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Ibrahim Assane Mayaki, secrétaire exécutif du NEPAD : « Tous les leaders politiques africains sont assis sur une bombe politique »

Publié le vendredi 9 avril 2010 à 03h09min

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Professeur d’administration publique, chercheur en sciences sociales, ex-travailleur du secteur de l’uranium au Niger, puis ancien Premier ministre nigérien, Ibrahim Assane Mayaki est aujourd’hui le Secrétaire exécutif du Nouveau partenariat pour le développement de l’Afrique (NEPAD) a pris fonction début avril 2009. En séjour au Burkina Faso, il dresse son premier bilan, évoque l’avenir du NEPAD, les grands projets etc.

Sidwaya (S) : En 2001, les chefs d’État africains ont lancé le Nouveau partenariat pour le développement de l’Afrique. Neuf (9) ans après, que retenir du NEPAD ?

Ibrahim Assane Mayaki (IAM) : On peut retenir trois choses. Il y a eu une motivation politique très forte qui a permis l’éclosion de ce programme, puisque le NEPAD est défini comme un programme à l’époque de l’Organisation de l’unité africaine qui est devenu un programme de l’Union africaine.

Il s’agit donc d’une motivation politique très forte avec un niveau d’attente très élevé par rapport aux enjeux de développement du continent. La deuxième caractéristique que l’on peut retenir, c’est que ce programme était fondamentalement axé sur l’intégration régionale, économique comme mécanisme d’accélération du développement. Le raisonnement sous-jacent, c’était qu’il était difficile que l’on puisse arriver à des niveaux de création de richesse suffisant à l’intérieur des frontières nationales.

Il fallait donc réfléchir en termes d’ensembles régionaux, que ce soit pour les questions de santé, d’infrastructures ou d’éducation. La deuxième caractéristique était donc le renforcement de l’intégration régionale. La troisième chose qu’on peut retenir, c’est que le niveau des réalisations n’a pas été, évidemment, celui qui était attendu. Les attentes étaient très élevées.

Mais ceci dit, beaucoup de choses ont été réalisées. Que ce soit en termes d’infrastructures à travers des liens de travail très sérieux avec la Banque africaine de développement (BAD). Des projets d’infrastructures ont été lancés dans toutes les régions ou que ce soit au niveau de l’agriculture à travers un programme défini au sein du NEPAD et qui était ensuite appliqué à l’ensemble des régions et qui fait l’objet aujourd’hui de plans nationaux d’investissement maintenant. Que ce soit au niveau de la science et de la technologie avec le développement de compétences spécifiques dans le domaine par exemple de la biosécurité et de l’intégration de biotechnologie dans les politiques agricoles, sanitaires.

Beaucoup de choses ont donc été réalisées dans le domaine de l’éducation, de l’énergie etc., mais pas à un niveau auquel on s’attendait. Pour cela il y avait plusieurs raisons. Une des raisons, c’était la complémentarité des actions entre le NEPAD comme structure et l’architecture de l’Union africaine. Cette raison très particulière vient de faire d’une décision de l’Assemblée générale de l’Union africaine au dernier Sommet d’Addis Abeba ; décision par laquelle le Secrétariat du NEPAD est transformé en Agence d’exécution de l’Union africaine.

C’est la première fois qu’une initiative de développement au niveau continental fait l’objet d’une pérennisation institutionnelle à travers une structure qui est une agence d’exécution et qui est intégrée à l’Union africaine. Le NEPAD devient une agence de développement au niveau continental, un bras technique de la Commission de l’Union africaine.

S : Vous avez déclaré que beaucoup de réalisations ont été faites. Concrètement combien de kilomètres de route, combien de barrages ont été construits à travers le continent africain ?

IAM : (Sourire). C’est une très bonne question. Evidemment comme vous le comprenez, le rôle du NEPAD, ce n’est pas de construire des barrages et des routes. Les barrages et les routes se construisent à travers des actions gouvernementa les nationales.

Nous ne sommes pas une agence de travaux publics qui construisons de routes mais où la question est très importante, c’est que nous pouvons être évalué en fonction du nombre de kilomètres de route que nous avons aider à construire à travers des projets régionaux portés par des communautés économiques régionales comme la CEDEAO, la SADC, la COMESA et à travers ce que deux où trois pays font ensemble. Il y a un pont par exemple entre deux pays et que nous avons aidé à faire l’étude de faisabilité et qui a mobilisé beaucoup de ressources pour le réaliser, c’est bien, mais nous ne pouvons pas mettre à notre actif, des choses qui sont réalisées par les Etats.

Dans le cadre par exemple du PIDA qui est le programme à long terme des infrastructures de la Commission de l’Union africaine, qui est le programme continental adopté par tous les Etats, nous avons un programme à court terme pour lequel il existe une facilité au niveau de la BAD et cette facilité sert à financer des études de faisabilité pour des projets identifiés. Sur la base de ces études de faisabilité on peut enclencher des travaux à réaliser concrètement. Tout ce que nous avons fait en termes d’infrastructures, c’est fondamentalement à travers la BAD sur la base d’un projet d’infrastructures que nous avons aidé à définir.

Si on prend le domaine de la santé par exemple, la plupart des politiques continentales pour l’innovation pharmaceutique ont été définies par le Secrétariat du NEPAD et ensuite livrées à la Commission de l’Union africaine. Si l’on prend toujours le cas de la santé, les stratégies de production de médicaments génériques au niveau continental ont été fondamentalement définies par le secrétariat du NEPAD.

Sur le plan de la science et des technologies, en ce qui concerne la définition des cadres de régulation de l’utilisation des biotechnologies cela a été d’abord fait par le NEPAD pour être ensuite livré au niveau régional et national.

Sur le plan de l’agriculture, le PDDA qui est le programme de développement de l’agriculture au niveau continental a été développé par le NEPAD. Et le NEPAD a aidé des communautés économiques régionales comme la CEDEAO à le mettre en œuvre et ensuite est allé jusqu’au niveau des pays pour organiser des tables rondes sur les programmes nationaux d’investissement. Ces tables rondes sont en train de se faire maintenant. Je crois que celle du Burkina est pour bientôt.

Mais il y a plusieurs autres qui ont été faites en Afrique de l’Ouest, de l’Est, en Afrique australe. Ce sont là des actions concrètes notamment dans le cadre de l’agriculture. Parce qu’elles permettent d’harmoniser des cadres de politiques pour voir comment on peut augmenter la productivité agricole, comment on peut faire le lien entre la recherche et les politiques agricoles, comment on peut aider à définir des projets d’investissement agricole précis dans le domaine par exemple de l’agro-business. Il y a des cadres de politiques très clairs qui ont été définis. A l’intérieur de ces cadres il y a des actions précises qui ont été menées.

Pour revenir à votre question, la grande différence avec l’Agence, c’est qu’il sera beaucoup plus facile de nous évaluer. Autant auparavant on pouvait très généralement dresser une liste de choses que nous avons faites et présenter cette liste et avoir une appréciation plus ou moins positive ou négative, autant maintenant c’est très clair, c’est une question de mise en œuvre.

Si on a identifié un projet de pont par exemple entre le Sénégal et la Gambie ou un projet d’interconnexion électrique au niveau de la CEAC (Communauté économique des Etats de l’Afrique centrale) et que pour le réaliser il faudrait deux ou quatre ans, il faudrait aussi des études de faisabilité autant sur tels aspects avec une mobilisation de ressources. Au bout de trois ans, on va dire, l’agence a pu le faire ou n’a pas pu le faire. Ce sera très concret. Le fait d’être une agence nous impose une responsabilité qui est tout à fait différente. Cela nous oblige à atteindre des objectifs et s’ils ne sont pas atteints ça ce voit très clairement.

S : Les populations à la base ne voient rien de concret se réaliser sur le terrain depuis la création du NEPAD. Est-ce qu’on n’a pas l’impression que c’est une coquille vide, rien que des discours ?

IAM : (regard baissé). C’est une bonne question. C’est l’une des critiques qui ont souvent été formulées et qui consistent à dire beaucoup de colloques, de séminaires et de conférences pour répéter toujours la même chose sur des questions qui sont connues ; alors qu’on a les Objectifs du millénaire pour le développement, les stratégies de réduction de la pauvreté, on a pleins d’instruments à gauche et à droite et à la fin, on vient rajouter le NEPAD. Est-ce qu’à la fin, l’Afrique en tant que continent a réussi à réduire sa pauvreté ?

On peut se poser ces questions-là. Globalement, il ne faut pas isoler le NEPAD de son contexte africain. Il ne faut pas culpabiliser une structure qui fonctionne à l’intérieur d’une architecture qui est globale. Deuxièmement, il faut se rendre compte qu’au cours des dix dernières années, malgré tout ce qu’on peut dire, il y a eu quand même des progrès économiques au niveau du continent qui sont significatifs.

Aujourd’hui le revenu par habitant de l’Africain au niveau du continent est plus élevé que le revenu par habitant de l’Inde qui fait à peu près un milliard deux cent millions d’habitants et nous faisons un peu moins d’un milliard. Il n’y a pas beaucoup de gens qui le savent. Ce sont des statistiques ; ce n’est pas un mystère.

L’Afrique qui a réussi à avoir ce niveau de revenu par habitant, cela signifie qu’il y a quand même des progrès qui ont été faits en termes de croissance économique même si on est le continent qui a le plus d’inégalités dans le monde. Les inégalités en Afrique sont plus importantes qu’en Amérique latine ou qu’en Asie.

C’est cette inégalité qui fait que la perception de la réduction de la pauvreté est très limitée. Pour ce qui concerne le NEPAD lui-même, on ne peut pas affectée au NEPAD une connexion directe avec l’état du continent en tant que tel. Ce qu’on doit essayer de voir, c’est ce qu’il a pu apporter dans les domaines très précis et voir comment il pourrait apporter plus.

Je pense qu’en étant transformé en agence il peut apporter beaucoup plus en soutien aux communautés économiques régionales, en ciblant des projets d’intégration que ce soit en transport, en énergie, du point de vue de la santé ou de l’éducation ou de la science et de la technologie.

Là on pourra l’évaluer de manière très concrète. C’est clair que si la pauvreté n’est pas réduite de manière significative, d’une manière directe ou indirecte, le NEPAD en est responsable comme en est responsable la Commission de l’Union africaine, comme en est responsable la CEDEAO, la SADC, la CEAC etc. On est tous responsables. Pour ce qui est de la question de la visibilité du NEPAD, il faut effectivement faire le lien entre ce que le NEPAD produit et ce que les populations peuvent sentir de façon concrète.

Il y a une chose qui est souvent difficile à communiquer, c’est que le rôle du NEPAD c’est sur le plan régional et sur le plan interrégional mais ce n’est pas au niveau national. Le NEPAD, ne peut pas entrer en compétition avec les Etats au niveau national pour mener à bien la réalisation de projets. Par contre, il peut travailler de manière très étroite avec la CEDEAO sur des projets de transports, avec la SADC sur des projets de santé. C’est à ce niveau qu’il faut véritablement nous évaluer.

S : Eradiquer la pauvreté en Afrique fait partie des objectifs du NEPAD. Comment atteindre cet objectif ?

IAM : (Il croise les doigts). Je ne suis pas de ceux qui sont en faveur de ce qu’on appelle les stratégies de réduction de la pauvreté pour deux raisons. Après le Programme d’ajustement structurel de la Banque mondiale, on a connu un accroissement de la pauvreté. Presque tout ce qui était programmes et projets sociaux a été mis de côté.

Les stratégies de réduction de la pauvreté définies par la Banque mondiale sont la conséquence de l’application du Programme d’ajustement structurel. Cela nous amène à réfléchir uniquement en termes de gestion de la pauvreté chronique et non pas en termes de création de richesse. Il ne faut pas qu’on soit dépendant mentalement des schémas de la Banque mondiale qui sont les résultats de leurs propres erreurs. Il faut plutôt qu’on réfléchisse en termes de stratégies de croissance économique pour créer de la richesse. C’est en créant de la richesse qu’on pourra employer les jeunes qui viennent sur le marché du travail.

Dans un pays comme le Niger ou le Burkina, la cohorte des jeunes qui viennent tous les ans sur le marché de l’emploi, c’est entre 150 000 et 200 000 jeunes de 18 à 23 ans. Sur ces 150 000 à 200 000 jeunes, combien vous en avez qui sont employés ? Ils ne peuvent pas rentrer dans la Fonction parce que nous avons des seuils qui sont déjà comblés. Ce qui reste c’est essentiellement à travers le secteur privé et la création des richesses se fait par le secteur privé.

Et le rôle de l’Etat c’est de permettre au secteur privé de se développer. Ce n’est pas avec des stratégies de réduction de la pauvreté qu’on va créer la richesse qui va permettre d’employer ces jeunes-là. Il faut qu’on change de manière de réfléchir et qu’on ne pense pas en termes de comment on va gérer la pauvreté chronique mais plutôt comment on va créer la richesse.

S : Aujourd’hui, on entend le meilleur et le pire sur le NEPAD. Les uns disent que c’est un bel outil de développement, les autres que c’est un gadget inutile. Disposez-vous véritablement des moyens nécessaires pour le développement du continent qui semble être dans des ténèbres et qui peine à trouver le bout du tunnel ?

IAM : Si on regarde l’avenir, il y a au moins trois points d’optimisme. Le premier, c’est qu’aujourd’hui on a une agence qui est technique qui va se concentrer sur des projets très précis qui pourraient être évalués. L’Afrique a un atout parce qu’elle a une agence et qu’elle a des ressources humaines très pointues et qui peut aider à accélérer des projets régionaux. Deuxièmement, du point de vue de la mobilisation des ressources, notre objectif ce n’est pas d’aller quémander de l’aide avec des bailleurs de fonds. Si l’aide avait permis de développer ce continent, on ne serait pas où on est aujourd’hui.

Et il n’y a pas un seul pays qui soit développé à travers l’aide dans l’histoire économique contemporaine. Notre objectif ce n’est pas de mobiliser des aides de gauche à droite et de réfléchir en termes d’aide à mobiliser. C’est d’avoir des cadres de politiques qui soient cohérents. Et l’agriculture est un bon exemple. On importe de l’extérieur en produit alimentaire pour 40 milliards de dollars par an. Ce n’est pas un problème de ressources.

Si sur ces 40 milliards on utilisait la moitié pour investir dans l’agriculture, on n’aurait pas besoin d’importer. Ce n’est pas un problème de ressources mais un problème de cadres de politiques cohérents. Et dans le cadre de politique cohérent, il faut renforcer la capacité des petits exploitants, il faut les former, leur sécuriser la terre pour qu’ils soient motivés à produire. Il faut voir comment ils peuvent avoir accès à des engrais, à des biotechnologies qui soient pour eux faciles à utiliser. Il y a donc des cadres de politiques cohérents qu’il faut mettre en œuvre.

Il y a des projets régionaux qu’il faut accélérer et qui doivent être mis en œuvre en limitant d’une certaine manière, en amenant les Etats à être plus acteurs dans ces politiques régionales. Ce qui veut dire que si par exemple on ne constitue pas des morceaux que l’on protège d’une certaine manière, il est difficile d’avoir une agriculture qui soit productive, puisque nous allons continuer d’importer des boîtes de tomates d’Italie ou d’Espagne et nous ne pourrons pas les produire nous-mêmes. Sur le plan d’intégration régionale il y énormément de choses à faire et notre rôle c’est de participer à ce mouvement-là.

S : Quel est le montant du budget mis à la disposition du Secrétariat exécutif du NEPAD.

IAM : Il n’y a pas de mystère à ce niveau. On a trois sources de financement. On a une contribution du budget de la Commission de l’Union africaine qui est d’à peu près 3 millions de dollars cette année ; ce qui n’est pas grand-chose pour l’ensemble des activités que nous faisons. On a une contribution volontaire des Etats membres.

Au cours de l’année, ceux-ci peuvent contribuer. On a aussi un pourcentage que nous prélevons pour notre fonctionnement et qui vient des partenaires au développement qui financent un certain nombre de programmes que nous avons définis. Ce ne sont pas eux qui définissent ces programmes mais plutôt nous et s’ils sont intéressés ils y contribuent.

S : Quel appel avez-vous à lancer pour que les Etats africains prennent conscience que le développement de l’Afrique doit être géré par les Africains eux-mêmes ?

IAM : Je pense que les politiques africains ont compris cela. Pour une raison que tous les leaders politiques africains sont assis sur une bombe politique. Quelle est cette bombe politique ? C’est que nous sommes le continent le plus jeune du monde. 50% ont moins de 20 ans ; certains même diront moins de 18 ans. Nous avons le taux de croissance le plus élevé du monde, plus de 3%. Ce qui veut dire que notre population augmente et nos jeunes augmentent. Et un continent qui est aussi jeune comme celui-ci ne peut pas être géré comme les autres continents parce que les jeunes sont impatients.

A partir de ce moment-là, si les leaders politiques ne comprennent pas cela, ils vont être balayés par la jeunesse. Il n’y a d’autres solutions. Ils ont donc compris qu’il faut créer les richesses nécessaires pour employer ces jeunes qui viennent sur le marché du travail. C’est cela le défi de l’Afrique.

Entretien réalisé par Enok KINDO

Sidwaya

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