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Entretien du chef de l’Etat avec la presse : Que de choses banalisées !

Publié le lundi 23 août 2004 à 07h34min

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Les réactions sur la prestation du président du Faso, le 5 août 2004 devant les journalistes, se poursuivent. La dernière en date est celle de ce lecteur qui estime par exemple que la question de l’éducation a été traitée avec peu de sérieux.

Les 8, 9 et 10 janvier 1988, s’étaient tenues à Ouagadougou, les assises nationales sur le « Bilan des quatre premières années de la Révolution », c’est-à-dire le bilan du Conseil national de la révolution du Président Thomas Sankara. Les 1300 délégués participant à ces assises avaient, « à travers des débats ardus et enrichissants » ont saisi l’occasion pour saluer l’arrivée du Front populaire avec à sa tête le capitaine Blaise Compaoré à l’époque et pour renier les efforts des quatre années du CNR.

Le CNR était accusé d’avoir entrepris un processus de dégénérescence de la révolution par une politique incohérente faite de subjectivisme, de spontanéisme et de messianisme. Selon les conclusions de cette rencontre, les patriotes sincères (il s’agit certainement de Blaise Compaoré et de ses alliés) avaient deux choix à faire avant le 15 octobre 1987 : « ou continuer à subir et laisser installer le chaos, ou réagir pour sauver la révolution ». Les « patriotes sincères » ont ainsi opté pour le deuxième choix, et la suite est connue.

Pour se faire prendre au ’’sérieux’’, ils ont promis du miel dans tous les secteurs de la vie sociale après avoir abattu l’impérialisme et ses valets locaux à la fin de ces assises. Trois années plus tard, soit en 1991, lors d’une promenade de Blaise Compaoré, accompagné de Bognessan Arsène Yé, dans une voiture, le Président inventait aux côtés de son ami d’alors, la démocratie. Mais cette démocratie sera différente de celle préconisée par le Sommet de la Baule. C’est ainsi que depuis lors, le Burkina Faso vit une démocratie de régression d’année en année et beaucoup de Burkinabè ont vite déchanté.

Aujourd’hui, il serait fatidique de faire un bilan critique des 17 années de pouvoir du Président Blaise Compaoré dans tous les secteurs de la vie sociale. Un tel exercice ressemblerait à un citoyen qui voudrait compter le nombre de goudrons ’’cousus" et ’’décousus’’ de la ville de Ouagadougou. Autant demandé le nombre de voies goudronnées et économiser ses énergies. C’est pourquoi je me limiterai au seul secteur de l’éducation. La raison est que pour avoir de bons docteurs, ingénieurs, économistes, en somme de bons concepteurs de développement de nos jours, il faut passer par l’école.

L’éducation est pourtant à la base de tout

Or, depuis plus d’une décennie, une crise sans précédent traverse le système éducatif burkinabè. Le mal est très profond et ne semble pas être perçu par le Président du Faso. Oui, je suis bien au courant du récent séminaire gouvernemental sur l’éducation. Mais cette rencontre a seulement eu l’avantage de faire la publicité, mais n’apportera rien de meilleur à la situation actuelle. L’on sait que le gouvernement de Blaise Compaoré (je le préfère ainsi que de dire de Monsieur Yonli) est en train de mettre en œuvre ce que la Banque mondiale a décidé dans le domaine de l’éducation.

A cet effet, nous avons vu passer des documents dont le contenu peut faire pleurer plus d’un Burkinabè parce qu’il traduit clairement le sort que la Banque mondiale veut réserver au système éducatif de notre pays. Lisez attentivement ces extraits se rapportant aux qualifications exigées des candidats à l’enseignement tel que le veut la Banque mondiale comme axe pour la réduction des coûts de fonctionnement de l’éducation : « Il serait possible, surtout pour le primaire et le premier cycle du secondaire, d’abaisser les qualifications minimales exigées des futurs enseignants.

Si l’on se montrait moins exigeant quant à leur formation initiale, on pourrait leur offrir des rémunérations inférieures aux barèmes actuels…, surtout pour les maîtres du primaire, beaucoup de pays africains devraient envisager de nouvelles réductions du nombre d’années d’études et de formation… » La Banque mondiale estime aussi que « toute discussion concernant les mesures à mettre en œuvre pour réduire les coûts doit porter aussi sur les possibilités de réduire le salaire moyen de l’enseignant. Même lorsque les conditions font qu’il est impossible de réduire le salaire d’un enseignant qui a reçu un niveau donné de formation, il est possible et peut-être même souhaitable, de recruter des enseignants moins bien formés et donc moins coûteux. On pourrait réduire le coût moyen par enseignant en recrutant pour le primaire des jeunes pratiquement sans formation mais instruits. ».

La même mascarade a été recommandée pour l’université. Point n’a besoin de dire que nos dirigeants sont d’accord avec une telle destruction de l’éducation. Les résultats sont patents sur le terrain. Vous comprenez pourquoi les enseignants dits PPTE avec leur corollaires de misère Alors, quelle est l’importance d’un séminaire gouvernemental sur l’éducation quand on sait qu’on applique déjà les recommandations du diktat extérieur ? C’est toute la différence entre les « quatre premières années de la révolution » et les 17 années de ’’développement séparé".

Le secteur de l’éducation va donc très mal. Il suffit de lire les perles publiées dans les journaux de la place à la fin de chaque examen pour s’en convaincre. Il nous est revenu que les ministres Ludovic Tou et Mathieu R. Ouédraogo ont reçu un rappel à l’ordre pour avoir dit, l’un, que le Burkina Faso n’a pas d’avenir avec la Banque mondiale, et l’autre, pour avoir reconnu les insuffisances du PDDEB. Si cela était avéré, allons comprendre des Burkinabè, qui se réclament représentants du peuple. Même monsieur Ludovic Tou dont les grands parents n’ont jamais été clairvoyants a pu savoir que l’avenir de notre pays ne réside pas dans la politique de la Banque mondiale.

L’éducation va mal

Le Burkina Faso n’a pas non plus d’avenir avec le système éducatif actuel. C’est pourquoi, les Burkinabè doivent donner de la voix afin de ramener aussi Blaise Compaoré à l’ordre sur cette question cruciale de l’éducation. La solution devra prendre en compte et la réforme et la revalorisation du corps enseignant. Il n’est pas normal que nos enfants et petits frères soient victimes de la mascarade de gouvernance que nous vivons avec ce régime dans le domaine de l’éducation.

Il paraît que ces genres de propos sont subversifs comme si ruiner l’éducation de tout un pays n’était pas plus que de la subversion. Et c’est dans un tel contexte que le Président Blaise Compaoré n’est pas encore fatigué. En tout cas c’est vrai. Il n’est pas encore fatigué. On a pu le constater lors de sa prestation à la télévision nationale répondant aux questions des journalistes à l’occasion de la fête de l’indépendance, le 5 août 2004.

Il était bien en forme et aucune fatigue ne se lisait sur son visage. Seulement, le peuple burkinabè ne lui demande pas d’être fatigué. On lui demande de comprendre que c’est le peuple qui est fatigué avec ce que notre pays est devenu en une décennie. Le Président du Faso sait que ça ne va plus du tout. Et comme Blaise Compaoré va se présenter à l’élection présidentielle de 2005 (même à Banfora on le sait), il a encore des mois devant lui pour opérer des changements profonds dans les secteurs vitaux pour la nation avant de vouloir solliciter les suffrages.

Il se doit de se faire prendre plus au sérieux en montrant qu’il est un homme d’Etat qui est à l’écoute de tous les problèmes à envergure nationale et non un homme de bar et de marché de vente de poulets. Qu’un journaliste fasse bagarre avec un barman ou un vendeur de poulets ne doit pas être pris comme exemple quand on discute des sujets sérieux. La banalisation de certains sujets lors de l’émission radio-télévisée du 5 août 2004 lui recommande un autre comportement.

En effet, au sujet de l’altercation entre le colonel Camara et le Policier Hien, le chef de l’Etat se devait d’avoir deux attitudes possibles :
- 1/ Le Président du Faso déclare clairement qu’il ne connaît pas le dossier. Dans ce cas, il est dédouané car l’opinion aura compris que son entourage lui cache certaines informations d’importante nationale.
- 2/ Le chef de l’Etat n’est pas bien informé du problème mais décide de jouer au jeu pour couvrir ses hommes. Alors il agit en chef d’Etat, c’est-à-dire, en premier responsable de tout un pays qu’on informe publiquement d’un problème. Et son titre de chef d’Etat voudrait dans le cas de figure qu’il tienne des propos de bon dirigeant en indiquant par exemple que des mesures seront prises pour éviter à l’avenir de tels comportements même s’il sait qu’il ne fera rien à l’avenir.

Mais de là à se jeter sur des exemples de barmen et de vendeurs de poulets, c’est vraiment se comporter en homme de la rue. On invite pas un chef d’Etat devant la presse pour parler de faits divers. Devant un chef d’Etat et officiellement, on parle de l’avenir de tout un peuple. Et une question posée à un chef d’Etat n’est provient pas forcément du journaliste qui la pose. Le journaliste est parfois le porte- parole de l’opinion publique qui n’a pas cette facilité de rencontrer le chef de l’Etat et lui poser un certain nombre de préoccupations.

Ainsi, aucune question à un chef d’Etat ne doit être néglisée par celui-ci ou prise à la légère. C’est pourquoi un chef d’Etat doit toujours partir du principe que toute question de la presse traduit une préoccupation de toute ou partie du peuple au nom duquel il agit. Malheureusement cette sortie du 5 août dernier a permis une fois de plus de comprendre que le Président Compaoré prend le Burkina Faso pour une société où il est le « Président directeur général fondateur propriétaire ». Si c’est avec ça que l’on veut revenir en 2005, là on est foutu.

Jonas Hien

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