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Journée nationale du paysan. Bassiaka Dao, président de la Confédération paysanne du Faso : "Nous devons nous méfier des technologies hasardeuses"

Publié le mercredi 3 mars 2010 à 02h17min

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Bassiaka Dao, président de la Confédération paysanne du Faso

C’est aujourd’hui 3 mars que s’ouvre à Ziniaré, la XIVe édition de la Journée nationale du paysan. A l’occasion de cette journée d’hommage aux paysans, Sidwaya donne la parole au président de la Confédération paysanne du Faso (CPF), Bassiaka Dao. Les retombées de la JNP, la question de la maîtrise d’eau, la culture du jatropha, la biotechnologie ainsi que la filière haricot vert sont, entre autres, les sujets abordés.

Sidwaya (S.) : La Journée nationale du paysan se déroule du 3 au 4 mars prochain. Quelles sont vos attentes pour cette XIVe édition ?

Bassiaka Dao (B.D.) : Cette année, le thème va porter sur la maîtrise et la mobilisation de l’eau. Compte tenu des changements climatiques que nous constatons depuis quelques années, l’eau est en train de devenir de plus en plus, une denrée rare. Nos attentes par rapport à cette édition, est qu’au sortir des échanges, nous ayions des solutions concrètes en termes de mobilisation de l’eau. Cela en répondant aux questions, comment et qui doit mobiliser l’eau ainsi que le rôle de chaque acteur.

S. : Avez-vous été impliqué au choix du thème ?

B.D. : Certainement. Il s’agit d’un thème consensuel entre le département en charge de l’agriculture et les organisations paysannes, choisi à la suite de concertation informelle entre les différents acteurs.

S. : Après 14 éditions, quel bilan faites-vous de la JNP ?

B.D. : Il nous est difficile de faire un bilan de la JNP mais nous pouvons faire un bilan sur la participation de la CPF aux différentes journées. Les premières journées ont eu lieu en 1993, alors que la CPF a vu le jour il y a de cela 8 ans, soit en 2002. Cependant, nous avons constaté une prise de conscience des paysans au fil des ans. La JNP n’est plus un simple rassemblement, une fête où les gens viennent s’amuser.

Au contraire, elle est devenue un cadre qui permet un échange franc entre les acteurs. La naissance de la Confédération paysanne à insuffler un souffle nouveau à l’organisation de la JNP. Toute chose qui nous permet de dire que notre bilan est positif.

Depuis sa naissance, la CPF travaille à vulgariser chaque thème débattu lors de la JNP auprès de ses membres. Si nous prenons par exemple la XIIIe édition où nous avons parlé de la diversification des productions dans nos exploitations familiales, nous avons effectué des tournées après la JNP, pour organiser des ateliers de restitution dans les 13 régions du Burkina Faso.

A ce niveau, nous avons expliqué aux producteurs, le bien-fondé de la diversification. A partir de là, ils ont compris que c’est dans leur propre intérêt d’abandonner la monoculture. Cela leur permet d’être non seulement occupés à tout moment de la saison mais aussi de multiplier leur chance en terme de rentabilité de leurs exploitations.

Au regard donc de tout ce que nous avons pu faire en matière de sensibilisation auprès de nos membres et de propositions auprès des autorités, nous pouvons dire que notre bilan est positif.

S. : A travers votre réponse, devons-nous comprendre que la question de la pertinence de la JNP ne se pose plus ?

B.D. : La question de la pertinence ou pas de la JNP ne se pose plus. Chaque semaine, il y a un conseil de ministres. Il y a aussi la rencontre entre le chef de l’Etat et les gouverneurs, entre le chef de l’Etat et les jeunes, etc.

C’est donc tout à fait normal que le chef de l’Etat qui dit être à l’écoute des paysans, marque un arrêt pour cela. La JNP a sa raison d’être et je peux même affirmer qu’elle est incontournable aujourd’hui. C’est un rendez-vous du donner et du recevoir, où chacun prend des engagements. Par exemple, au cours de cette XIVe édition, nous allons faire le bilan de ce qui a marché lors de la dernière campagne et ce qui ne l’a pas été.

D’ailleurs aujourd’hui, les pays voisins sont en train de prendre exemple sur nous. Notre expérience a inspiré certains pays comme le Mali, le Niger et le Togo qui organisent aujourd’hui des JNP. Le Bénin également est en train de s’activer pour organiser sa première journée. C’est dire que la JNP dans sa forme actuelle est très utile et que nous sommes sur la bonne voie.

S. : Pourtant, certains observateurs pensent que la rencontre avec le chef de l’Etat est une mise en scène et que le paysan qui vient de Niangoloko n’a pas réellement la possibilité de poser sa préoccupation au chef de l’Etat. Qu’en dites-vous ?

B.D. : Ce n’est pas du tout une mise en scène. Tout le monde peut s’exprimer comme il l’entend. Seulement, il faut être réaliste. Compte tenu du temps qui est très réduit, soit deux heures, chacun n’a pas la latitude de s’exprimer comme il le souhaite. C’est pour remédier à cela qu’il est institué des fora régionaux pour permettre à chaque producteur de donner son point de vue par rapport au thème. Avant cela, il y a des consultations au niveau des provinces où chacun a pu faire le point sur les problèmes en matière de mobilisation d’eau.

Tout cela va permettre, lorsque nous serons en face du président du Faso, de soumettre les problèmes majeurs de chaque région au lieu que chacun vienne avec ses problèmes personnels.

En plus de cela, ceux qui le veulent, peuvent soumettre directement leurs doléances au chef de l’Etat. Contrairement à ce que certains pensent, on ne donne pas les questions aux gens pour qu’ils aillent les poser au président. Si vous vous rappelez, lors de la XIIe édition de la JNP à Bobo-Dioulasso, un cordonnier venu du Centre-Nord, a pu, au nom de tous ses collègues cordonniers, poser ses préoccupations au président du Faso après lui avoir offert des sandales.

Mais au-delà de nos sollicitations personnelles, ce que nous ne devons pas perdre de vue, c’est le développement de notre agriculture. Pour dire qu’il n’y a pas de mise en scène. Si certains ont pu croire cela, c’est peut-être dû au manque de maturité dont les producteurs faisaient montre lors des premières éditions de la JNP. Mais depuis la Xe édition, cette maturité est en train de s’installer progressivement chez les paysans.

Nous savons maintenant que cette journée est effectivement la nôtre et qu’il faut aller à l’essentiel. Il y a un manque de temps qui ne permet pas à plus de mille paysans de poser chacun sa question au président. Il n’y a que les plus dégourdi qui arrivent à poser leurs problèmes.

S. : Au fil des années, sentez-vous que vos doléances sont prises en compte par les autorités ?

B.D. : Bien sûr ! Prenons par exemple la Xe édition qui s’est déroulée dans un contexte de crise alimentaire sans précédent. Les producteurs, mobilisés autour de la CPF, ont demandé au chef de l’Etat, la subvention des intrants pour permettre aux paysans de multiplier leurs productions par deux. Cette doléance a été satisfaite, car depuis cette Xe édition, nous avons eu des engrais subventionnés ainsi que des semences certifiées en particulier les semences de riz.

Ces engrais et semences subventionnés font aujourd’hui le bonheur des paysans, car ils ont permis aux producteurs d’accroître considérablement leurs rendements. Nous avions aussi demandé à l’Etat un appui à la commercialisation de nos produits. Aujourd’hui, c’est chose faite. Le gouvernement avec l’engagement personnel du chef de l’Etat, est en train d’organiser les acteurs. Grâce à cela, on assiste aujourd’hui à la naissance des interprofessions.

Des lois ont déjà été prises. Ces interprofessions, producteurs, transformateurs, commerçants vont travailler ensemble pour qu’on puisse lier directement la production au marché. Tout ceci pour arriver à une contractualisation de la production.

Ainsi, dès le début, le producteur en cultivant tel ou tel produit sait à qui il est destiné, pour quel marché et comment. Même au niveau de l’élevage, beaucoup de choses ont été faites. Il y a eu par exemple l’installation de plus de 190 éleveurs leaders à travers le pays, pour booster l’élevage. Ces leaders devront arriver à moderniser notre élevage en donnant l’exemple aux autres éleveurs.

S. : Peut-on dire que l’agriculture est en plein essor ?

B.D. : L’agriculture burkinabè connaît un progrès notable. Nous avons connu des difficultés dans les année 80 avec le désengagement de l’Etat sous la pression de la Banque mondiale. Cela a beaucoup freiné le développement de notre agriculture. Mais, à quelque chose malheur est bon. Aujourd’hui la crise alimentaire qui a secoué toute la planète a tiré sur la sonnette d’alarme et a réveillé les décideurs politiques qui ont compris qu’il ne faut plus compter sur le marché mais plutôt sur ses propres capacités de production pour pouvoir nourrir ses populations.

Quand le gouvernement a pris la résolution de subventionner la filière rizicole, la production a doublé en une seule année. Cela veut dire que si nous continuons dans cette lancée, nous serons auto-suffisants en riz. L’Etat est en train de s’investir pour l’aménagement de nouveaux périmètres hydro-agricoles pour la production du riz. Pour dire que l’agriculture burkinabè a fait un grand bon en avant. Nous sommes partis de la daba mais aujourd’hui la majeure partie de nos exploitations familiales à vocation économique utilise au moins la traction animale. Beaucoup même ont pu s’acheter des tracteurs.

L’Etat à œuvrer à mettre à la disposition des paysans, 700 tracteurs à prix subventionné. Toute chose qui a permis de révolutionner notre agriculture et de lui donner un nouveau visage, à savoir une rupture d’avec l’agriculture de subsistance. Beaucoup de nouvelles technologies sont pratiquées et font des merveilles telles que la technique de goutte à goutte qui permet d’économier de l’eau et la technique de microdosage, l’engrais. Tous ces progrès sont le fruit d’une synergie d’actions entre autorités politiques et organisation paysannes. Si le Burkina est meilleur cotonculteur en Afrique de l’Ouest, cela veut dire qu’on a fait un grand pas en avant.

D’ailleurs, de plus en plus, nous sommes en train de nous installer dans le fauteuil de leader en matière de production agricole dans la sous-région. Malgré notre situation de pays enclavé, le Burkina ambitionne d’être un fournisseur incontournable de céréale dans la région. En matière de production de maïs déjà, nous fournissons beaucoup de céréales.

S. : De plus en plus, on encourage la production des biocarburants notamment le jatropha. Quelle est la position de la CPF par rapport à cela ?

B.D. : Nous, au niveau de la CPF, nous nous méfions de ses biocarburants, car il y a le risque qu’ils entrent en concurrence avec la production céréalière et compromettre la sécurité alimentaire. Certes, les énergies renouvelables sont à la mode. Il s’agit de voir comment transformer le Jatropha et autres en carburant comme une autre alternative face au coût de l’énergie fossile.

Même si l’idée est noble, je pense que cela n’est pas opportun pour un pays comme le nôtre, dont l’agriculture dépend des aléas climatiques, avec une situation alimentaire précaire, on ne doit pas s’hasarder dans des choses qu’on ne maîtrise pas. Que ceux qui encouragent le Jatropha nous disent quelle est la valeur ajoutée du Jatropha par rapport aux céréales. Jusqu’à présent, nous n’avons pas vu d’expériences positives. A la CPF, nous ne sommes pas contre les énergies renouvelables.

Cependant, nous pensons qu’il y a lieu de revoir les types d’énergies renouvelables que nous voulons promouvoir. Pourquoi le Burkina ne mettra pas l’accent sur la production intensive du maïs pour produire du biocarburant. Si les Américains arrivent à transformer 25% de leur maïs en biocarburant, pourquoi pas nous ? Cela présente l’avantage qu’en cas de problème, ce maïs peut être consommé par ceux-là même qui le produisent. En cas de surproduction, il peut être dirigé vers l’alimentation des animaux.

Et lorsqu’on a suffisamment, on peut aller vers la transformation en biocarburant. Pour revenir au Jatropha, nous pensons que c’est un effet de mode auquel le gouvernement doit se méfier. A la rigueur, il faut d’abord mettre en place des unités d’expérimentation. Au début, on avait fait croire aux producteurs qu’en 6 mois, le Jatropha peut donner des grains. Et surtout, l’engouement est venu du fait qu’on a dit qu’il peut être produit sur des terres dégradées. Mais en réalité, on s’est très vite rendu compte que les gens veulent plutôt les terres fertiles de l’Ouest où on produit beaucoup de céréales. D’où une menace sérieuse sur la sécurité alimentaire.

S. : Si vous vous méfiez de la production du jatropha, que faites-vous alors au niveau de la CPF pour sensibiliser les autorités sur la nécessité de mettre des garde-fous ?

B.D. : Par rapport à la crise alimentaire, nous avons interpellé le gouvernement en lui disant de se méfier des technologies hasardeuses telles que la biotechnologie et le biocarburant. Ce sont des technologies hasardeuses parce que leur utilité et leur efficacité n’ont pas encore été prouvées. Mais aujourd’hui, le gouvernement est en train de faire son plan d’action pour la production du Jatropha.

En attendant, ce sont des privés qui sont sur le terrain et qui encouragent sa production en pensant à leur profit du moment. Cela fait déjà plus de trois ans que les gens se sont lancés dedans. Qu’on nous dise alors les résultats positifs obtenus. Le risque est qu’on va entraîner les producteurs à entrer dans une autre filière qui va maintenir sa dépendance vis-à-vis de l’extérieur. Jusqu’à preuve de contraire, nous n’avons pas, à ce que je sache, des installations pour transformer le biocarburant. Nous avons d’ailleurs, à ce sujet, effectué un voyage d’études au Brésil.

Nous avons vu qu’ils sont très en avance sur cette question de biocarburant mais qu’ils n’utilisent que l’éthanol, produit à base de canne à sucre. Dans un pays sahélien comme le Burkina, la priorité, c’est de tout mettre en œuvre pour nourrir convenablement le peuple et à la longue, atteindre une souveraineté alimentaire. Nous n’avons pas suffisamment à manger puisse que nous sommes en équilibre chaque année.

Il est donc inopportun de converger nos efforts sur la production de Jatropha pour le "ventre de nos véhicules", car nous risquons d’avoir faim. Le Jatropha, on ne mange pas ses graines, ses racines, ni ses feuilles. Au contraire, ses feuilles sont nocives. C’est donc pour tout cela que nous demandons aux gens d’être prudents en attendant la mise en place d’unités-pilotes qui vont nous permettre de mieux comprendre et si nécessaire, d’y adhérer.

S. : Vous avez également évoqué les OGM. La CPF est-elle contre les OGM ?

B.D. : Tout comme le biocarburant, nous considérons les OGM comme une technologie hasardeuse pour un pays comme le Burkina. La culture des OGM est source de dépendance semencière, car elle est produite par des firmes internationales. Et lorsque vous dépendez semencièrement des autres, cela veut dire que votre agriculture est vouée à l’échec. Le Burkina est-il capable de créer ses propres gènes ? Je ne suis pas sûr.

S. : Nos chercheurs sont à pied-œuvre pour cela.

B.D. : L’INERA s’active à des recherches, certes. Mais même au niveau des chercheurs, il y a des doutes. Ils sont partagés entre le doute et l’espoir. Nous n’avons pas encore épuisé le potentiel génétique que nous avons hérité de nos ancêtres. Il y a des variétés de maïs qui peuvent aller jusqu’à 6 à 7 tonnes à l’hectare, mais la faible utilisation des intrants fait que nous avons une moyenne de 1,5 tonne seulement à l’hectare. Nos recherches doivent aller dans ce sens là au lieu d’aller chercher des technologies qu’on ne maîtrise pas. Dans les pays asiatiques, les gens font 11 tonnes de riz à l’hectare. Ici, malgré les avancées significatives, nous sommes toujours autour de 6 tonnes à l’hectare. C’est dire donc qu’il y a encore un manque que nous devons gagner.

S. : L’UNPC-B est pourtant d’avis contraire ?

B.D. : Nous avons entendu effectivement François Traoré dire dans les médias que les OGM ont été demandés par eux-mêmes les producteurs. Donc je ne m’en mêle pas. Mais au niveau de la production céréalière et autres, la CPF préfère observer la prudence. Nous attendons de voir les résultats à long terme.

S. : La filière fruits et légumes va mal, en particulier le haricot vert. A votre avis, quelle solution faut-il envisager ?

B.D. : La filière haricot vert a connu son déclin dans les années 85-86, lorsque les compagnies aériennes avaient boycotté l’aéroport de Ouagadougou. Ces années ont fait perdre des millions de francs à des structures productrices comme l’UCOBAM. Ensuite, quand la Banque mondiale a encouragé la libéralisation et que l’Etat s’est retiré, il n’y avait plus d’acteurs fiables, mais des entrepreneurs fictifs qui apparaissent d’un moment à l’autre. C’est ce qui a causé la chute de la production.

Aujourd’hui, jusqu’à présent, il manque des gens fiables pour organiser le secteur. Mais depuis l’arrivée du PAFASP qui s’intéresse à la filière fruits et légumes, en particulier le haricot vert, l’Etat même est revenu en force pour réorganiser la filière. Toutefois, les acteurs doivent prendre conscience qu’on ne peut pas être un acteur compétent dans un domaine, en étant un acteur éphémère. Quand il y a du haricot vert, on voit beaucoup d’exportateurs surgir.

Lorsque le cours baisse sur le marché, tous ces acteurs disparaissent et ce sont les paysans qui payent les pots cassés. Quand je parle d’acteurs capables par exemple, il faut que la CPF et ses membres puissent s’impliquer dans l’organisation de la filière et contractualiser avec d’autres acteurs fiables. Au lieu des acteurs éphémères qui vont nuitamment acheter dans les champs les productions qu’ils n’ont pas financées, nous voulons des acteurs qui vont accepter investir dans le secteur et à long terme.

Entretien réalisé par Fatouma Sophie OUATTARA (sofifa2@yahoo.fr)

Sidwaya

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