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JACQUELINE LOHOUES OBLE (Candidate à la présidentielle ivoirienne) : "Je suis venue pour séparer la bagarre"

Publié le lundi 26 avril 2010 à 01h49min

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Dans la faune des candidats à la prochaine élection présidentielle en Côte d’Ivoire, elle est l’unique femme. Jacqueline Lohouès Oble, puisque c’est d’elle qu’il s’agit, est la première femme en Afrique subsaharienne professeur agrégé de droit privé et ce depuis 1983. Doyenne de la faculté de droit de l’Université d’Abidjan (1986-1989), ministre de la Justice (1990-1993) au sein du gouvernement du Premier ministre Alassane Dramane Ouattara, elle a été députée RDR. Jacqueline Lohouès Oble démissionnera non seulement du parti d’Alassane Dramane Ouattara le RDR mais aussi de son mandat de parlementaire. Une première dans la sous-région et même sur le continent, nous a-t-elle confié. Au cours d’un séjour sur les bords de la Lagune Ebrié au mois de mars dernier, nous avons pu échanger avec la candidate Jacqueline Lohouès Oble. Avec elle, nous avons abordé les raisons de sa candidature et bien d’autres sujets dont l’Accord politique de Ouagadougou.

"Le Pays" : Qu’est-ce qui vous a guidé à briguer la magistrature suprême en Côte d’Ivoire et surtout à être candidate indépendante et non sous la bannière d’un parti politique ?

Jacqueline Lohouès Oble : J’ai constaté avec beaucoup d’autres Ivoiriens que notre pays sombre de plus en plus. Et c’est un cri du coeur de la femme que je suis qui ne veut pas regarder les choses aller de mal en pis parce que depuis près de deux décennies, nous avons 3 leaders qui se disputent le pouvoir. A force de le disputer, nous avons eu la guerre et nous sommes dans une grande crise depuis près de 8 ans. Quand on parle de crise, il y a des conséquences que sont la faim, la maladie, le chômage des jeunes, la déscolarisation des enfants et bien d’autres puisque la liste est très longue.

Je dis non parce que nous ne pouvons pas continuer à regarder les choses évoluer ainsi et en Afrique, quand deux personnes se battent il faut une autre pour les séparer. Je suis venue le faire. Ils se sont suffisamment battus et avec nous, ils ont amené la Côte d’Ivoire dans cette bataille. Nous devons arrêter cela et envisager le futur de façon plus sereine. Du coup, cela explique pourquoi je me suis engagée comme indépendante et ainsi, je suis plus armée pour réunir tous les Ivoiriens. Quand on est d’un parti politique, on a des partisans et on se bat pour son parti et c’est la petite histoire de la CEI (Commission électorale indépendante) que chaque parti veut dominer. Pour un indépendant, l’objectif final, c’est la Côte d’Ivoire et on se bat pour l’intérêt du pays. Hier, être candidate indépendante cela pouvait être un handicap mais, dans l’état actuel de notre pays après tant d’années de souffrance, c’est un atout.

Qu’est-ce que vous proposez de nouveau aux Ivoiriens et qu’ils n’ont pas entendu des autres hommes politiques ?

C’est d’abord mon engagement, le respect de la parole donnée. Si les Ivoiriens viennent vers nous, c’est parce qu’ils savent que je suis une femme de principe et je voudrais que toutes ces valeurs reviennent. Nous vivons dans le même pays, connaissons la population et les problèmes. C’est donc normal que chacun dise : "regardons l’état de l’école pour faire quelque chose, faisons quelque chose pour la jeunesse et la femme". Mais, ce qui va faire la différence, c’est d’abord la personne qui va mettre en oeuvre cela et vous ne pouvez pas par exemple parler de l’enrichissement illicite si vous-même avez les mains sales.

Comment les femmes de Côte d’Ivoire ont réagi par rapport à votre candidature ?

Le 8 mars dernier, lors de la célébration de la Journée internationale de la femme, toutes les femmes, quel que soit leur bord politique, et qui se sont exprimées, ont salué l’avènement d’une femme candidate. Il y en a qui ont appelé à la soutenir et à voter pour elle. A partir de ce moment, je mise sur les femmes, les jeunes et je me dis que si la femme est d’accord, son mari le sera et ses enfants aussi.

Pourquoi après avoir été ministre au temps du PDCI/RDA puis députée sous la bannière du RDR, vous ayez pris vos distances de ce parti ?

Cela fait 10 ans que j’ai quitté le RDR. Non seulement, je suis partie du parti mais j’ai démissionné de mon mandat parlementaire. A-t-on déjà vu dans un pays, un député quitter un parti politique, aller dans un autre et démissionner de son mandat parlementaire ? Cela ne s’est pas encore vu en Afrique ni même aux États-Unis où un sénateur républicain a rejoint Barack Obama qui est démocrate, sans démissionner de son mandat. Je considère qu’il faut être honnête intellectuellement. Vous avez obtenu un poste électif et même s’il y a le capital de la personne qui compte, vous y êtes parvenu sous la bannière d’un parti et si vous n’y êtes plus il est bon de laisser ce mandat. Je ne l’ai pas fait parce que ma situation financière est bonne mais c’est un choix. J’ai été membre fondateur du RDR dont j’ai rédigé les statuts et en tant que juriste, j’aime bien qu’on se conforme à la loi. Elle peut ne pas convenir à une frange de la population à un moment donné mais on peut la combattre autrement que de prendre des couloirs pour aller contre celle-ci au risque d’amener le pays dans le désordre. Quand ce genre de question se pose et que je ne peux pas faire changer les choses, je préfère prendre du recul.

Lequel des 3 grands partis que sont le FPI, le PDCI/RDA, le RDR, vous sentez-vous proche par le programme politique et que vous soutiendrez s’il y a un 2e tour de la présidentielle au cas où vous n’y êtes pas ?

Je voudrais que vous sortiez d’ici en vous disant que cette dame qui est en face de vous sera présidente de la République. Quand les gens parlent de 3 grands partis politiques, je veux qu’on me dise qu’ils le sont par quoi. Si c’est par les populations, qui sont avec eux, est-ce qu’ils savent combien d’Ivoiriens sont avec moi. Il ne faut pas voir cela sur le plan mathématique. Ce n’est pas parce que je suis Baoulé que tous vont voter pour moi et il en est de même en prenant l’exemple avec les Bétés et les Dioula. S’il en est ainsi moi qui suis Adioukrou une petite ethnie, un seul département (NDLR : au Sud de la Côte d’Ivoire), je n’ai plus de chance. Je suis une intellectuelle et je ne raisonne pas comme ça.

J’ai un message que je porte aux Ivoriens de toutes les régions de la Côte d’Ivoire. Si les Ivoiriens s’y retrouvent, qu’ils viennent pour qu’on travaille ensemble. Selon les résultats que les Ivoiriens voudront bien nous donner, si je suis au 2e tour, j’irai vers ceux qui n’y sont pas pour discuter avec eux. Si les Ivoiriens décident autrement, je discuterai avec ceux qui viendront vers moi et on verra. Ce qui me tient à coeur, c’est la question de la gouvernance, parce que je considère que nous sommes un pays béni de Dieu avec toutes les ressources que nous avons. Si elles sont bien gérées et la répartition bien faite il ne peut pas y avoir cette pauvreté que nous connaissons en Côte d’Ivoire.

Comment peut-on expliquer qu’à peine avez-vous annoncé votre candidature que vous vous êtes rendue à Ouagadougou pour rencontrer le président du Faso, Blaise Compaoré ?

Je l’ai rencontré parce qu’il est le Facilitateur. L’Accord politique de Ouagadougou a été fait avec sa bénédiction. A partir de ce moment, dès lors que je suis candidate, il était tout à fait normal que je lui rende une visite. Avec les autres candidats, nous avons rencontré son représentant en Côte d’Ivoire et le représentant du secrétaire général des Nations Unies qui sont impliqués dans la sortie de crise.

Comment analysez-vous l’Accord politique de Ouagadougou qui devait être à son terme depuis bien longtemps ?

L’Accord politique de Ouagadougou tel qu’il a été fait, nous devrions avoir les élections 10 mois après mais nous venons de fêter son 3e anniversaire. Nous n’avons pas encore obtenu la réunification du pays et en le disant, je ne fais que reprendre les termes du Premier ministre Guillaume Soro. Il était récemment en conclave dans la zone CNO (Centre Nord Ouest) pour parler de l’unicité des caisses, du désarmement. Depuis que la liste électorale provisoire est sortie nous en somme encore là pendant qu’on dit que nous avons avancé. En plus, il y a eu le renouvellement de la CEI. Malgré tout, je voudrais féliciter les acteurs pour qu’ils continuent de s’impliquer dans la résolution de la crise. De toute façon, quelle que soit la qualité de l’Accord, si les personnes appelées à la mettre en oeuvre ne sont pas de bonne foi ou si la volonté politique n’existe pas, nous n’avancerons pas.

En tant que juriste, quel commentaire faites-vous de l’utilisation par le président de la république de l’article 48 de la constitution pour dissoudre la CEI ?

Cette disposition existe mais ne peut être utilisée qu’à titre exceptionnel. Or depuis que la crise s’est déclenchée, le président de la République a eu plusieurs fois recours à cet article pour prendre des décisions. Je me disais, le jour où il a pris la décision concernant la CEI, que c’est la dernière fois qu’on l’utilise. Pour l’utiliser, il y a 2 conditions concernant le fond et la forme. La condition de fond, c’est que le pays soit en danger, qu’il y ait blocage des institutions. En ce qui concerne la CEI, il y avait un problème et on ne savait pas comment le résoudre puisque ,nous étions tous là en train d’attendre. Le président de la CEI ne voulait pas démissionner et son parti le soutenait. Au niveau de la condition de forme, il fallait avoir le consentement à la fois des présidents de l’Assemblée nationale et du Conseil constitutionnel. J’ai dit en son temps que le président Laurent Gbagbo en déclarant à la Télévision qu’il dissolvait ces 2 institutions, n’a pas dit que ces institutions avaient été consultées.

Qu’est-ce que vous auriez aimé dire que nous n’avons pas pu aborder ?

J’aimerais dire que l’espoir est permis malgré tout et je voudrais l’incarner . A voir ces jeunes diplômés qui ne peuvent pas travailler ou encore ceux qui ne peuvent pas aller à l’école parce qu’elle est mélangée comme on le dit chez nous, cela fait mal. S’il n’y a pas d’espoir, on ne sait pas qui va nous représenter demain. Or ce sont eux qui doivent assurer la relève. Nous sommes là pour leur dire : "continuons de nous battre et nous finirons bien par arriver". Je voudrais aussi dire à nos amis candidats qu’on appelle les grands qu’il faut qu’on aille véritablement vers les élections pour soulager la population. Celle-ci souffre énormément de maladie, de faim, de mal gouvernance, d’enrichissement illicite. Pour y mettre fin, donnons la parole aux Ivoiriens. Ce que je souhaite également, c’est que les politiques mettent un point d’honneur à faire en sorte que l’intégration régionale soit une réalité. Au plan du droit, il y a des textes communautaires en matière du droit des affaires et bien d’autres. Il suffit que les traités que nos chefs d’Etat signent et qui sont ratifiés par nos parlements soient mis en application. Les populations ne demandent que ça.

Propos recueillis à Abidjan par Antoine BATTIONO

Le Pays

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