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La solidarité en Europe et en Afrique : Une question d’époque ?

Publié le dimanche 18 avril 2010 à 12h54min

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L’article sur le spleen en France de l’abbé Joseph Yaméogo (que je connais bien et salue amicalement au passage) a donné l’occasion à certaines personnes de pourfendre l’individualisme présumé des Occidentaux. Je voudrais mettre un petit bémol à ces critiques en invitant à prendre du recul pour mettre en perspective les différences de comportement que nous observons entre l’Afrique et l’Europe.

Vivant moi aussi en Europe depuis des années, je me suis aperçu que, bien qu’ils ne disent pas facilement bonjour aux inconnus croisés dans la rue, les Occidentaux sont loin d’être aussi individualistes qu’on le croit. C’est leur mode d’organisation sociale qui a produit la froideur relationnelle apparente qui déconcerte l’Africain nouvellement arrivé.

Prenons le cas de la sécurité sociale, des caisses de retraites, des pensions d’invalidité ou du revenu de solidarité active (RSA) en France. En quoi consistent-ils ? Ils consistent tout simplement à prélever sur le salaire de chaque personne en activité un certain pourcentage pour alimenter des caisses destinées à venir en aide à ceux qui sont dans le besoin. Autrement dit, chaque travailleur verse une part de son salaire à la fin du mois pour la prise en charge des malades, des retraités, des handicapés ou des personnes qui ne trouvent pas de travail. Et la distribution des fruits de l’effort de solidarité est du ressort des organismes sociaux de L’Etat. La conséquence est que les Occidentaux se tournent plus facilement vers l’Etat – et non vers leurs parents ou leurs amis ! – pour demander une aide lorsqu’ils rencontrent des difficultés. D’où l’impression d’une société déshumanisée où règne en maître le chacun pour soi.

En Afrique, par contre, l’absence quasi-totale de prise en charge des personnes nécessiteuses par les organismes sociaux de l’Etat conduit les citoyens à entretenir davantage des solidarités de type familial ou interindividuel. Le malade, la personne handicapée, le retraité qui a du mal à joindre les deux bouts ou le chômeur qui ne trouve pas de travail ne peuvent compter que sur leurs réseaux de relations familiales ou amicales pour survivre. Et il ne viendrait à l’esprit d’aucun d’eux d’attendre des aides de l’Etat qui, lui-même, a besoin d’aide. J’excepte bien sûr les fonctionnaires qui ont un meilleur régime de sécurité sociale que les ouvriers ou les paysans.

En clair, la solidarité africaine est plus visible parce qu’elle est directe : Bila aide Gandaogo à acheter ses médicaments parce qu’ils habitent le même quartier et qu’il ne peut moralement se résoudre à laisser mourir son voisin qu’il connaît bien. La solidarité occidentale, elle, est plus discrète parce qu’elle passe par l’intermédiaire des organismes sociaux de l’Etat. Mais les Occidentaux soutiennent aussi de façon anonyme beaucoup d’associations dont certaines interviennent à l’étranger, y compris en Afrique (Médecins sans frontière, Croix rouge, Action contre la faim, Secours catholique etc.). Alors, laquelle des deux formes de solidarité préférez-vous ? La visible ou la discrète ? Pour ma part, je vois des deux côtés des avantages et des inconvénients.

A titre d’exemple, les historiens savent bien que l’augmentation de l’espérance de vie dans les pays occidentaux tout comme leur essor économique (avantages !) ont été en partie favorisés par la création de la sécurité sociale, c’est-à-dire par la mise en place d’une structure qui, en matière de santé, organise la solidarité à l’échelle nationale. Ce qu’on oublie souvent de souligner est que la même sécurité sociale a contribué aussi à détruire les solidarités de type familial ou interindividuel d’autrefois (inconvénient !). Aujourd’hui, les familles françaises ne se réunissent plus le dimanche après la messe autour du grand-père pour manger le lard du cochon tué la veille et jouer à la crapette ! Regrettent-elles pour autant le mode de vie d’autrefois ? Non, sauf certains de ses aspects. Car chaque étape de l’évolution historique des nations comporte certes des inconvénients, mais aussi des avantages. Pour avoir discuté avec des Françaises d’un certain âge qui ont connu les lavoirs dans les années 1950, je puis vous assurer qu’elles préfèrent les machines à laver d’aujourd’hui (avantage !), même si la conséquence est qu’elles ne rencontrent plus aussi souvent les copines pour discuter et s’entraider à essorer le linge (inconvénient !) !

Les comportements solidaires que nous observons en Afrique aujourd’hui sont donc en partie la conséquence du niveau de développement de nos pays. Le jour où les Etats africains organiseront la prise en charge des frais de santé de leurs citoyens (avantage !), Bila n’aura plus de raison d’aider directement Gandaogo à acheter ses médicaments ! Puisque l’Etat s’en occupera déjà ! Et l’on aura alors l’impression que les gens ne sont plus aussi solidaires qu’autrefois (inconvénient !). En somme, si nous voulons à la fois le développement et la solidarité visible telle qu’elle se pratique en Afrique, nous devons inventer un autre type de développement que celui des Occidentaux. Mais est-ce vraiment le chemin pris aujourd’hui par nos pays africains ?

Denis Dambré
France

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Vos commentaires

  • Le 18 avril 2010 à 13:19, par Albert En réponse à : La solidarité en Europe et en Afrique : Une question d’époque ?

    Au Burkina, les portes des maisons sont ouvertes a tout le monde, mais quand tu rentres dans la maison la méfiance est là : les chambres et les armoires sont fermés a clef, il y a un cadenas sur le frigo etc.

    En Europe, les portes des maisons sont fermés a clef. Mais quand un européen te laisse rentrer dans sa maison, tu es comme chez toi : tout est ouvert. La confiance est à 100%

    Chez nous, tu peux renter comme tu veux dans la cour de quelqu’un, mais il se méfie de toi.
    L’européens ne laissent pas n’importe qui rentrer chez lui, mais quand il te laisse rentrer, il n’y a pas d’hypocrisie : il te laisse seul avec son porte monnaie, son portable sur la table pour aller faire des courses. Il te laisse les clefs de sa maison quand il voyage etc. La confiance est là.

    C’est ça la grande différence : Chez nous si tu t’amuses a faire confiance à quelqu’un, c’est là même qu’il va bien te faire.

  • Le 18 avril 2010 à 16:15, par Albertine En réponse à : La solidarité en Europe et en Afrique : Une question d’époque ?

    Bravo Denis. Vous avez remis les choses en perspective et c’est tout à votre honneur, car j’avais moi-même été un peu désabusée par les commentaires à la suite de l’article portant sur le spleen de l’abbé. Je me permets de m’écarter un peu du sujet, mais pas tellement, pour dire que malheureusement je pense que dans nos société africaines et particulièrement au Burkina, il existe une forme d’hypocrisie concernant la question des moeurs. En effet, tout le monde impute la dérive des moeurs aux occidentaux. Si nos enfants se comportent de telle ou telle manière, c’est parce qu’ils regardent la télé et ils imitent. Pour ma part, je crois que nous refusons de constater que notre société n’est plus ce qu’elle était en termes de valeurs et de traditions. L’individualisme gagne du terrain chez nous aussi, il faut l’accepter et reconnaitre notre responsabilité plutôt que de louer nos belles valeurs qui commencent à faire figure de légendes urbaines, tout en diabolisant les occidentaux et leurs sociétés "perdues". Pour ma part, je pense que c’est simplement une question de générations et de développement.
    Encore une fois bravo pour votre article.

    • Le 19 avril 2010 à 10:52 En réponse à : La solidarité en Europe et en Afrique : Une question d’époque ?

      Mutualité ou solidarié africaine
      Il me semble que ce qu’on appelle solidarité africaine ne soit seulement que de la mutaulité dans le sens que c’est du donnant donnant.
      Exp : pour les bâptèmes on vous traite en fonction de ce que vous donnez en cfa comme salutation.

  • Le 18 avril 2010 à 16:32, par wend waoga En réponse à : La solidarité en Europe et en Afrique : Une question d’époque ?

    Intervention empreinte d’une analyse claire et objective ! Par la bouche de certaines personnes vivant en Allemagne,dans certaines villes,il y aurait une sorte d’association dans les quartiers qui consisterait à s’aider entre familles du meme quartier ! C’est ainsi qu’on aurait par exemple,telles mères de famille intervenant chez telle autre pour mettre son appartement en ordre,et telle autre gardant les enfants de telle-ci pour que cette dernière puisse régler une question urgente ! si tout ca était avéré(et je ne voit pas pourquoi on raconterait des mensonge !),on voit bien que la solidarité n’est l’exclusivité de l’Africain.Merci pour cet éclairage,mr Dambré !

  • Le 19 avril 2010 à 03:37, par Le Ché En réponse à : La solidarité en Europe et en Afrique : Une question d’époque ?

    Tout est presque dit mais j’ajouterai la question du temps. En Afrique et au Burkina en particulier, nous avons le temps. Alors on prends le temps pour tout : des simples salutations aux djandjobas. Voyez le nombre de jours fériés que nous avons. Pour un pays pauvre combien de manifestations de rejouissances. En plus, la solidarité est en fonction du rang occupé dans la société. Ainsi, on est plus solidaire aux plus nantis au lieu du contraire.

    Le drame dans tout cela est que personne du moins ceux qui ont la destinée de nos sociétés ont d’autres chats à fouetter. Les occidentaux eux ont choisis, planifié et assumé et nous ?

  • Le 20 avril 2010 à 03:16, par Hess En réponse à : La solidarité en Europe et en Afrique : Une question d’époque ?

    Bravo à M. Dambré de rétablir une réalité malheureusement méconnue sur le cotinent ! L’expression « solidarité africaine » est est de nos jours un mythe plus qu,une réalité. Je connais un autre continent autre que celui qui vous avez pris en exemple. La solidarité y règne. Les citoyens paiement les impôts. Certains paient plus de 50% de leurs salaires sans oublier les taxes...

    En observant, je suis arrivé à la conclusion qu’aucune société humaine ne peut fonctionner sans solidarité. Et plus une société se développe plus elle est solidaire avec les humains mais aussi avec les animaux et la nature. Et la solidarité occidentale du fait de son institutionnalisation préserve la dignité de ceux qui en bénéficient. Gandaogo ne sachant pas qu’il a été sauvé par Bila(ses impôts) n’est pas obligé de s’incliner ou d’applaudir chaque passage de ce dernier.

    Au Burkina, on a souvent l’impression que les plus instruits sont les moins solidaires. Ils pensent faire comme les occidentaux dont ils envient l’individualisme sans cependant pays les impôts comme eux. Si nos médias avaient les moyens pour témoigner de ses réalités ce serait formidable pour tous.

    Merci encore pour la belle réfléxion.

  • Le 24 avril 2010 à 01:46 En réponse à : La solidarité en Europe et en Afrique : Une question d’époque ?

    Mr. Dambre, merci pour ce beau morceau. Vos avez tout dit et les nostalgiques vont se calmer sinon oub naan maan kaallumm()kaallummm est un mot moore qui conduit a Taptenga). Personne n’en veut, de ce calme la. Kaallmm c’est trop calme.hihihi !

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