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Relations France-Afrique : Difficile tentative d’état des lieux

Publié le mardi 24 août 2004 à 07h46min

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Il est sans doute ridicule de se poser la question de savoir si, aujourd’hui, la France a une politique africaine. S’il y en avait une, il est probable qu’on en entendrait parler de temps en temps. Et on entendrait parler de ceux qui en sont les acteurs.

Or, si l’on excepte les grands rassemblements du type commémoration du débarquement de Provence, sommet francophone, sommet France-Afrique, etc..., il faut bien reconnaître qu’au jour le jour l’Afrique est plutôt absente des préoccupations diplomatiques (et plus encore économiques et sociales) de la France.

Que pourrait être une politique africaine de la France ? Ce serait considérer qu’il existe entre la France et un certain nombre de pays africains, pour des raisons historiques, linguistiques et, plus encore, humaines (il suffit de prendre les transports en commun pour en prendre pleinement conscience), des relations qui n’ont rien à voir avec les relations bilatérales que la France peut entretenir avec l’Autriche, le Portugal ou la Suède.

Cela signifie que, tout en respectant la souveraineté de ces Etats africains, la France doit leur accorder une attention particulière. C’est ce que le président Blaise Compaoré réclamait quand il présidait l’OUA, en 1998. Participant au colloque organisé par l’Assemblée nationale française sur "La nouvelle politique africaine de la France", le chef de l’Etat burkinabè avait alors affirmé : "Il faut désormais établir des relations fraternelles". C’est le mot-clé.

Cette "fraternité" est rendue nécessaire par le fait que la France et les pays africains (notamment) francophones sont dans un système de vases communicants. Plus cela ira mal en Afrique, plus il y aura d’Africains qui iront chercher en France une solution à leurs problèmes ; et plus ils seront nombreux à y chercher une solution, moins il y aura de solutions. C’est, une fois encore, Blaise Compaoré qui le disait ; c’était à l’issue de la tenue à Ouagadougou du Sommet France-Afrique (4-6 décembre 1996) : "Si l’Afrique devait rester en marge des préoccupations de l’ordre mondial du troisième millénaire, alors elle sera forcément une bombe et ses radiations se répandraient certainement loin".

Quelques mois auparavant, dans le Journal du Dimanche (30 juin 1996), il avait préconisé "d’élaborer et d’articuler les axes d’un nouveau partenariat tourné vers le développement" et de "promouvoir l’émergence de politiques nationales industrielles s’encastrant harmonieusement dans des zones économiques régionales". Ce n’était pas nouveau. Mais il était bon qu’un chef d’Etat africain le dise. Jusqu’alors, ce type de diagnostic "pessimiste" était du domaine des "experts" occidentaux. Le Club de Rome, réuni en conférence à Yaoundé, le 12 décembre 1986, disait déjà : "L’Afrique souffre, aujourd’hui, de contraintes politiques et économiques qui risquent de l’exclure des grands choix mondiaux".

Vingt ans plus tard, le diagnostic demeure identique. En la matière, la France a une responsabilité historique. J’ai connu, dans les années 1960 et 1970, l’omniprésence des investisseurs français (et étrangers) en Afrique. On multipliait les projets ; on inaugurait, mois après mois, de nouvelles unités industrielles. C’était le temps des "industries industrialisantes", des programmes d’import-substitution, etc... Malmenés, mal gérés, essentiellement pour des raisons politico-financières (et, également, pour des questions de mal-formation), ces programmes ont échoué. Il en est resté une image : celle des "éléphants blancs". Mais c’est surtout un manque de réalisme et de volontarisme qui a conduit ces projets à échouer.

C’est, aussi, un manque de courage. Les "africanistes" français (notamment en matière économique) ont souvent pratiqué la "méthode coué". "Tout va très bien madame la marquise". On évoquait, en parlant de l’Afrique, du "dragon du XXIème siècle" (Moniteur du commerce international du 5 septembre 1996), et on soutenait que "l’Afrique n’est pas un continent en voie de marginalisation" (Jean-Pierre Prouteau, ancien ministre, président du Conseil des investisseurs français dans son 8ème rapport sur les entreprises françaises et l’Afrique). Mensonge, mensonge, mensonge. Il était tout aussi mensonger d’affirmer que le marché africain "n’était plus porteur" et qu’il était urgent de se "désengager" de ce continent.

Il fallait penser autrement les relations franco-africaines, la place de l’Afrique dans le monde, les regroupements sous-régionaux africains, la politique d’investissement, les rapports secteur privé-secteur public dans l’économie, etc... Il fallait surtout réfléchir et ne pas penser que l’Afrique pouvait se développer avec des idées générales et des solutions "importées". Ce continent est plus complexe que beaucoup d’autres compte tenu, notamment, de son hétérogénéité et son histoire. Vouloir avoir une vision globale de l’Afrique, c’est confondre le tout et les parties du tout. Et se planter !

L’Afrique a besoin d’experts et de spécialistes des questions africaines, d’hommes et de femmes qui s’y investissent totalement. C’est ce qui s’est passé dans la période coloniale. On prenait le temps d’apprendre avant d’expliquer aux autres. Ce n’est plus le cas. Et le discours français sur l’Afrique devient indigent. Ce n’est pas de la responsabilité de ceux qui le tiennent. C’est de la responsabilité de ceux qui les obligent à le tenir.

Les "affaires africaines" en France sont entre les mains de Xavier Darcos. J’ai dit ce que j’en pensais (cf. LDD Spécial Week-End 0137/Samedi 7-dimanche 8 août 2004). Il vient de s’exprimer dans J.A./L’Intelligent (n° 2271/18-24 juillet 2004).
Peut-on parler d’irresponsabilité politique ? François Soudan, qui sait de quoi il parle et qui mène l’entretien, lâche un laconique "Bon courage", qui veut tout dire, à l’adresse du ministre. Entre "on peut penser", "peut-être", "il est d’ailleurs difficile de faire la part des choses", "éventuellement", etc... qui traduisent l’incertitude du ministre, il n’y a pas de place pour le courage, la volonté et la détermination. En un mot un grand dessein franco-africain.

Côte d’Ivoire : "Ce serait plus simple que les acteurs ivoiriens s’en tiennent à ce qu’ils ont signé à Marcoussis". Bien sûr, mais en Afrique comme ailleurs, en matière politique, le "plus simple" ne s’impose pas toujours. Ajoutons cette phrase remarquable : "Le président Gbagbo est déjà arrivé, dans une certaine mesure, à ses fins. Si son but était de se placer dans une situation favorable pour l’élection présidentielle, d’une part par sa présence au centre de l’échiquier et d’autre part par la grande difficulté qu’éprouvent les autres candidats à être réellement dangereux pour lui, eh bien, il n’a pas échoué".

Bravo pour le raccourci. Plus encore : "La seule chose que l’on puisse dire à la Côte d’Ivoire est : si vous voulez que l’activité économique perdure, ne découragez pas les investisseurs". Est-ce vraiment "la seule chose à dire" ?
RDC : "Nous considérons que président Kabila a tenu ses engagements envers la communauté internationale, qu’il offre une stabilité politique à son pays, qu’il est soutenu par son opinion, que ses efforts de communication envers les investisseurs ont été plutôt couronnés de succès...
Donc nous ne voyons pas pourquoi nous ne le soutiendrions pas". Rwanda : "On est dans une optique simple : obtenir du Rwanda une attitude prudente et sage à l’est du Congo, au Kivu". Soudan : "Nous voulons éviter la déstabilisation politique et militaire de toute cette zone.

Par conséquent, nous nous devons d’avoir de bonnes relations avec Khartoum". Tchad : "Les élections se sont passées dans des conditions régulières. Il y a eu des observateurs [...] Quand les gens votent, c’est qu’il y a élection". Togo : "Un pays qui se stabilise, qui sort de sa crise, qui est bien encadré sur le plan international et qui cherche à retrouver une respiration".

Voilà quelques exemples parmi d’autres. On ne peut que souhaiter, effectivement, "bon courage" à Darcos qui s’était fait remarqué, à l’Assemblée nationale, en fustigeant l’opposition : "Quand vous êtes aux affaires, vous manquez de souffle ; quand vous êtes dans l’opposition vous ne manquez pas d’air". Darcos est un cas à part : il manque de souffle et ne manque pas d’air !

Jean-Pierre Béjot
La Dépêche Diplomatique

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