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Indépendance : Les élites indigènes dans le sillage de la politique métropolitaine

Publié le mercredi 21 avril 2010 à 03h25min

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Daniel Ouezzin Coulibaly et Maurice Yaméogo

Daniel Ouezzin Coulibaly et Maurice Yaméogo ont été les figures emblématiques de la politique voltaïque. Ouezzin a beaucoup plus servi en Côte d’Ivoire où par le hasard des circonstances, il avait lié amitié avec Félix Houphouët Boigny, à qui il restera fidèle jusqu’à sa mort. Quant à Maurice, c’est par le jeu politicien qu’il parvint au sommet de l’Etat. Sa trahison au GSV (Groupe de solidarité voltaïque) et la mort prématurée de Ouezzin ont été pour beaucoup dans son accession au pouvoir en 1960.

Le souci de l’école coloniale française n’était pas la formation des cadres indigènes. Elle s’est implantée dans le but de former des auxiliaires indigènes pour s’occuper de ses intérêts. Mais l’enseignement des valeurs d’égalité et de fraternité, même dévoyé, dans le cadre de l’école coloniale, a occasionné une prise de conscience chez les nouvelles élites indigènes, qui se sont mises à revendiquer plus de dignité et plus de considération pour leur peuple.

Dans la colonie de Haute Volta fondée en 1917 et disloquée en 1932 avant d’être reconstituée en 1947, les revendications sont incarnées par l’éminente figure Daniel Ouezzin Coulibaly, enseignant devenu un redoutable agitateur politique. En effet, Ouezzin Coulibaly a été le directeur de l’école primaire publique de Banfora avant d’être appelé par Alfred Dirand, directeur de la célèbre école William Ponty comme surveillant général et chargé de cours de pédagogie. Il est resté dans cette fonction de 1934 à 1945. Il a été pendant tout ce temps l’encadreur et le formateur des futurs instituteurs, fonctionnaires de l’administration générale, médecins, pharmaciens et vétérinaires des colonies de l’Afrique occidentale et de l’Afrique équatoriale françaises. A propos de ses qualités de bon enseignant, Gabriel d’Arboussier, son compagnon du Rassemblement démocratique Africain (RDA) a dit de lui qu’il : " était un être d’exception, absolument remarquable, une intelligence prodigieuse, infatigable…

Il possédait un ascendant, car il a été le premier instituteur africain à avoir accédé au cadre supérieur et il était surveillant général de William Ponty où il avait formé des générations d’élèves. Il avait été un très jeune surveillant général et très jeune dans le cadre supérieur. Ouezzin Coulibaly de nos jours eût été professeur d’université pour moi cela ne fait pas de doute.", avait-il signifié. Ce produit de l’école française va s’illustrer plus tard dans le processus d’émancipation du continent africain à travers le Rassemblement démocratique Africain (RDA). Quant à celui qui le prenait pour mentor politique, Maurice Yaméogo, puisqu’il s’agit de lui, connu sous le nom de Monsieur Maurice, il a étudié à l’école primaire publique de Koudougou, sa ville natale. Il a poursuivi son cursus au petit séminaire de Pabré, chez les catholiques, de 1934 à 1939. Il est sorti de cet établissement scolaire sans diplôme.

Maurice le charismatique

Il était, à ce qu’on dit, d’une intelligence rare et d’une culture hors de commun parce qu’il avait beaucoup lu. Malgré qu’il ne soit pas diplômé, il a pu se faire recruter comme commis expéditionnaire dans l’administration coloniale. Ceux qui l’ont connu ne tarissent pas d’éloges sur son niveau de culture et son éloquence. Jacques Foccart, le père de la Françafrique a écrit dans son livre Foccart vous parle que : "Lamizana avait peur de son prédécesseur… Le nouveau chef de l’Etat savait qu’il n’avait ni le charisme, ni l’aisance de son prédécesseur qui était un orateur brillant. Yaméogo est le seul chef d’Etat africain que j’ai vu prononcer un toast à l’Elysée sans papier- un long toast, et avec beaucoup d’élégance.", assurait-il.

Ces deux hommes, Daniel Ouezzin Coulibaly et Maurice Yaméogo, avec plusieurs autres Africains ayant bénéficié de la formation de l’école coloniale, vont rythmer pendant plusieurs décennies la vie politique en Haute Volta. C’est d’ailleurs sous l’instigation d’un groupe de français qui voulait entraver l’élection de Houphouët à l’Assemblée constituante de la République française que Ouezzin Coulibaly a été poussé dans l’arène. Ce dernier sans accepter l’offre n’a pas non plus décliné. Il a demandé une permission pour regagner son pays dans l’objectif de voir exactement ce qui s’y passe avant éventuellement de se décider ou d’abandonner l’offre à lui faite. Par le hasard des choses, en partance pour la Haute Volta, il rencontre une connaissance, le docteur Doudou Guèye, Sénégalais qu’il avait connu à l’école William Ponty. C’est ce médecin qui l’a présenté à Houphouët Boigny à Dimbokro. Houphouët lui fit l’économie de la situation politique de l’époque.

Il compris alors qu’on voulait l’utiliser contre l’aristocrate baoulé. Aussitôt, il rassura Houphouët : "Les colonialistes veulent me faire jouer un rôle abject : celui du candidat qui, ne pouvant battre le Baloum Nâba, serait capable d’écarter Houphouët, faire élire le noble, mais incapable vieillard. M. Houphouët, non seulement je ne poserai pas ma candidature mais en Haute Côte d’Ivoire, je battrai la campagne pour vous. Je serai votre agent électoral." Et il tint parole. Quelle était la situation à l’époque ? A l’élection de l’Assemblée nationale constituante du 1er octobre 1945, deux sièges étaient réservés à la Côte d’Ivoire. Un siège était destiné aux citoyens du premier collège, les quelques milliers de Blancs et les Sénégalais des 4 communes : Dakar, Saint Louis, Rufisque et Gorée. Le second siège était réservé aux millions d’Africains devenus citoyens depuis l’ordonnance de De Gaulle de 1945.

Le refus d’épauler Houphouët par le Naaba Saga

Houphouët Boigny se présente comme candidat pour l’élection du deuxième collège. Pour la conquête de l’électorat, il se rend à Ouagadougou chez le moogho-naaba Saga pour solliciter son appui. L’accueil a été cordial et Houphouët dévoila ses intentions. Il voulut que le moogho adhère à sa cause et que les sujets du monarque moagha le vote pour siéger au palais Bourbon. Le moogho alla voir Monseigneur Joanny Thévenoud qui lui dit de choisir le candidat qui fera le bonheur de ses sujets et qui a la crainte de Dieu. Il consulta d’autres personnes. En fin de compte, le Baloum Naaba Tanga, un des ses ministres, a été choisi comme candidat pour représenter le moogho. Le Baloum naaba traînait deux insuffisances ; il était déjà vieux, 70 ans et était analphabète, même en cas de victoire, il ne pouvait pas participer efficacement aux joutes oratoires du palais Bourbon.

Le 21 octobre 1945, Houphouët avait recueilli 13 750 voix et le Baloum 12 900 voix, soit une courte victoire de 850 voix. Aux élections de la première Assemblée nationale législative de 2 novembre 1946, trois sièges avaient été attribués à la Côte d’Ivoire. Sur les conseils des amis, le Moogho-naaba Saga avait remplacé UDIHV ( Union pour la défense des intérêts de la Haute Volta) qui pour beaucoup était le parti des Mossis, par l’Union Voltaïque (UV). Il y eut une liste unique patronnée par Houphouët Boigny, candidat de la basse Côte d’Ivoire, Ouezzin Coulibaly et Philippe Zinda Kaboré représentaient la Haute Côte d’Ivoire. Ils seront tous élus mais 6 mois plus tard, le jeune pharmacien (moins de 30 ans), Zinda Kaboré décède brutalement en Côte d’Ivoire au moment où il s’apprêtait à regagner la France. Il sera remplacé par Henri Guissou. Entre les deux élections, le RDA était créé.

Du 18 au 21 octobre 1946 s’est tenu à Bamako le premier congrès constitutive du RDA. Formation politique d’émancipation, elle vécut des moments difficiles et Ouezzin surnommé le lion du RDA était de toutes les batailles. De la Côte d’Ivoire à la Haute-Volta, de la Guinée au Mali, du Cameroun au Tchad, Ouezzin par sa popularité arrivait à faire adhérer les masses à la cause du parti. On raconte qu’à Zérokoré en Guinée Conakry, lors d’un meeting, un ancien combattant voulu attenter à sa vie, mais avec agilité, il a pu le terrasser et le déposséder de son arme blanche.
Beaucoup d’autres actions de bravoure ont été racontées par ses camarades. C’est à l’approche des indépendances qu’il a joué un rôle politique majeur dans son pays.

Son action politique était porté sur la Côte d’Ivoire et le reste des parties du continent où était implanté le RDA. Trois rencontres discrètes avaient réuni, à Abidjan puis à Yamoussoukro, en avril 1957, les principaux leaders du RDA et du MDV. La première rencontre eut lieu chez Ouezzin à Abidjan avec Michel Dorange. La seconde entrevue eut lieu chez Houphouët, toujours Abidjan, entre Houphouët, Ouezzin, Gérard Kango Ouédraogo, Dorange, et André Blanchet. La 3è entrevue entre Houphouët, Dorange et Gérard Kango Ouédraogo. De ces conclaves, 2 séries de décisions avaient été prises. Un comité de coordination était créé. Il devait fonctionner entre le RDA et le MDV.

Le RDA s’engageait à ne pas s’étendre en pays mossi qui, tout entier, devait être pris par le MDV. Le MDV demandait à Houphouët de laisser la chance à Nazi Boni qui, s’il acceptait démissionner de son siège de député au palais Bourbon, pourrait devenir sénateur. Le protocole d’accord signé par Houphouët et Dorange prévoit 7 postes ministériels au RDA et 5 postes au MDV, 3 sièges au RDA au grand Conseil de l’AOF et 2 pour le MDV. En conclusion, les deux partis promettaient de respecter chacun cet accord. Le 17 mai 1957, Ouezzin parvenait à constituer son gouvernement. Par application de la loi cadre, le gouverneur devait présider le cabinet et le chef de gouvernement son vice-président qui n’était autre que Ouezzin était le chef de gouvernement. Il n’eut que quelque moment de répit.

Maurice trahit son parti pour le RDA

Un groupe hétéroclite composé du MDV, PSEMA, du MPA, et un indépendant connu sous le nom du Groupe de la solidarité voltaïque (GSV) avait décidé de surseoir à l’examen de budget jusqu’à la démission du gouvernement. Le gouvernement Ouezzin ne se laissa pas faire et dans les tractations, le 12 janvier 1957 dans la nuit, Maurice Yaméogo l’un du GSV avait trahi. Il put rallié son cousin Dénis à sa cause. Nader Attier, Gabriel Traoré et Alhamadou Pathé le rejoignirent. Le 6 février, Ouezzin faisait approuver par l’Assemblée une nouvelle équipe ministérielle dans laquelle Maurice passait du ministère de l’Economie agricole au ministère de l’Intérieur qui était deuxième en importance dans l’exécutif. Dénis Yaméogo et Mathias Sorgho étaient devenus membres du cabinet. Voila comment du bas, à l’approche des indépendances, Maurice Yaméogo s’était rapproché de la présidence et la mort de Daniel Ouezzin Coulibaly le 6 septembre 1958 allait faire le reste.

Par Merneptah Noufou Zougmoré

L’Evénement

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Vos commentaires

  • Le 21 avril 2010 à 14:34, par burkinabè En réponse à : Indépendance : Les élites indigènes dans le sillage de la politique métropolitaine

    Merci monsieur le journaliste.
    C’est dommage qu’un grand personnage tel Ouezzin soit méconnu des burkinabè.
    Il faut aussi ajouter que de son vivant, il n’a jamais voulu l’indépendance séparée des pays actuels (il parlait surtout de Fédération des états de l’AOF (chose que Houphouet n’éprouvait pas) et voir de toute l’Afrique de l’Ouest avec l’éminent Kwamé Nkruma) et sous lui la haute volta s’étendait jusqu’au nord de la côte d’ivoire actuelle (jusqu’à Bouaké).
    Au Sénégal, un jour dans une grande école un enseignant Sénégalais demanda au Burkinabè de sa classe s’il connaissait l’homme OUEZZIN. Pour dire simplement qu’il était grand à l’image de KWAME, MODIBO, LAMINE GAYE et j’en passe.

  • Le 21 avril 2010 à 17:24, par mackiavel En réponse à : Indépendance : Les élites indigènes dans le sillage de la politique métropolitaine

    Article bon mais un peu trop rapide sur certains points qui nécessitent un détail. A ce propos, je crois qu’il faut écrire un livre des éditions événements tant le sujet est loin d’être épuisé. Mais juste une chose, l’analphabétisme du candidat du moogho ne pouvait pas être évoquée comme un obstacle car tous les députés de l’époque ne savaient pas lire et écrire même en France et aujourd’hui chez nous c’est grave. Quant à Maurice, il me rappelle un peu un certain Pasqua Charles

    • Le 21 avril 2010 à 23:37, par jean michel En réponse à : Indépendance : Les élites indigènes dans le sillage de la politique métropolitaine

      arrêtez avec vos stéréotypes du genre "maurice était mauvais", "ouézzin était bon". Ouézzin était certainement bon encore qu’on ne connaît pas tout de lui mais maurice aussi avait des bons côtés et a fait de bonnes choses : départ des troupes, fin de certaines pratiques rétrogrades, ORD... Arrêtons de ne parler que de son remariage :lui au moins sa maîtresse, il l’a épousée !

  • Le 21 avril 2010 à 23:27 En réponse à : Indépendance : Les élites indigènes dans le sillage de la politique métropolitaine

    il faut lire pour cela le livre de son excellence feu albert salfo balima qui retrace une partie de l’histoire de la haute volta, avec des citations de dorange et une bibliographie bien fournie, Légendes et histoire des peuples du Burkina Faso. Paris,. France : J.A. Conseil, 1996.

  • Le 21 avril 2010 à 23:39, par robin En réponse à : Indépendance : Les élites indigènes dans le sillage de la politique métropolitaine

    la politique est faite de revirements. Et Gérard, il n’a pas trahi son parti ?

  • Le 21 avril 2010 à 23:43, par roger En réponse à : Indépendance : Les élites indigènes dans le sillage de la politique métropolitaine

    le terme "rusé" qu’on utilise dans cet article pour Maurice, moi je le change et je dis "politique hors pair". Oui, maurice était intelligent, le plus intelligent d’ailleurs de tous les chefs d’Etat qui se sont succédé dans notre pays, et chapeau qu’un petit Moaga de souche paysanne ait pu accéder à la magistrature suprême sans l’aide d’une formation politique mais par son seul charisme. Et j’ajoute qu’on n’a retenu, depuis 1966, que les mauvais côtés de son passage aux affaires en oubliant royalement tous ceux qui étaient à ses côtés comme les Gérard et autres qui se sont enrichis, qui étaient comptables de la gestion du pays et qui l’ont laissé tomber comme une vieille chaussette dès qu’il est tombé en essayant encore de l’utiliser après sa libération .Car lui, Maurice, il a payé sa dette à la société.

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