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Gestion des semences améliorées destinées aux producteurs : Des soupçons de « deal » et de corruption

Publié le vendredi 9 avril 2010 à 03h09min

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A la faveur de la crise alimentaire mondiale qui a touché particulièrement le Burkina, le gouvernement a dû prendre des mesures pour booster la production céréalière nationale. Parmi ces mesures figure en bonne place, la mise à disposition aux producteurs de semences améliorées à des prix subventionnés. Cela a permis la mise en place de toute une machine qui va de la production à la distribution au niveau des communes. Malgré les sommes colossales qui sont injectées dans cette filière, les producteurs ne semblent pas trouver leur compte.

4,5 milliards de francs CFA. C’est le montant de la subvention que l’Etat a injecté dans les semences améliorées en 2009, soit 23 375 tonnes de semences. Il consiste pour l’Etat, d’acheter la semence chez les producteurs semenciers, et de les mettre à la disposition des paysans. Toute chose qui a été saluée par les producteurs qui trouvent que le gouvernement a fourni un effort considérable car les semences sont presque gratuites.

L’objectif est de rendre les semences accessibles au plus grand nombre de paysans afin de donner un coup de pousse à la production nationale. En effet, on estime que l’utilisation des semences améliorées augmente la production de plus de 40%. Seulement dans la pratique, la gestion de cette filière n’est plus du goût des producteurs. Pire, des doutes existent quant à la qualité même des semences améliorées. Lors de la dernière édition de la Journée nationale du paysan à Ziniaré, les cultivateurs n’ont pas manqué de le souligner.

En fait, on soupçonne certains producteurs semenciers de s’adonner à des pratiques de manipulation des données en augmentant la quantité de leurs semences produites en y mélangeant des céréales ordinaires. Le Premier ministre avait promis qu’une enquête sera ouverte sur cette affaire. Cependant, les producteurs ne semblent pas être convaincus. « Des têtes risquent de tomber au niveau du ministère de l’Agriculture au cas où l’enquête serait ordonnée », a confié un producteur qui estime que s’il y a des fraudes, elles ne peuvent que se faire qu’avec la complicité des agents du département.

Cette allégation est confirmée par le président de la Chambre régionale d’Agriculture du Centre-Sud, Jonas Yogo, qui pense qu’il est très facile de contrecarrer la fraude si la volonté y est. Trois pièces suffisent pour justifier de la qualité des semences. Il s’agit du reçu d’achat de la semence, la fiche d’inspection au champ ainsi que la certification des analyses. Il aurait proposé ce contrôle sur toutes les semences achetées par le gouvernement, du temps où il était secrétaire général de l’Union nationale des producteurs semenciers mais s’est vite trouvé mis à l’écart.

Si ce dernier de part sa position n’a pas voulu donner les raisons qui l’ont obligé à quitter l’union, des sources concordantes assurent pourtant que son départ est dû à ses positions tranchées et son refus de voir certains agents du ministère faire main basse sur l’union .Qui donc n’a pas intérêt à ce que des contrôles approfondis soit effectués sur les semences alors que le contribuable burkinabè y met beaucoup d’argent ?

Une masse énorme à partager

Depuis que l’Etat et ses partenaires ont commencé à injecter autant d’argent dans les semences, tout le monde veut devenir producteur semencier. On estime qu’il existe plus de cinq mille producteurs semenciers.

Beaucoup même ont abandonné le coton et les autres productions pour se consacrer à cela, estimant que la production semencière est deux fois plus rentable surtout lorsqu’ils la revendent à l’Etat qui leur achète le kilo de semence à plus de 550 F CFA pour ensuite le mettre à la disposition des producteurs à 40 F CFA le kilo. Cette vente à travers le circuit de l’Etat, très avantageuse, attire les uns et les autres au point que tout est mis en œuvre, pour en tirer le maximum de profit et le plus souvent au détriment de la qualité.

Pourtant, n’est pas semencier qui veut. C’est une activité qui demande beaucoup de soins et de suivis techniques. Alors qu’avec le nombre croissant des semenciers, il n’est pas évident que les techniciens puissent contrôler tous les champs. En dehors de quelques producteurs qui acceptent payer de leur poche pour assurer le contrôle de leurs champs, rares sont ceux qui acceptent faire ce sacrifice. Pour des spécialistes du domaine, certains chiffres fournis par des semenciers sur leur production ne reflèteraient pas la réalité au regard des superficies emblavées.

Par exemple, lorsque des semenciers déclarent avoir fait une production de 4 tonnes de semences, certains restent sceptiques. Car dans le meilleur des cas, sur une récolte donnée, seulement 70% peuvent être de la bonne qualité. En cas de mauvaise pluviométrie, ce rendement peut chuter jusqu’à 50%. Si les chiffres brandis ne sont pas réalistes, cela suppose que soit le triage n’a pas été fait correctement, soit que tout ce qui est vendu à l’Etat n’est pas de la semence améliorée. Dans ce cas, l’enquête annoncée par Tertius Zongo ne tardera pas à déceler les brebis galeuses de l’administration.

Le circuit de distribution critiqué

En plus des soupçons de corruption qui pèsent sur la production, les producteurs affirment que le circuit que l’Etat utilise pour mettre les semences à la disposition des producteurs à savoir, les mairies, n’est pas fiable. En effet, pour le président de la Fédération provinciale des professionnels agricoles de la Sissili (FEPPASI), le politique a une mainmise sur les semences. Pour lui, cette gestion devrait revenir aux chambres régionales d’agriculture et aux organisations professionnelles de producteurs.

Au lieu que les semences servent réellement aux cultures, elles seraient détournées à d’autres fins telles que la consommation. Dans certains conseils municipaux, les semences seraient distribuées en fonction des affinités politiques si elles échappent aux casseroles. Moussa Dagano qui dit bien peser ses mots assure qu’il peut fournir les preuves de son affirmation à qui le voudrait. Cela semble logique car étant donné qu’à un certain moment, le prix de la semence revenant moins cher que les céréales ordinaires, il est évident que des gens qui ne sont pas producteurs veuillent bien les acheter pour leur consommation.

Certains observateurs estiment que la forme même de la subvention doit être revue pour un meilleur résultat. Le dispositif mis en place porterait en lui-même beaucoup de défaillances, selon Jonas Yogo qui se demande ce qui pourrait bien se passer si l’Etat arrête un jour sa subvention. Selon lui, il n’est pas sûr que les producteurs continuent d’acheter par eux-mêmes les semences lorsqu’elles seront plus chères.

Quant aux solutions qu’il préconise, il affirme qu’en tant que président d’une chambre régionale d’agriculture, il préfère les adresser directement aux ministères. Interpellé par rapport à cette question, le ministre délégué à l’Agriculture, Abdoulaye Combary affirme que l’objectif du gouvernement est d’atteindre les plus pauvres c’est-à-dire ceux-là même qui ne peuvent pas se procurer les semences aux prix réels. « Nous avons pris note de leurs doléances, et nous allons tout faire pour mieux impliquer les organisations professionnelles ainsi que les Conseils villageois de développement (CVD) », a déclaré le ministre Abdoulaye Combary tout en assurant que le gouvernement sera désormais plus vigilant sur cette question.

En attendant, Jonas Yogo affirme qu’il revient aux producteurs de porter plainte à qui de droit s’ils estiment que les semences qui ont été mises à leur disposition ne sont pas de bonne qualité. Car, dit-il, tant qu’il n’y aura pas de dénonciations formelles, il sera difficile que l’Etat ouvre une enquête.

Fatouma Sophie OUATTARA (Sofifa2@yahoo.fr)

Sidwaya

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