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ARMEES AFRICAINES : Les pompiers de la mal gouvernance

Publié le mardi 23 février 2010 à 01h22min

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Du fait de la mal gouvernance, l’armée africaine est en passe de sortir de son rôle classique : défendre principalement l’intégrité territoriale et assurer la protection des personnes et des biens. Devant les abus de toutes sortes des pouvoirs établis, la grande muette tend à reprendre service mais de manière totalement différente. Les événements survenus ces dernières années dans plusieurs pays montrent son intervention à l’appui de la société civile. En tout cas, les acteurs civils lui redonnent encore de bonnes raisons d’intervenir sur la scène politique mais en arbitre. Surtout lorsque la boulimie du pouvoir s’empare de l’élite dirigeante et que le fil du dialogue est rompu.

L’Afrique a vraiment mal à son leadership. Les signes ne manquent pas : nombreuses frustrations de l’électorat, manque criard d’alternance démocratique, désaffection des jeunes vis-à-vis de la chose politique, entre autres. Le continent souffre atrocement de l’incurie des acteurs politiques. La plupart ne constituent pas des repères crédibles pour la génération montante. A tel point qu’après des années d’expérience, le mouvement démocratique et la communauté internationale, dissimulent à peine leur soulagement lorsqu’un régime naguère surgi des urnes, est renversé par une junte. Cela, suite à une situation de blocage institutionnel sur fond de dérives autocratiques ou tout simplement de « coup d’Etat constitutionnel ». Parfois applaudis, les membres de la junte sont même ouvertement soutenus par des masses de citoyens. Ce fut le cas récemment au Niger et auparavant en Mauritanie.

Ainsi, l’Afrique et ses partenaires se surprennent progressivement à condamner seulement du bout des lèvres les coups d’Etat militaires de type nouveau. On s’attache tout simplement à faire pression pour que les hommes en uniforme ne s’éternisent pas au pouvoir. Un non-dit consensuel semble apparaître, qui tend à reconnaître le fait accompli. Il fait valoir qu’une armée disciplinée, bien encadrée et composée d’hommes qu’on souhaite intègres, pourrait bien se substituer à un pouvoir autocratique vomi, le temps d’aider à mettre en place un organe de transition. Celui-ci pourrait alors aider à concevoir une constitution républicaine viable, et à organiser des élections propres, transparentes et équitables, avec des mécanismes de contrôle consensuels. Mais après ?

De façon générale, les démocrates africains n’avaient sans doute pas prévu un tel scénario de sortie de crise. A la Baule, on a même semblé avoir oublié ou ignoré le rôle "d’utilité publique" ou "d’arbitre" de la troupe. Mais comment ne l’avoir pas vu venir ?

Les faits vécus d’un bout à l’autre du continent, montrent que des éléments de la société civile, des opposants naguère hostiles à l’intervention de l’armée sur la scène politique, ne sont pas si hostiles à ce nouveau schéma. Dans certains cas, ils ont même surpris l’opinion par leurs appels du pied en direction de l’armée. Seule force alternative, ce type d’armée est alors considéré comme susceptible de barrer la route à un régime sorti des urnes, mais dont la gestion s’est vite métamorphosée au point de se muer en dictature féroce, sanguinaire et vorace.

C’est un euphémisme de dire que les régimes dictatoriaux foisonnent en Afrique. Leur emprise sur l’exécutif, le législatif et le judiciaire, brouille continuellement les cartes. Venus parfois par les urnes, ils s’arrogent graduellement tous les droits, étendent leurs tentacules sur les milieux d’affaires, l’intelligentsia, la recherche, etc. Par exemple, officiellement, ils sont favorables à la libre concurrence. Mais sur le terrain, par le biais de sociétés-écrans et d’organisations mafieuses, ils s’approprient frauduleusement la quasi-totalité des sociétés d’Etat, s’octroient, sans gêne, les marchés publics et privés.

Au vu et au su de l’opinion qu’ils narguent jour après jour. Le plus souvent, ils auront pris soin de neutraliser les services de contrôle d’Etat. Des éléments proches du régime, auront alors été placés à des niches de responsabilité à cette fin. Face à la corruption rampante, au clientélisme, au népotisme et aux multiples privations des libertés, les efforts des gens compétents et honnêtes, se trouvent ainsi réduits à néant. Comment alors ne pas amplifier l’incivisme et la voracité, inculquer la paresse et cultiver la fuite de responsabilité dans ces pays ? Compréhensible donc que face aux citadelles du non-droit, face au non-respect des règles et vu l’ampleur des inégalités, l’armée nationale soit appelée pour mettre un peu d’ordre, la patrie et le citoyen se trouvant effectivement en danger. Nous ne parlons point de cette armée qui sort des casernes pour mâter le mouvement démocratique en lutte face aux abus de régimes parfois même sortis des urnes.

Une armée mal formée, dirigée de mains de maître par des officiers supérieurs généralement acquis à la cause des pouvoirs établis qui leur déversent en retour des subsides pour les "bons et loyaux services". Ces sommes mirobolantes ne parviennent pas toujours à la troupe, composée aussi d’un grand nombre de partisans analphabètes, recrutés sur des bases subjectives. Voilà pourquoi certains hommes en uniforme agissent parfois comme des essaims de guêpes rendues folles par le manque de nectar et une ouvriérisation inqualifiable. Nous ne parlons point de ce type d’armée qui se croit tout permis, à l’image même des régimes en place. Elle vit le plus souvent de prébendes, de rapines, de viols et de corruption. Cette armée-là, l’Afrique moderne n’en veut pas. Elle tend heureusement à disparaître, même si des réflexes du genre résistent encore au temps dans beaucoup d’armées africaines.

Nous parlons ici de cette nouvelle armée qui cherche à comprendre, et surtout à limiter les dégâts sur un continent où la classe politique civile est prompte à s’approprier le pouvoir, mais presque jamais à s’assumer. Une armée de mieux en mieux éduquée, responsable et patriote, définitivement débarrassée des oripeaux de l’armée néo-coloniale. L’armée africaine moderne qu’on sollicite aujourd’hui pour jouer les arbitres, regroupe en son sein de nombreux experts : de la balistique au droit constitutionnel, en passant par la criminologie, la psychologie, la médecine et la communication, etc. Des recrutements réguliers de cadres de très haut niveau s’y déroulent chaque année. Des séminaires y sont organisés pour consolider les acquis et assurer les arrières. De cette armée qui fait désormais siennes les préoccupations de paix, de démocratie et de développement, l’Afrique en a bien besoin. Elle joue le rôle de pompier de la malgouvernance.

Sidzabda

Le Pays

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Vos commentaires

  • Le 23 février 2010 à 13:39, par Dona En réponse à : ARMEES AFRICAINES : Les pompiers de la mal gouvernance

    Très bonne analyse. Les coups d’état sont condamnables ; mais la malgouvernance l’est encore plus. Ainsi, les coups d’Etat ne peuvent être évités que si les dirigeants eux-mêmes se montrent loyaux et fidèles aux engagements pris envers leurs peuples. Je suis d’avis avec le Professeur BADO qu’il y a des coups d’état salvateurs.Le devoir de loyauté pèse sur l’armée et les citoyens ; mais aussi et surtout sur les dirigeants.

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