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Alizèta Kaboré, du contingent burkinabè en Haïti : “J’ai vécu le séisme, comme si c’était dans un rêve”

Publié le mercredi 24 mars 2010 à 02h48min

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Alizèta Kaboré

Mme Alizèta Kaboré est garde de sécurité pénitentiaire. Depuis avril 2009, elle séjourne en Haïti dans le cadre de la mission des Nations unies pour la stabilisation de ce pays. C’est donc un témoin privilégié qui a vécu le grand séisme, qui a prolongé Haïti dans le chaos. Nous l’avons rencontrée, à son passage au Burkina à la faveur d’un congé de quelques jours au bercail. Elle relate dans cette interview, comment elle a vécu le grand drame intervenu le 12 janvier dernier…

Sidwaya (S). : Que faites-vous concrètement en Haïti ?

Alizèta Kaboré (A. K.) : Je suis allée en mission en Haïti, dans le cadre de l’appui des autorités pénitentiaires pour la gestion des prisons et dans le cadre du maintien de la paix, plus précisément, il s’agit de la mission des Nations unies pour la stabilisation de Haïti (MINUSTHA). Je suis à Haïti, depuis le 27 avril 2009, pour un séjour d’une année.

Mais si au bout d’un an, les résultats sont concluants, on peut accorder une prolongation de 6 mois. Au terme de ces 6 mois, on peut encore nous accorder 6 autres mois. On peut donc facilement séjourner deux ans. En ce qui me concerne, je n’ai que 10 mois de séjour. Mais à cause du séisme, on a accordé un petit congé au personnel. Et j’ai profité de cette opportunité pour voir la famille et les rassurer parce que beaucoup avait paniqué.

S. : Au vu de ce qui s’y est passé, vous n’avez pas peur d’y retourner ?

A. K. : C’est vrai qu’il y a toujours des répliques de quelques secondes, mais pas violentes. En plus, j’ai laissé des collaborateurs, des compatriotes burkinabè là-bas. Et c’est maintenant que Haïti a beaucoup plus besoin d’aide, ce n’est pas le moment où il faut les abandonner. Voilà, pourquoi, je dois repartir pour apporter ma contribution à la reconstruction de Haïti. Parce que, la nuit du séisme, on a enregistré environ 4 000 prisonniers qui se sont évadés. Il faut que j’y retourne pour aider à la reconstitution des dossiers que les prisonniers ont brûlé avant de s’enfuir.

S. : Comment avez-vous vécu le séisme du 12 janvier à Port-au-Prince ? Racontez-nous un peu…

A. K. : J’ai vécu le séisme comme si c’était dans un rêve ou dans un film. Jusqu’à présent, je ne m’en reviens pas… Le jour du séisme, je suis arrivée chez moi à 16h 47. Quand j’ai garé mon véhicule, je suis entrée dans ma maison, j’ai juste eu le temps de déposer mes affaires.

Et c’est 6 mn après mon arrivée, précisément à 16h 53, que le tremblement de terre a commencé, au moment où je suis ressortie pour fermer ma porte. La maison a commencé à basculer, je n’ai fait que continuer dehors où je me suis retrouvé à terre…

S. : Lorsque votre maison a commencé à basculer, à quoi avez-vous pensé ? Vous avez compris que c’était un séisme ?

A. K. : Sur-le-champ, je ne savais pas ce qui était arrivé. Parce que c’était trop violent et brusque. Je n’avais jamais vu pareille chose. C’est quand je suis allée tomber dehors, que j’ai réalisé que c’était un tremblement de terre. Ce n’est qu’à la télé, que je voyais cela.

S. : Et qu’avez-vous fait ? Où êtes-vous allée ?

A. K. : Je me suis relevée et je courais dans la cour, de gauche à droite, en essayant d’attraper les plantes. Je tombe, je me relève, j’attrape une plante, elle s’arrache, je tombe à nouveau…C’était une scène vraiment terrible. J’ai eu très peur.

Les maisons et les arbres étaient devenus flexibles et les véhicules stationnés dansaient. Au bout de 45-50 secondes, tout s’est arrêté et les gens ont commencé à sortir des maisons.

S. : Votre maison d’habitation s’est-elle écroulée ?

A. K. : Elle n’est pas tombée. Mais les murs comportent des fissures à certains endroits. Là où j’habite, une fissure traverse le salon, jusque dans ma chambre. En réalité, c’est une maison à deux niveaux. Une partie est habitée par une famille et l’autre, est occupée par des locataires. Je suis la seule Burkinabè et il y a aussi 4 Sénégalais.

S. : Lorsque tout s’est calmé, avez-vous pu avoir les nouvelles des autres Burkinabè de la mission ?

A. K. : Après le séisme, toutes les lignes étaient coupées. Je n’arrivais à joindre personne. Eux, non plus n’arrivaient pas à me joindre. Comme je suis sortie indemne, j’ai cherché à connaître la situation des autres. Mais, c’était difficile. C’est le lendemain, qu’un compatriote est venu me chercher à la maison.

Car on était consigné à la direction de la mission. Ceux qui avaient des maisons habitables y sont retournés une semaine après et ceux qui avaient leurs logis fissurés sont restés au sein de la mission. Des tentes ont été données aussi bien au personnel international que national, qui ne pouvait pas retourner chez lui. Il habite et travaille désormais au siège de la mission.

S. : Le personnel de la mission a-t-elle participé aux opérations de secours ?

A. K. : Ce sont les contingents militaires et policiers qui ont participé aux secours, à la fouille des décombres, pour rechercher d’abord, les survivants et ensuite, dégager les corps. Comme on n’a pas demandé aux femmes de participer, je ne faisais donc pas partie de ces opérations.

S. : Vous confirmez que le contingent burkinabè n’a enregistré qu’un seul décès en son sein ?

A. K. : Oui. Parce que le lendemain du séisme, dans la soirée, tout le contingent burkinabè s’est retrouvé à la direction de la mission. Tout le monde était là, sauf Onadja (NDLR : le policier décédé). Notre responsable n’a déclaré aucun autre décès.

S. : Quel est le nombre des Burkinabè de la mission ?

A. K. : Il y avait 22. Mais en décembre, il y a en qui sont rentrés au Burkina, mais je ne connais pas leur nombre. Mais je sais qu’il sont six nouveaux qui sont venus les remplacer.

S. : Vous dites que la communication était coupée après le séisme. Combien de temps avez-vous mis pour pouvoir rentrer en contact avec votre famille au Burkina ?

A. K. : Effectivement, la nuit du séisme, je n’arrivais pas à joindre ma famille. C’est le lendemain mercredi vers 10h que mon petit frère qui est à Dori, est arrivé à me joindre et a rassuré les autres membres de la famille. Quand je les ai eus au téléphone après, chacun m’a raconté comment il a vécu la situation. Et quand je rencontre les gens ici, je ne sais pas quoi dire, parce que je suis dépassée. Il y en a qui se mettent à pleurer lorsqu’ils me voient.

S. : Est-ce qu’après le drame, des autorités burkinabè se sont manifestées pour connaître notre situation ?

A. K. : Le lendemain du séisme, le commandant de la garde de sécurité pénitentiaire nous a envoyé des messages électroniques pour avoir la situation. Et nous lui avons répondu que toute la GSP est sortie indemne et que nous avons eu un policier qui a perdu la vie.

S. : Environ deux mois après le séisme, comment est la vie à Haïti, notamment à Port-au-Prince ?

A. K. : Je suis arrivée ici, un mois après. Mais je peux dire qu’après deux à trois semaines, la vie avait commencé à reprendre. Dans la rue, les gens circulent, le commerce avait repris, les restaurants, les boutiques ont réouvert, les services qui ne sont pas effondrés continuaient de fonctionner.

S. : Votre mission est d’aider les autorités pénitentiaires haïtiennes à la gestion des prisons. Maintenant qu’il n’y a presque plus de prisonniers et de prisons, quelle sera votre rôle ?

A. K. : Les prisons existent. Ce n’est pas toutes les prisons qui se sont vidées. La plus grande prison de Port-au-Prince, qui comportait 4 300 détenus a été totalement vidée. Mais à la prison des femmes qui comporte 300 détenues, aucune femme ne s’est évadée. Cette prison est toujours là. Une autre prison à Port au Prince s’est vidée en partie. Sinon, à l’instar de la plus grande prison, la prison des enfants et une autre située à 60 km de la capitale n’ont plus aucun pensionnaire. Sur un total de 17 prisons, quatre se sont totalement vidées.

S. : Comment les autorités pénitentiaires comptent-elles s’y prendre pour retrouver tous les évadés ?

A. K. : Avec l’aide de la police nationale d’Haïti et celle des Nations unies, elles s’organisent de telle sorte à reprendre les évadés. Et là où les prisons fonctionnent, elles les y mettent. Avant même que je n’arrive ici, des prisonniers évadés avaient déjà été repris.

S. : Après le grand séisme du 12 janvier, y a-t-il eu d’autres secousses ?

A. K. : Le jour même du grand tremblement, il y a eu des répliques toute la nuit. Ce jour-là, nous avons dormi dans un véhicule. Et à un certain moment, on a senti le véhicule bouger. Toute la nuit, la ville de Port-au-Prince a dormi dehors, ce jour-là. Même jusqu’à ce que je quitte, des gens continuaient de dormir dehors. Car avec les répliques qui ont continué, les maisons fissurées ont continuer de tomber.

Le 20 janvier à 6h, il y a eu une réplique de magnitude 6-1 et il n’y a pas très longtemps, il y a une autre réplique de magnitude 4.

Les sismologues avaient d’ailleurs annoncé que ça ne pouvait pas se stabiliser d’un seul coup et que les répliques allaient continuer sur une période d’environ deux mois. Comme les gens sont informées et que ces répliques ne sont pas violentes, il vivent avec. Mais avant ce grand séisme, il n’y avait pas de répliques. Il n’y avait rien du tout.

S. : Comment les Haïtiens perçoivent la présence d’Africains qui participent aux opérations de maintien de la paix dans leur pays ?

A. K. : Ceux qui nous ont précédés nous avaient dit que la population locale ne les acceptaient pas facilement. Mais, je pense que c’est un problème d’ignorance. Beaucoup ne savent pas que nous sommes d’origine africaine. Mais dès lors qu’ils (les Haïtiens) le découvrent, la confiance s’installe et ils nous appellent “cousins”.

Interview réalisée par Gabriel SAMA

Sidwaya

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