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Blaise Compaoré et la « question ivoirienne » : Chronique d’une « diplomatie inversée » (3/4)

Publié le vendredi 2 avril 2010 à 18h37min

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Blaise Compaoré n’est pas un naïf ; ni un enfant de chœur. C’est un chef d’Etat responsable. Commentant ses propos sur Laurent Gbagbo, rapportés par Le Parisien (cf. LDD 0197/Mercredi 24 février 2010), il dira simplement (Le Figaro du 27 janvier 2003 - entretien avec Tanguy Berthemet) : « C’est mon rôle auprès de mes citoyens alors que notre pays a une longue frontière avec la Côte d’Ivoire […] Ces déclarations peuvent ne pas être acceptées. Mais ce sont mes déclarations ».

Compaoré vient de participer à Marcoussis à la mise en forme de l’accord de paix entre les « rebelles » et le gouvernement ivoirien. Pour lui, la donne est simple : « Le vrai problème [c’] est une élection présidentielle [celle d’octobre 2000] où on a exclu 15 des 19 candidats dont MM. Ouattara et Henri Konan Bédié. C’est, au départ, la véritable cause de la crise ivoirienne » ; « Si l’armée [ivoirienne] avait fait son devoir, elle aurait chassé les mutins et nous ne serions pas là à négocier » (Le Figaro - cf. supra).

Partant de ce double constat : un échec social qui résulte d’une erreur politique et un échec militaire qui résulte d’une faillite sociale : celle de Gbagbo, Compaoré (dans Le Figaro - cf. supra) dira que Marcoussis a « éclairci les trois points importants que sont les questions de la nationalité, de la « non-exclusion » et de la propriété rurale. C’est une voie vers la solution ». Mais il ajoutera aussitôt : « Bien sûr, il va maintenant falloir du temps pour mettre cela en musique. Et les difficultés sont encore nombreuses comme, sur le plan moral, faire accepter à chaque camp les modalités signées et recréer les conditions de la confiance mutuelle. Ensuite, l’identification des nationaux sera loin d’être simple. Il y a aussi la question des baux sur les terres. Mais nous sommes sur la voie du règlement ».

Abidjan va mal vivre la signature de l’accord de Marcoussis, sa validation par les chefs d’Etat, les représentants d’institutions internationales et régionales, les diplomates… réunis quelques heures plus tard au Centre des conférences internationales de l’avenue Kléber, à Paris (conférence qui se déroulera en présence de Gbagbo). La nomination d’un premier ministre de consensus, Seydou Elimane Diarra, et la participation des Forces nouvelles (ex-« rebelles ») au gouvernement, notamment aux portefeuilles de la Défense et de l’Intérieur, entérinées par les représentants de l’Etat à Paris, seront contestées dans la rue par les milices et les organisations « pro-Gbagbo ». Après Ouaga, c’est Paris qui est dans le collimateur d’Abidjan. Le 4 février 2003, l’accord de Marcoussis sera consacré par le Conseil de sécurité : c’est la résolution 1464.

Une fois encore, Compaoré ne sera pas dupe. Dans J.A./L’Intelligent (9-15 février 2003 - entretien avec Chérif Ouazani), il évoquera « le scepticisme nourri de l’expérience de nos relations avec notre voisin du Sud » et soulignera que la « large représentation de la communauté internationale [lors de la conférence de Kléber] conférait un caractère sérieux aux engagements pris par les acteurs de la crise ivoirienne ». Marcoussis, dira-t-il à Ouazani, « propose des solutions aux problèmes de fond de la Côte d’Ivoire. Pour sa mise en œuvre, rien n’interdit de se revoir. Nous n’en sommes pas encore là. Or le président Gbagbo ne l’a toujours pas fait ! ».

La préoccupation de Compaoré est alors la sécurité, en Côte d’Ivoire, des biens et des personnes classées « Burkinabè ». Sur cette question, la classe politique burkinabé est unanime à l’exception de Hermann Yaméogo (qui peut considérer que cet électron libre en fait partie ?). Pour le reste, Compaoré ne cessera de marteler que la crise ivoirienne est exclusivement une « crise ivoiro-ivoirienne ». A Marcoussis, dira Compaoré à la RTB lors d’un face-à-face avec la presse nationale (jeudi 5 août 2004), « on a parlé de la précarité de l’identification nationale, d’élections non-ouvertes, de légitimité du pouvoir d’Etat, de spoliation des terres des exploitants agricoles, de négation des droits de l’homme… C’est pour tout simplement vous dire que les Ivoiriens eux-mêmes sont conscients que les problèmes qu’ils vivent ne viennent pas du Burkina Faso. Les causes de ces problèmes sont à l’intérieur de la Côte d’Ivoire ».

Au mitan de 2004 se profilait à l’horizon l’organisation de la présidentielle ivoirienne d’octobre 2005. Pour Compaoré (dans son entretien à la RTB), au lendemain de Marcoussis, une « question a été éludée » : celle de « la légitimité du pouvoir d’Etat qui [passe] nécessairement par des élections ouvertes » (question relancée par les accords de Accra III, le 30 juillet 2004). Dans ce dossier, il ne se mettait pas en avant mais inscrivait son action dans celle de la Cédéao. Le Burkina Faso « suit le dossier » mais ne mène pas une « médiation », dira-t-il, soulignant que « le Mali, le Burkina et la Côte d’Ivoire sont quand même trois pays inséparables. Le Mali et nous avons intérêt à accompagner la mise en œuvre de ces engagements ». A ceux qui pensaient qu’il avait des ambitions hégémoniques dans la sous-région, Compaoré répondra : « Notre intérêt est d’avoir à nos côtés un pays uni et stable […] Pour nous, ce qui est donc important, c’est la paix, l’unité, du nord au sud » (entretien avec Zyad Limam - J.A./L’Intelligent, 14-20 novembre 2004). A Limam, qui insistera dans la dénonciation d’un « impérialisme » burkinabè et évoquera une extension du Burkina Faso « jusqu’à Bouaké », l’installation « sur le fauteuil présidentiel ivoirien [de] quelqu’un proche [des] intérêts [burkinabè] », le « vieux rêve de rétablir un empire mossi, qui irait jusqu’en Côte d’Ivoire et au Ghana »,… Compaoré dira : « Je vais répondre à ce qui semble vous tracasser. Pour le Burkina, ce qui compte, ce qui est essentiel, c’est de pouvoir marquer notre différence. De pouvoir dire en toute liberté : nous sommes d’accord ou nous ne sommes pas d’accord. Et sur les questions importantes […] on sait ce que le Burkina pense ».

En 2004, Compaoré est sur le devant de la scène à la suite de la tenue à Ouagadougou du sommet de la Francophonie. Sur la question ivoirienne, Compaoré ne cessera d’enfoncer le clou : « Le véritable problème de la Côte d’Ivoire, c’est la légitimité du pouvoir actuel […] Je répète que, lorsque les deux principaux partis d’un pays sont exclus des élections, vous ne pouvez pas organiser la stabilité, même par les armes ». Dans cet entretien avec Jean-Louis Validire, publié par Le Figaro (6 décembre 2004), Compaoré remarquera, par ailleurs, que « les Forces nouvelles constituent l’élite de l’armée ivoirienne » et que le dossier ivoirien « est devenu une affaire des Nations unies ». Il reviendra également sur les allégations persistantes selon lesquelles le Burkina « rêverait d’une grand Etat qui irait jusqu’à Bouaké… » : « Nous avons suffisamment de terres et nous sommes vraiment engagés pour le respect des frontières héritées de la colonisation. Nous souhaitons plutôt le bon voisinage ». Un an plus tard, dans un entretien avec Tanguy Berthemet (Le Figaro du samedi 12-dimanche 13 novembre 2005), il reconnaîtra que si Ouaga n’a rien à voir avec les accusations de déstabilisation de l’Afrique de l’Ouest (hormis la Côte d’Ivoire, on lui reprochait son « interventionnisme » en Mauritanie, au Liberia, en Sierra Leone), « il est vrai cependant que le Burkina est présent dans sa région et qu’il prend des positions. C’est normal ».

Nous sommes fin 2005. La Côte d’Ivoire n’a pas pu organiser sa présidentielle et le Burkina Faso, quant à lui, est en campagne. Compaoré sera réélu. Sans problème. Le 15 octobre 2007, il fêtera le vingtième anniversaire de son accession au pouvoir. Il est, plus que jamais, incontournable sur la scène continentale et dans les relations entre l’Europe et l’Afrique alors que la Côte d’Ivoire de Gbagbo s’enfonce dans le chaos politique, économique et social.

Jean-Pierre Béjot
LA Dépêche Diplomatique

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