dans la Gnagna, 32 lots de matériel de survie.

Ces dons sont constitués de : nattes, tapis-moquettes, savon, friperies, pots de défécation, couvertures, matelas, seaux, bidons vides de 5 litres, bouilloires, assiettes en plastique et métallique, tee-shirts et pagnes. Au titre des vivres il y avait : 37 tonnes de maïs ; 82 tonnes de riz et 60 kits alimentaires. Un kit alimentaire est composé de riz, d’huile, de biscuits, du petit lait conditionné, de sucre, de poids conditionné en boîte. L’arrivée de l’aide a surpris les structures techniques au point qu’elles ont été débordées par l’ampleur de la tâche.

Très vite, il fallait chercher et trouver immédiatement des magasins de grande capacité de stockage, solliciter une forte main- d’œuvre, trouver des charrettes à traction asine… Pour parer au plus pressé, l’Action sociale et le CODESUR vont solliciter, sans notification administrative, l’appui des forces de l’ordre et de sécurité, de la Croix-Rouge, des volontaires et anonymes et même des élèves du lycée départemental de Manni. Sans prise en charge financière, toutes ces forces ont contribué dans un élan de solidarité, à soulager les populations sinistrées.

Détournement ou récompenses des efforts communs ?

Sans note écrite adressée au préalable à leurs propriétaires, trois magasins ont été pris pour le stockage des vivres et du matériel. Il s’agit des magasins de l’ONG Tin-Tua, du CRPA (Centre de recherche et de promotion agricole) et de l’ICODEV (Initiative communautaire pour le développement) pour lesquels des gardiens ont été « recrutés » sans rémunération.

Aussitôt, les clés sont retirées des mains de leurs propriétaires, à l’exception de celles du magasin ICODEV détenues entre-temps, par Gaston Lankoandé et Clément Biraba Lankoandé, tous deux agents alphabétiseurs. Ces derniers ont leurs bureaux dans ces mêmes bâtiments. D’ailleurs, ces deux personnes sont incriminées par un écrit de l’ADDM, dans lequel elles sont accusées d’avoir détourné des vivres et du matériel.

Tifoudiba Tindano, le vice-président de l’ADDM, résidant à Manni, a refusé toute responsabilité dans la rédaction de l’article qui accuse les sieurs sus-cités. Quand nous lui avons demandé s’il a été témoin oculaire du détournement des vivres et du matériel par Gaston Lankoandé et Biraba Lankoandé, il a répondu : « quelqu’un est venu une nuit, vers 22 h m’en informer ». Durant notre séjour à Manni, ce « quelqu’un » dont le nom a été communiqué, n’a pas été retrouvé.

Tifoudiba Tindano a soutenu que « son informateur » lui avait déclaré avoir vu sortir du magasin du CRPA, une charrette chargée de 5 matelas « volés ». Par contre, Parata Zoré, le gardien en service aux magasins de l’ICODEV a confirmé qu’en dehors des services de l’Action sociale, il n’a pas vu Gaston Lankoandé et Clément Biraba Lankoandé subtiliser nuitamment des dons destinés aux sinistrés. D’ailleurs ces deux accusés et le vice-président de l’ADDM ont déjà été entendus par la gendarmerie.

Quant à Dramane Tonrogbo, agent en service à l’Action sociale de Manni, une certaine opinion le soupçonne, sans preuves matérielles, de détournement de vivres et du matériel. Des sources non vérifiables ont affirmé que Dramane Tonrogbo a frauduleusement fait sortir des magasins, une quantité de vivres et de matériels qu’il aurait ensuite fait vendre à Kaya et Bogandé.

Il ressort effectivement de notre enquête menée auprès des populations, des commerçants et des chauffeurs de la ligne Manni, Taparko et Kaya qu’une telle cargaison de charrettes ne pouvait passer inaperçue. Selon les services techniques, le 26 février 2010, un camion de 10 tonnes s’est rendu à Manni où il a fait le plein de matériels. Quelques jours plus tard, un mini-car de type Dinna est venu aussi charger 30 kits alimentaires.

Toutes ces charges ont été convoyées et remises aux sinistrés du village de Siamou et de Bogandé commune. Ces mouvements de camions vers Bogandé ont été confirmés par les services de l’Action sociale, et le haut- commissaire de la province de la Gnagna, président du COPROSUR. Le retrait de ces vivres et matériel a été perçu par certains habitants comme une opération mercantiliste et frauduleuse.

Après avoir donc porté secours aux vrais et faux sinistrés (des personnes ayant fait intentionnellement glisser leurs noms sur les fiches de recensement), le CODESUR et les services d’accompagnement ont refait l’état de la distribution générale. Du constat, il est ressorti qu’il y avait toujours un reste substantiel de l’aide.

A partir de là, interviennent des insuffisances dans l’organisation. Plusieurs fois, à la faveur de la nuit, les services techniques ont fait sortir des vivres et du matériel. Aidés dans leur entreprise par Diagnangou Bourgou et Issiaka Tindano (élève), les acteurs de ce détournement ont fait sortir les dons et les ont stockés aux domiciles d’Emile Guida et de Dramane Tonrogbo, deux agents de l’Action sociale, avant de les distribuer dans la nuit à des personnes qui n’en avaient pas droit. Les auteurs de tels actes ont dit avoir reçu l’accord de la hiérarchie.

La liste des heureux bénéficiaires est connue : les 3 préfets (Haro Kanfiagui, Pascal Thiombiano et Désiré Ouédraogo) des départements de Manni, Coalla et Thion, le maire de Manni ( Koamba Bourgou) et son premier adjoint ( Hubert Tindano), le chef de Manni, le chef de zone d’encadrement agricole (Kirakoya Tindano), le représentant du Centre de santé et de promotion sociale (CSPS) en la personne de Zacharia Sawadogo, les agents de police et de gendarmerie, Emile Guida et Dramane Tonrogbo de l’Action sociale, les personnes anonymes comme Diagnangou Bourgou, Issiaka Tindano.

Quelquefois, pour masquer ce favoritisme, des « personnes de bonne volonté » ont été présentées comme sinistrées. Une autre polémique : au regard de ses accointances avec une autorité départementale, Irène Bourgou, une commerçante à Manni a été revêtue, par la clameur publique, de statut de « bénéficiaire spéciale » des vivres et du matériel sans que personne ne puisse en apporter la moindre preuve.

Elle aurait fait fortune dans le commerce, grâce aux vivres des sinistrés. Mais, nous avons pu vérifier qu’elle appartient à une famille dont le père (Bouga Bourgou) et le frère (Dadja Bourgou) se sont fait enregistrer respectivement comme sinistrés sous les numéros 05 et 202.

Les parents d’Irène Bourgou ont donc disposé de vivres et de matériel en plein jour comme toutes les autres familles déclarées. D’ailleurs, à l’exception des forces de l’ordre et de sécurité qui sont restées muettes à notre passage à Manni, toutes les autres personnes interrogées nous ont confirmé quelles ont reçu « quelque chose » , alors qu’aucun texte en la matière ne les y autorise. « Tous les services techniques de Manni ont reçu quelque chose. On les a privilégiés au détriment des sinistrés », signe et persiste Tifoudiba Tindano.

Cette affaire de détournement de vivres et de matériel à Manni, a necessité que le procureur du Faso à Bogandé demande l’ouverture d’une enquête judiciaire. De nombreuses personnes ont été auditionnées à la gendarmerie de Manni. Le constat est que cette affaire cache de nombreux règlements de comptes entre les fils de la localité qui ont déplacé le débat sur le terrain politique.

Idrissa NOGO (idrissanogo@yahoo.fr)


Le CODESUR et ses insuffisances

Le CODESUR de Manni a été réactivé le 18 janvier 2007 par arrêté préfectoral N° 2007-001 / MATD/REST/PGNG/DMN portant création du Conseil département de secours d’urgence et de réhabilitation (CODESUR). L’existence du CODESUR est antérieure à la survenue des inondations dans le département. L’article 4 de l’arrêté stipule que le « préfet est le président du CODESUR ».

Le même article précise que le « chef de zone d’encadrement agricole, le chef de poste du Centre de santé et de promotion sociale (CSPS), le commandant de brigade de gendarmerie, le commissaire de police, le chef de service départemental de l’Environnement et du Cadre de vie, l’inspecteur et chef de la circonscription de l’Enseignement de base, et le coordonnateur du Programme de gestion des ressources naturelles » sont membres du CODESUR. Il y est également mentionné que le « chef de poste du CSPS assure le secrétariat permanent du CODESUR ».

Aucune disposition de l’arrêté du préfet de Manni n’indique que les membres du CODESSUR, les services techniques et le personnel d’appui peuvent, en cas de « restes », se servir en vivres et matériel destinés aux victimes des inondations.

Le CODESUR et les services de l’Action sociale ont outrepassé leurs attributions en faisant sortir nuitamment les vivres et le matériel pour les dispatcher aux burkinabè d’en haut de la localité sans se prémunir de dispositions administratives écrites de la hiérarchie. En outre, tous ceux qui ont porté main forte aux structures de l’Etat, s’attendaient à une rémunération en espèces sonnantes et trébuchantes. Le CODESUR est la structure au niveau des départements. Au niveau de la province, il y a le Conseil provincial de secours d’urgence et de réhabilitation (COPROSUR).

Dans les 13 régions du Burkina, on trouve le Conseil régional de secours d’urgence et de réhabilitation (CORESUR). Tous ces organes opérationnels qui visent, en fait, à améliorer les moyens de lutte contre les effets des catastrophes sont les démembrements du Conseil national de secours d’urgence et de réhabilitation (CONASUR). Le CONASUR a été créé le 5 mars 1993.

Ces antennes d’intervention rapide existent déjà sur papier, on les réactive en cas de besoin. Dans des situations de catastrophes, ces structures ont pour mission de protéger les vies humaines, d’optimiser le contrôle des pertes en vies humaines et des biens et de réduire l’altération des biens, etc.

I.N.

Sidwaya

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Vos commentaires

  • Le 2 juin 2010 à 09:56, par Tapsoba En réponse à : Sinistrés de la Gnagna : Des dons « détournés » ?

    Certes, dans le droit pénal,un vol reste un vol donc condamnable.Néanmoins,vous auriez pu faire oeuvre utile en investigant sur les cas des « fausses attributions » de 1500 parcelles aux résidents de Yagma qui se sont vus dépossédés de leurs terres. Car,pendant que le premier ministre martelle qu il y a eu attributions de 1500 parcelles ,les concernés par la voix de leurs représentants,les chefs coutumiers, affirment qu il n y a eu en réalité qu une soicantaine d attributaires sur plus de 1800 habitans .Au lieu de ces petites histoires de sacs ou de kit.

    Quid du cas de ce vaillant serviteur de l Etat au ministère des finances qui broie le noir pour avoir commis comme crime,commendité un audit dans son service qui révélera des détournements d argent d une valeur de 581 millions de fcfa impliquant des personnalités de l Etat.N en pouvant plus d être victime d une machination dont les hauts faits sont la ménace de mort en passant par la privation de salaire pendant 8 mois,il s en remet au président du Faso.Ce ces genres de scandales qu il faudrait révéler au grand public chers journalistes de sid-sa-ya... euh pardon sidwaya.

  • Le 2 juin 2010 à 17:38 En réponse à : Sinistrés de la Gnagna : Des dons « détournés » ?

    Tout le Burkina Faso est cinistre. D’accord. Ca n’empeche pas des hauts fonctionnaires de casser du sucre sur le dos des populations en surfactruant, en volant, en detournant l’aide au development. Les petits fonctionnaires n’ ont fait a leur mesure micro, les grands vols macro qui se font a ouaga.

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