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GOUVERNANCE AU BURKINA : Questions à Tertius Zongo

Publié le mercredi 21 avril 2010 à 03h15min

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Le Cercle d’éveil (CEDEV) s’interroge sur la politique du Premier ministre Tertius Zongo, en l’interpellant dans la déclaration ci-dessous, sur la question de la gouvernance au Burkina.

Pour une fois, dans son habituel discours sur l’état de la Nation à l’Assemblée nationale le 25 mars 2010, le Premier ministre avait une excuse toute trouvée pour expliquer l’impuissance et les déconvenues de son gouvernement au triple plan économique, social et politique : la combinaison de la crise financière qui frappe le monde depuis plus de deux ans, avec la catastrophe pluvieuse du premier septembre 2009. A eux seuls et de façon mécanique, voilà les deux fléaux qui expliquent l’appauvrissement sans cesse récurrent des populations, la précarité du système sanitaire, la dégradation des conditions de vie et de sécurité dans un contexte de vie chère fortement marqué par :
- l’inflation généralisée ;
- La perte du pouvoir d’achat ;
- L’abdication de l’autorité de l’Etat ;
- La normalisation et l’institutionnalisation de la corruption. En clair, Monsieur le Premier ministre nous fait croire que s’il n’y avait pas la crise mondiale et cette pluie diluvienne, le Burkina Faso se porterait le mieux du monde.

Là où le bât blesse, c’est qu’il y a quelques années, il n’y avait ni crise mondiale, ni pluie diluvienne et le Burkina n’allait pas pour autant mieux ! Alors à qui la faute Monsieur le Premier ministre ? Ce qui est frappant dans la politique que vous menez, c’est l’absence critique de priorité, si bien que les dépenses et les actions qu’elles sont censées financer finissent par ne répondre à aucune des préoccupations quotidiennes de nos concitoyens, ou qu’elles en sont si éloignées qu’elles doivent cacher les intérêts occultes d’un petit nombre. Comment un pays comme le nôtre (éternel occupant des derniers rangs selon le classement du programme des Nations-Unies pour le développement) , peut-il se permettre le luxe de "claquer" 1,2 milliard de nos francs pour figurer à une coupe d’Afrique des nations (CAN 2010), et compter sur la charité de généreux donateurs occidentaux pour que nos Centres hospitaliers soient dotés d’équipements aussi capitaux pour la prévention du cancer de sein que les mammographes, alors que l’économie de cette promenade sportive de luxe aurait permis d’acheter plus d’une centaine de ces appareils.

Notre démocratie, dites- vous : ""est non imposée par le sommet mais construite de bas en haut..."", gageons que s’il nous était permis de recueillir l’avis du peuple entre ces deux priorités, le choix serait évident, et leur bon sens irait à la santé plutôt qu’au foot. Je ne vous apprends rien également sur le sujet en vous disant que nos compatriotes victimes d’un cancer du sein, pour subir la radiothérapie, qui leur est indispensable, sont obligées de s’expatrier, soit dans la sous-région (Ghana), soit en Europe pour celles qui en ont les moyens. L’immense majorité qui est privée de moyens doit se résoudre tout simplement à mourir dans le silence, selon la volonté divine. La question qui nous vient à l’esprit, Monsieur le Premier Ministre, est c’elle de savoir pourquoi le Burkina Faso, cinquante ans après son accession à l’indépendance, ne dispose pas d’un service de cancérologie et d’une unité de radiothérapie ?

Sans doute parce les dignitaires de l’Etat atteints de cette pathologie n’ont aucun problème pour se prendre en charge ou se faire évacuer en cas de nécessité. Dans une telle situation, ne vaut-il pas mieux sauver les vies de nos compatriotes plutôt que de transporter les Etalons à l’autre bout de l’Afrique pour les faire (vibrer) dans une compétition où les performances du Burkina sont chroniquement médiocres ? L’absence de vision stratégique de votre gouvernement se répercute dans tous les secteurs d’activités. En effet, sur le plan de la gestion de l’énergie, avec une croissance annuelle de la demande en énergie électrique se situant autour de 13%, non seulement vous êtes jusqu’à présent incapable :
- De lancer une véritable campagne d’économie d’énergie pour réduire la facture nationale assortie d’un plan d’isolation des bâtiments publics ;
- De définir des critères de performances énergétiques pour tous les nouveaux équipements ;
- D’inciter au développement des énergies renouvelables (éolienne, solaire etc.…), en particulier en fixant de nouveaux critères pour tous les appels d’offres publics ;
- Proposer un éventail d’incitations fiscales de nature à favoriser les investissements dans le secteur de l’énergie et des économies d’énergies.

Mais il y a pire puisque la politique de développement énergétique mise en œuvre par la Société nationale d’électricité (SONABEL) est tout simplement désuète. Il y a quelques mois, vous placiez au rang de panacée l’interconnexion avec la Côte d’Ivoire et aujourd’hui, vous rendez les défaillances de cette interconnexion responsables de tous les délestages et désagréments que nous vivons à longueur de journée. Vos stratèges ont-ils oublié que pour nous donner de l’électricité encore fallait-il que les Ivoiriens aient des excédents ? Ont-ils oublié d’élaborer un plan de rechange au cas où une centrale ivoirienne tomberait en panne ou serait mise en maintenance ? Ont-ils également oublié qu’en cas de reprise de leurs activités économiques, les Ivoiriens commenceraient par consommer leur électricité avant de nous la revendre ?

Ils n’ont certainement pas oublié tous ces aspects, mais en fait, la réalité de la situation que nous vivons c’est que les milliards de francs investis dans l’interconnexion, devaient être dépensés pour servir les intérêts de tous les prévaricateurs qui rôdent autour du pouvoir. Par ailleurs, on attend des miracles de la centrale de douze (12) mégawatts de Komsilga, qui devait soulager les populations, mais là encore, il faut s’attendre au pire si l’on en croit la rumeur concernant les conditions d’exécution de ce marché par les attributaires et les retards accumulés du fait d’un amateurisme sans limite. Pouvez-vous nous dire, Monsieur le Premier ministre, pourquoi l’acheminement jusqu’à Ouagadougou par voie terrestre est-il actuellement bloqué ? Pouvez-vous nous dire pourquoi les études techniques des ouvrages d’art situés sur les parcours des engins destinés au transport de cette centrale n’ont pas été faites au point qu’on se rend compte seulement aujourd’hui qu’ils ne supporteront jamais la charge ? Est-ce cela que vous appelez avoir une stratégique pour épargner à nos concitoyens les plans de délestage intempestifs qu’ils supportent chaque jour à cause des retards pris dans la livraison de la centrale de Komsilga ?

Enfin, comment comptez- vous piloter le développement économique de ce pays et le placer au rang de pays émergent, en le faisant accéder à la catégorie des dragons d’Afrique conformément au programme quinquennal du militant émérite du Congrès pour la démocratie et le progrès (C .D.P), alors que votre gouvernement est incapable de proposer une politique énergétique frappée au coin du bon sens ? Sur le plan social, le rendement des politiques et stratégies développées à l’échelle nationale est inquiétant. On parle sans cesse de priorité qui serait accordée à :
- L’éducation ;
- La santé ;
- etc.… Alors que la seule priorité que l’on puisse lire dans vos actions, c’est le sacrifice du service public et la privatisation à outrance de notre système éducatif au profit de tous ceux qui veulent exploiter le désir légitime des parents à donner une éducation de qualité à leurs enfants. Comment peut-on aller de l’avant, lorsqu’on démissionne soi-même, devant une priorité absolue ? Et que l’on fait d’une mission républicaine, un simple business ?

Si l’on revient sur la question de la santé, il n’y a pas davantage de cohérence et de vision à court, moyen et long terme dans les actions qui sont menées à renfort de milliards prélevés sur le budget national on quémandés dans les caisses des institutions internationales. Là encore, ce n’est pas parce qu’on dépense des milliards à tout vent que la santé de nos populations s’améliore, mais c’est certainement grâce à ces milliards que la fortune de quelques-uns (parents, amis et connaissances) augmente jusqu’à l’insolence. Pour preuve, dans le cadre de la lutte contre le paludisme, le conseil des ministres en sa séance du mercredi 7 avril 2010, vient de valider des appels d’offres pour la fourniture au total de sept millions cent mille (7 100 000) moustiquaires imprégnées à longue durée d’action (MILDA) dont le détail est le suivant :

Au terme des autorisations de passation de marchés divisé en 13 lots récapitulés dans le second tableau, le conseil arrête le total des attributions à vingt milliards trois cent soixante huit millions cinq cent soixante douze mille quatre cent quatre (20 368 572 404 ) FCFA TTC, alors qu’une simple addition des sommes individuellement, affiche un montant de vingt deux milliards trois cent trente huit millions quatre cent cinquante mille huit cent quatre ( 22 338 450 804) FCFA, soit un écart de un milliard neuf cent soixante neuf millions huit cent soixante dix huit mille quatre cent ( 1 969 878 400) FCFA, un détail sans doute, car il est vrai, au stade où nous en sommes, qu’un ou deux milliards de plus ou de moins, ne compte plus. Comment peut-on expliquer le fait que le conseil des ministres entérine au titre des attributions du sixième rapport un budget global de 20 368 572 404 Francs alors que la somme des marchés attribués s’élève à 22 338 450 804 Francs occasionnant ainsi un écart de 1 969 878 400 Francs ?

Est-ce une erreur de calcul, ou faut-il y voir quelque chose de moins glorieux ? Mais plus sérieusement et en s’adressant au grand économiste et financier chevronné que vous êtes, comment un pays qui produit du coton, qui a une certaine tradition industrielle dans ce secteur, et qui se veut émergent, peut-il se payer la fantaisie de claquer vingt quatre milliards vingt un millions cent sept mille deux cent quatre (24 021 107 204) Francs pour importer des produits aussi élémentaires à fabriquer sur place cinquante (50) ans après son accession à l’ indépendance et dont l’essentiel des sommes en cause finiront dans les caisses de sociétés attributaires, qui n’appartiennent même pas pour l’essentiel au secteur de la santé (BTP, Immobilier, moto- cycle, plaques d’immatriculation…) ? Avec une balance commerciale sans cesse déficitaire (détérioration de 33,5 milliards de nos francs en 2009), ces 24 milliards, justifieraient peut-être que l’on songe à fabriquer sur place un produit aussi simple et dont l’utilité se répète d’année en année. Mais notre souci n’est certainement pas de créer des activités durables, créatrices d’emplois et à même de donner un pouvoir d’achat aux populations dans ce pays, mais de donner sur le dos de la santé de nos populations des occasions exceptionnelles de s’enrichir à certains.

Le même principe prévaut pour tout ce qui regarde nos fêtes nationales et en particulier la célébration du cinquantenaire de notre "indépendance". La fibre patriotique que l’ont doit faire vibrer à cette occasion n’est qu’un prétexte pour manger des budgets et distribuer des marchés à tous ceux qui courtisent le pouvoir. Après l’école et la santé, voilà que notre identité nationale même devient un business. Au regard des résultats enregistrés par notre pays au cours de ses 50 premières années d’indépendance, il y aurait mieux valu engager un véritable travail de réflexion pour comprendre pourquoi l’indépendance n’est qu’un vain mot et pourquoi elle rime avec pauvreté.

Lorsque l’on regarde les conditions de vie des populations, le niveau d’alphabétisation, la paupérisation structurelle de la population, la médiocrité de notre développement économique et surtout l’absence de perspective, en lieu et place de cette réflexion, il a été préféré une fête grandiose pour se souvenir et espérer. Une gabegie budgétaire qui flatte les yeux, ne rapporte rien au pays et qui laisse le ventre vide au plus grand nombre. Etes-vous sûr Monsieur le Premier ministre que cette magie à deux francs fera encore longtemps illusion auprès de tous ceux et celles (exclus du développement solidaire) qui souffrent dans ce pays ? Et puisque l’on parle de gabegie, tournons-nous une minute vers les dépenses prestigieuses de l’Etat. Etant donné que nous traversons une crise dont pour l’essentiel les facteurs sont exogènes selon vous, quelles sont les mesures que vous avez prises afin de réduire le train de vie de l’Etat ?

Devant toutes ces démissions et tous ces tours de passe-passe qui sont au cœur de votre projet de gouvernement, pouvez-vous encore vous demander sérieusement pourquoi la révision actuelle des listes électorales soulève aussi peu d’enthousiasme et d’engouement de la part des citoyens ? L’étonnement de tous les politiques voire leur indignation devant cette déception populaire, est une belle figure de style politique mais c’est surtout l’aveu de votre impuissance à épouser les préoccupations quotidiennes de nos populations en leur proposant des perspectives d’avenir qui passent par les urnes.

Nos concitoyens sont aujourd’hui dans le même état d’esprit que ces millions de chômeurs ou de travailleurs précaires, qui ne vont pas s’inscrire à l’ANPE tout simplement parce qu’ils savent qu’il ne suffit pas d’être inscrit sur une liste pour avoir un emploi décent. Les citoyens sont d’autant moins enclins à faire le moindre effort pour flatter les pharisiens de notre démocratie de façade qu’ils sont convaincus d’avance de l’issue de ces multiples élections sans véritable enjeu. Notre démocratie construite sur la base d’une constitution taillée sur mesure, modifiable au gré des intérêts des tenants du pouvoir et articulée autour d’institutions caporalisées et sous contrôle, donc verrouillée, excluant toutes possibilités d’alternance et d’alternative, a fini par dépiter l’ensemble des citoyens fatigués des multiples élections sans enjeux de changement.

Dans ces conditions, les populations qui ne voient pas pourquoi elles devraient participer indéfiniment à des élections coûteuses dont les résultats sont connus d’avance et élire des dirigeants dont les préoccupations fondamentales (il suffit d’examiner le train et le niveau de vie de nos dirigeants), sont aux antipodes des leurs, préfèrent s’abstenir que de s’inscrire sur les listes électorales. Si vous voulez que les gens s’inscrivent sur les listes électorales, il faut cesser de considérer la politique comme un gâteau à la crème dont un seul et ses courtisans se régalent. Les populations se demandent, pourquoi elles devraient faire la vaisselle ou laver les assiettes dans lesquelles elles ne mangeront jamais. Reconnaissez Monsieur le Premier ministre qu’il y a de la sagesse dans le refus des populations de s’inscrire sur les listes électorales, car celles-ci savent parfaitement que si la politique, notre politique, est un dîner de gala, on n’y invite jamais des gueux sauf pour faire les poubelles. Et notre peuple commence à comprendre qu’il vaut mieux que les poubelles.

Dans un contexte de démocratie verrouillée avec un peuple pris en otage, on ne peut être taxé d’extrémiste en s’élevant contre toute velléité de modification de l’article 37 de notre Constitution dans la mesure où cette modification a comme motivation essentielle, l’imposition et le maintien ad vitam aeternam des dirigeants actuels et de la mal-gouvernance qui n’est plus à démontrer. A l’instar des autres peuples, le peuple burkinabè (pas uniquement un groupuscule) a le droit d’aspirer à un bien- être, par le biais des élections en élisant ou congédiant ses dirigeants librement et démocratiquement sans aucune peur (perte de la vie, perte d’un poste ou d’un avantage), mais exclusivement sur la base de l’amélioration de ses conditions de vie. Or, notre processus démocratique actuel ne peut pas permettre un choix alterné. C’est pour cette raison que les sages de notre pays (Collège de sages), ont jugé indispensable pour le bien de tous et du pays, d’instituer la limitation des mandats présidentiels à travers l’article 37, pour permettre aux burkinabè de connaître plusieurs expériences de gouvernance.

En rappel le Cercle d’Eveil, à sa création en juin 2000 dans son préambule, affirmait avec force lutter contre :
- La sacralisation du pouvoir démocratique ;
- L’arrogance et le mépris des puissants du moment ;
- La monarchisation du pouvoir ;
- La transformation des droits des citoyens en faveurs. C’est pourquoi, au regard de la situation qui prévaut dans notre pays et après réflexion, nous estimons, que la limitation des mandats présidentiels consacrée par l’article 37 de notre Constitution est nécessaire pour la consolidation et l’approfondissement de notre processus démocratique. Toutefois, prenant en compte le lourd passif (politique, économique et social), en raison de l’absence de véritable réconciliation nationale , estimons que dans l’intérêt supérieur de la nation, des réflexions devraient être menées afin de créer des conditions idoines susceptibles d’encourager les dirigeants vers une sortie honorable et préserver la paix sociale.

Fait à Ouagadougou, le

Pour le Bureau du Comité Exécutif

Le Président

Evariste Faustin KONSIMBONO

Le Pays

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