LeFaso.net, l'actualité Burkinabé sur le net
Proverbe du Jour : “Soyez un repère de qualité. Certaines personnes ne sont pas habituées à un environnement où on s’attend à l’excellence.” Steve jobs

Pr JEAN KOULIDIATY, PRESIDENT DE L’UNIVERSITE DE OUAGA : "2010 sera une année de pression positive"

Publié le jeudi 25 février 2010 à 01h30min

PARTAGER :                          

S’il y a une institution qui a connu une grave crise l’année dernière, c’est bien l’université de Ouagadougou, suite à la grève prolongée des enseignants-chercheurs. Aujourd’hui le temple du savoir renoue avec la stabilité, selon le président de l’université, le Pr Jean Koulidiaty, que nous avons rencontré. Dans cette interview, il évoque les conditions de la rentrée universitaire 2009 - 2010 et annonce l’application du système Licence - Master - Doctorat (LMD). A ce propos, il appelle tous les acteurs à accepter "une pression positive" durant l’année pour mettre ces chantiers en oeuvre.

"Le Pays" : Comment s’est déroulée l’année universitaire écoulée, surtout après le mouvement des enseignants ?

Pr Jean Koulidiaty : L’année 2008-2009 a été une année difficile du point de vue du management du temps. La situation se présente ainsi : nous avons un petit tiers qui a commencé les enseignements de l’année 2009-2010 depuis le mois d’octobre - novembre, à savoir l’IPERMIC, l’ISSP, l’IBAM et certains instituts professionnalisants dans les UFR. Il y a un 2e tiers qui est composé des unités de formation et de recherche (UFR) en sciences exactes et appliquées (SEA), en sciences de la santé (SDS), une partie des sciences de la vie et de la terre (SVT), qui a repris les enseignements dans la première semaine du mois de janvier 2010 et un dernier tiers constitué par une partie de l’UFR/SVT, de l’UFR/lettres, arts et communication (LAC), de l’UFR sciences humaines, qui n’a pas encore commencé les enseignements parce que la délibération de la 2e session est en cours.

Effectivement, il y a eu un mouvement social d’une grande envergure l’an passé d’une part. D’autre part, nous avons voulu respecter, malgré tout, les temps de vacances des uns et des autres (même si ce n’était pas deux mois continus). Nous avons voulu donner toutes les chances de réussite aux étudiants en programmant les deux sessions. Ailleurs, quand il y a des crises, généralement, on sacrifie une partie de la communauté universitaire, notamment en faisant une seule session d’examen. Nous avons tenu un conseil de la formation et de la vie universitaire justement sur le calendrier universitaire le 17 février et notre engagement à le respecter.

"Un calendrier difficile mais pas irréaliste"

Certains partenaires sociaux nous ont dit que c’était un calendrier irréaliste. Mais pour nous, il est probablement difficile mais pas irréaliste. Il faut qu’on se donne de la pression pour réussir l’année universitaire, c’est-à-dire que nous devons travailler en nous disant qu’on n’est pas dans une année normale. Nous sommes en train de démarrer l’année 2009-2010. Toutes les sessions sont terminées et pour les UFR les plus en retard (UFR/LAC, sciences humaines, une partie de SVT), les notes sont en train de rentrer et les délibérations sont en cours.

Selon vous, dans combien d’années l’université pourrait retrouver le cycle normal, la rentrée universitaire en octobre et la première session en juin par exemple ?

En réalité, c’est depuis l’année 2000 que nous traînons un ou deux mois de retard. Pour cette fois-ci, nous pensons faire tout pour respecter le calendrier universitaire. Et nous avons prévu la rentrée 2010-2011 le 3 novembre 2010. A supposer même que nous ne puissions pas respecter cette échéance et que l’on commence le 1er décembre prochain, les observateurs estiment que ce serait un fait assez rare, ces cinq dernières années. Ceci est dû aussi au fait que nous allons appliquer le système Licence-Master-Doctorat (LMD) et ainsi nous allons avoir une évolution stricte dans l’acquisition des connaissances ainsi que des programmes où il est tenu compte du travail de l’étudiant et de celui de l’enseignant. Le CAMES exige 600 heures de cours pour valider une année. Ici, nous faisons souvent entre 700 à 1200 heures. Les emplois du temps sont souvent à géométrie variable ainsi que le volume horaire de l’enseignant. Mais avec le système LMD, nous allons revenir à de meilleures proportions pour tout résorber courant 2010-2011. Je touche du bois sauf si, bien entendu, il y a des problèmes sociaux.

Justement, est-ce que le dialogue avec les enseignants est en bonne voie ? Quel est le niveau de satisfaction de leurs revendications ?

Dans un conflit social, la première solution réside dans le contact, le dialogue et l’écoute. Pour ce que je peux dire, à ma demande ou à la demande des partenaires sociaux, qu’ils soient étudiants, enseignants ou agents d’appui, nous nous voyons le plus régulièrement possible. Au mois de février, j’ai déjà fait le tour de toutes les organisations syndicales. Nous posons les problèmes sur la table et nous demandons leurs avis et nous en tenons compte quand c’est possible. Je pense que le climat social est relativement serein parce qu’il y a ce contact. Tous les partenaires sociaux ont le numéro du portable du président de l’université. On s’appelle et on se voit quand c’est nécessaire. Par rapport aux revendications des enseignants, une commission tripartite a été mise en place. Apparemment, elle a bien travaillé puisqu’elle est en train d’évaluer le projet de loi à déposer sur la table du gouvernement. Bien entendu, le plus important, ce sont les décrets d’application de cette loi. Je crois que le calendrier est bien respecté et tous les partenaires sociaux coopèrent dans cette commission. C’est l’essentiel.

Du 22 au 23 février dernier, un colloque s’est tenu sur les conditions de dialogue afin de pacifier les universités africaines. Quelle a été la contribution du Burkina à ce débat ?

Nous avions l’intention d’appliquer le système LMD à l’université de Ouaga. Cela l’est déjà dans le domaine sciences et technologies, c’est-à-dire que nous avons le semestre (S1) de la première année de licence pour tirer les leçons afin que l’année prochaine, tous niveaux et toutes UFR confondus, nous soyons à 100% dans le système LMD. Nous avons obtenu des financements de l’UEMOA pour sensibiliser les enseignants-chercheurs, tous les personnels ATOS et 150 étudiants par UFR et par institut. Ce n’est pas suffisant mais c’est déjà quelque chose. L’université de Ouaga a épargné 120 millions de F CFA pour pouvoir former tous les enseignants à la révision des curricula. Mais, à quoi cela sert-il de mettre en place un nouveau système si nous n’avons pas de campus stables et pacifiques ? C’est cette question que je me suis posé et j’ai pris contact avec le bureau régional de l’Agence universitaire de la francophonie (AUF) pour lui indiquer toute l’importance du dialogue social. Quand on parle de gouvernance, on voit d’abord les tendances financières.

J’ai alors proposé à l’AUF de nous aider à organiser à Ouaga, un colloque scientifique sur le dialogue social en vue de la pacification des universités. Nous avons informé l’ensemble de nos collègues en Afrique de l’Ouest qui ont trouvé l’idée excellente et qui sont venus partager leurs expériences. Le patron de l’Institut pour la gouvernance universitaire, par ailleurs vice-recteur de l’AUF, est venu aussi donner sa contribution. Globalement, quatre thèmes ont été traités. Le premier sur les conditions objectives et subjectives de naissance des crises universitaires, a été décortiqué par un ancien recteur ivoirien. Le 2e point a été traité par l’ancien chancelier de l’université de Ouaga, le Pr Alfred Traoré, sur les franchises universitaires. Un autre thème sur l’aspect social de la gouvernance universitaire a été traité par un ancien recteur de Libreville. Enfin, nous avons tenu un panel autour d’anciens et d’actuels recteurs qui ont mis en place des ombudsmans, comme celui de l’université Cheick Anta Diop, pour évoquer la gestion des crises universitaires. Ce colloque a permis à des sommités de se réunir pour échanger les bonnes pratiques de gouvernance universitaire.

"Les universités sont les espaces les plus conservateurs au monde après le Vatican"

Parlant des franchises universitaires, le service de sécurité des universités, est-il maintenant bien accepté ?

On m’a toujours dit que les universités sont les espaces les plus conservateurs au monde après le Vatican. C’est difficile de faire bouger les choses. La solution, c’est d’impliquer tous les acteurs dans les réformes. De tout temps, les gens ont toujours eu des appréhensions par rapport à la présence des forces de sécurité sur le campus. On se dit : "Ce sont des gens qui viennent pour nous surveiller, nous matraquer, etc.". A la pratique, on se rend compte qu’il n’en est rien. Nous avons publié un certain nombre de résultats montrant le nombre de voleurs arrêtés. Ils ont présenté à la Maison du peuple des dizaines de motos volées et de nombreuses personnes étaient heureuses de retrouver leurs biens perdus. Mieux, certaines personnes viennent nous demander de renforcer leur travail parce qu’ils s’asseyent sous les arbres et ne donnent pas l’impression d’être efficaces.

Sur cette base, nous avons envoyé une lettre de mission plus claire aux responsables du service de sécurité des universités pour leur permettre de mieux faire leur travail. Eux aussi ont besoin de conditions matérielles. La guérite a été conçue pour une seule personne alors qu’ils sont cinq ou six pour garder les portes de l’université. Des hangars seront réalisés pour qu’ils puissent dissuader les personnes mal intentionnées qui arrivent. Aujourd’hui, sur le campus, il n’y a plus de divagation d’animaux. Les vols sont en net recul et régulièrement ils nous font des rapports pour nous parler de leur action sur le campus. Pour les rendre encore plus visibles, nous avons entrepris de commander des vélos VTT afin qu’ils puissent circuler à travers le campus à tout moment pour pouvoir dissuader les personnes mal intentionnées.

Votre dernier mot ?

Nous avons entrepris un certain nombre de réformes par exemple pour rendre plus visible notre coopération internationale. Il y a des projets d’arrêtés soumis à la signature du gouvernement pour organiser la recherche. Nous avons créé les écoles doctorales et nous avons sorti un document pour rendre plus visible et plus lisible le travail des laboratoires.

Je demande à la communauté universitaire de se mobiliser pour que notre université se modernise dans le cadre du dialogue social. Je souhaite que l’université soit plus ouverte sur son environnement et montre son caractère social, son utilité pour le peuple burkinabè. Je pense que le gouvernement réfléchit sur une carte universitaire. Je souhaite une bonne année universitaire aux étudiants, aux enseignants et au personnel. Ce sera une année de pression positive parce qu’il faudra se former pour comprendre le système LMD qui se sera mis en place aussi parce qu’elle sera comprimée du point de vue du temps. C’est un appel à la mobilisation pour que l’année se déroule normalement et pacifiquement.

Propos recueillis par Dayang-ne-Wendé P. SILGA

Le Pays

PARTAGER :                              

Vos commentaires

 LeFaso TV
 Articles de la même rubrique