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Manifeste pour la Refondation : “Interpellation pour assistance à démocratie en danger”

Publié le mardi 20 avril 2010 à 02h33min

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Le Manifeste pour la Refondation, à travers cette lettre ouverte au président du Conseil constitutionnel tire la sonnette au sujet de notre démocratie qui serait en danger.

Monsieur le Président,

“Nous avons l’honneur, au nom des partis signataires du Manifeste pour la Refondation, de vous interpeller en votre qualité de président du Conseil constitutionnel garant de la loi fondamentale, sur les maux qui affligent notre processus démocratique et sur lesquels votre institution ne saurait marchander ses secours.

Ainsi que nous le relevions il y a deux ans, au moment du lancement dudit Manifeste, nous observons que le pays reste en manque de réformes structurelles, puisque connaissant toujours des effervescences multiples qui confirment des risques de rupture d’harmonie préjudiciables à la paix sociale. Aujourd’hui, sur le front politique, des mobilisations se dessinent par rapport à l’article 37, les unes voulant son déverrouillage, les autres, son maintien en l’état voire sa sanctuarisation.

Cette contestation dépasse maintenant le cadre strictement politique pour gagner tous les secteurs de la vie nationale tant la république monarchique en édification rencontre la désapprobation générale. Des objections de nature politique, économique, sociale, on en voit en effet s’exprimer de manière générale sur la façon de gouverner le pays dans le mépris des droits fondamentaux des citoyens. Ainsi, la crise, que provoque dans la crise la question de la Taxe de développement communal (TDC), n’est pas seulement une remise en cause de la politique fiscale du pays ; elle s’attaque à la nature d’une gouvernance qui ne fait pas de la redistribution sociale sa priorité.

La cacophonie qui a résulté des annonces et propositions converties pour certaines en lois en 2009 pour être rapportées, comme la loi sur le vote des Burkinabè de l’extérieur, est un signe probant de déphasage institutionnel qu’on ne devrait pas observer dans le cadre d’un régime parlementaire qui, comme le nôtre, repose sur la rationalisation des pouvoirs. Cette déprime en est aujourd’hui à se traduire notamment en un rejet de la politique et de la façon dont elle est mise en œuvre dans notre pays. Et la grande bouderie des inscriptions sur les listes électorales (malgré les portes-à-portes, les inscriptions à la hussarde, les incitations financières et autres) constitue un signal parmi d’autres qu’il est temps de revoir la machine de notre gouvernance.
Monsieur le Président,

Si les acteurs politiques, de la société civile et les citoyens en général ont été sollicités par les signataires du Manifeste dans l’action de persuasion à entreprendre pour en arriver à la Refondation, des organes d’Etat (Exécutif, Législatif) l’ont également été. Nous vous adressons la présente comme un ultime recours, en appelant à l’implication conséquente de votre institution dans le sursaut patriotique en marche pour la sauvegarde de notre démocratie.

Il y a réel péril pour la démocratie. Cela découle de textes anticonstitutionnels (sinon à la constitutionnalité douteuse) comme de pratiques déviantes qui ont fortement affaibli la règle de droit. Nous ne vous citerons à cet égard que le redécoupage électoral inique, au sujet duquel votre institution, saisie en son temps, n’a pas cru devoir donner une suite positive, laissant perdurer cette hérésie juridique où l’on voit coexister, dans un découpage électoral, 15 circonscriptions ayant un siège à pourvoir et où l’élection se déroule dans les faits au scrutin uninominal majoritaire à un tour alors que le régime commun, au plan national, est la proportionnelle.

L’élection présidentielle est fixée au 21 novembre 2010. Au regard des structures et des opérations électorales devant y concourir, nous avons de sérieuses inquiétudes quant à leur régularité. Sont ici particulièrement en cause la CENI, structure légalement chargée de l’organisation des scrutins, les nouvelles dispositions relatives aux candidatures à l’élection présidentielle, le fichier électoral.

I . De la CENI

Le président de la CENI a été réinstallé dans des conditions irrégulières en violation de l’article 5 du Code électoral en son dernier alinéa. La détermination du corps électoral devant élire le président de la CENI ne s’est pas faite en conformité avec la loi, pratique observée au plan national et dupliquée à ce niveau. Qui peut le plus peut le moins !

Les démembrements de la CENI n’ont pas été non plus mis en place conformément aux dispositions des articles 22, 23 et 25 du Code électoral, reprises par le Manuel de procédure élaboré à cet effet par la CENI. Le plus grave est le remplacement des représentants des partis politiques élus dans ces démembrements par des individus parce que leurs partis ne se sont pas déclarés au chef de file de l’opposition ou à celui de la majorité. Cela, dans le mépris de l’autonomie des partis politiques reconnus par la Constitution (article 13).

Il. Des nouvelles dispositions relatives à l’élection présidentielle

L’Assemblée nationale, à sa session des lois de mars 2009, a adopté, dans l’intention et le but avoués dans l’exposé des motifs, de limiter le nombre de candidatures, le doublement de la caution et le parrainage obligatoire des candidats par des élus. Ces dispositions ont été insérées dans les articles 124 et 125 in fine du Code électoral alors que l’article 38 de la Constitution, qui ne peut être contredite ni interprétée restrictivement par une loi inférieure, ne retient que des conditions de filiation et d’âge.

III. Du fichier électoral

Depuis l’avènement de la IVe République, il n’a jamais pu être construit un fichier électoral légal, fiable, crédible et accepté de tous, conformément aux dispositions des articles 42 et 67 du Code électoral. Pour l’élection présidentielle du 21 novembre 2010, en rapport avec l’établissement du fichier électoral national, trois décrets ont été pris successivement en application de l’article 50 du Code électoral : le premier décret porte recensement général de l’électorat ; le second porte révision exceptionnelle des listes électorales ; et le troisième proroge la durée des inscriptions sur les listes électorales du 06 au 15 avril 2010.

De l’aveu public du président de la CENI, c’est dans la confusion et le cafouillage juridiques provoqués par ces décrets contradictoires que sa structure doit conduire l’opération de construction du fichier électoral. Toujours selon les aveux publics du président de la CENI sur les nouvelles listes électorales, il n’y aurait eu que 20% au plus d’inscrits par rapport au nombre d’inscrits sur sa liste de 2007. C’est ce qui a motivé la prise du troisième décret, prorogeant les inscriptions sur les listes électorales du 06 au 15 avril 2010 alors que le président de la CENI en souhaitait la prorogation jusqu’au mois de septembre.
Monsieur le Président,

Peut-on organiser et tenir l’élection présidentielle du 21 novembre 2010 avec une CENI irrégulière et complètement décrédibilisée, des dispositions relatives aux candidatures à l’élection présidentielle anticonstitutionnelles et sans un fichier électoral légal, fiable, crédible et accepté par tous ? En 2006, à l’occasion des élections municipales, votre institution a pris une décision qui fait jurisprudence en la matière, puisqu’elle avait déclaré les démembrements illégaux, obligeant le Gouvernement à recourir à une loi d’habilitation.

Les nouvelles dispositions relatives aux candidatures à la présidentielle qui sont contraires à l’esprit et à la lettre de la Constitution, sont grosses de contentieux qui pourraient, comme on l’observe ailleurs, en ajouter encore plus dangereusement à l’aggravation du climat politique et social. Il y a devoir d’assistance à démocratie en danger. L’incapacité de la CENI à convaincre et à produire un fichier électoral légal, fiable, crédible et accepté de tous rend définitivement plus que problématique la tenue de l’élection présidentielle du 21 novembre 2010.
Monsieur le Président,

Nous n’ignorons pas les contraintes de votre institution en matière de saisine, mais, faisant une interprétation des textes qui la créent et nous fondant sur la doctrine et la jurisprudence comparées, nous croyons que ce que d’autres Conseils constitutionnels, placés dans les mêmes conditions, ont fait pour être en meilleure position pour remplir leurs missions, votre institution peut également le faire. Rien ne l’empêche d’avoir, à l’occasion, une interprétation plus audacieuse des articles qui déterminent le champ de ses compétences.

Pourraient être de ces cas l’article 154 alinéa 1 de la Constitution : « Le Conseil constitutionnel veille à la régularité des élections présidentielles », tout comme l’article 153 du Code électoral « Dans le cas où le Conseil constitutionnel constate des irrégularités graves, de nature à entacher la sincérité du scrutin et à affecter le résultat d’ensemble de celui-ci, il prononce l’annulation de l’élection ».

Il y va de l’affirmation de l’indépendance et de l’impartialité des conseillers par rapport aux titulaires des droits de la saisine qui les ont nommés. Il y va de la réhabilitation de l’image du Conseil constitutionnel, passablement écornée, comme de sa mise en position pour mieux jouer son rôle de gardien de la démocratie, de la Constitution. L’exemple que donne l’Eglise catholique en ce moment devrait inspirer.

Lorsque le Conseil constitutionnel en France a déclaré en 1969 la vacance de la présidence à la démission du général de Gaulle et pris la même décision en 1974 après le décès de Georges Pompidou, aucun texte ne l’y autorisait. Il s’est en quelque sorte auto saisi. Quand ce même Conseil, se saisissant incidemment, à l’occasion de contentieux, de sujets non contenus dans sa saisine apprécie leur conformité à la Constitution, il statue ultrapétita, s’imposant comme le véritable organe protecteur des libertés fondamentales qu’il doit être. En Italie, Espagne, Belgique, Allemagne, Bénin, Niger..., on a aussi des exemples d’institutions du genre qui ont, au fur et à mesure du temps et des entraves, su s’affirmer comme gardiennes des droits fondamentaux des citoyens et gagner ainsi la respectabilité et la légitimité. Dans ce climat de célébration du cinquantenaire de notre indépendance, votre institution doit offrir sa part de déclic.

En tous les cas, c’est au Conseil constitutionnel, que vous présidez, que reviendra par-dessus tout la grande responsabilité d’avoir couvert ce qui ne devait pas l’être ou de s’être tu lorsque sa voix devait tonner pour rectifier les tirs et ramener au primat du respect de la loi fondamentale. En effet, en l’état actuel des choses, le Conseil apparaît beaucoup plus comme un instrument au service du pouvoir qu’à celui de tout le Peuple.

Sa non-saisine volontaire par ceux qui sont habilités à le faire quand le besoin s’en fait sentir et l’impossibilité préméditée dans laquelle l’opposition a été mise de vous saisir (puisque n’ayant obtenu manipulation électorale oblige, que 11 députés alors qu’il lui en faudrait 1/5e, c’est-à-dire 22 à cet effet) vous condamnent à une vie végétative ou à n’instrumenter qu’au seul profit des gouvernants. C’est pour cela que nous vous conjurons, pendant qu’il en est encore temps, de vous mettre en situation de dire le droit, rien que le droit au service de la Constitution, du Peuple. Veuillez agréer, Monsieur le président, l’assurance de notre très haute considération.

Pour le Comité de contact

PO/Dr Alain Dominique Zoubga

El hadj Amadou Dabo

L’Observateur Paalga

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