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REGIMES AFRICAINS : Paralysantes interférences entre pouvoirs moderne et traditionnel

Publié le mardi 23 février 2010 à 01h22min

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Le continent africain est celui qui se caractérise aussi par ses grands empires et royaumes qu’il a engendrés, les siècles passés et dont il tire, aujourd’hui, grande gloire. C’est avec fierté que les jeunes africains étudient dans les écoles, les empires du Ghana, du Manding, du Songhaï, mossi, etc. Ils se rendent compte qu’à l’inverse de ce qui a été longtemps servi comme thèse à leurs parents et aïeux, ce continent a lui aussi son histoire, sa culture, ses civilisations. Mais cela, et c’est le cours inexorable du temps qui l’exige, est désormais classé dans le registre de l’histoire ancienne.

Et puis les indépendances sont passées par là. Et cela fait maintenant 50 bonnes années que cela dure. Avec comme résultat, un tableau vraiment peu reluisant : des dictatures à la pelle, un déni de bonne gouvernance se greffant à un acharnement quasi unanime à exceller dans l’art d’appliquer des mesures antidémocratiques et surtout une volonté avérée d’une fossilisation au pouvoir, envers et contre toute sagesse et raison. Des « pères de la nation » qui sont restés des décennies au pouvoir, c’est le triste apanage de ce continent noir et le plus malheureux c’est qu’on ne perçoit pas à ce jour quand ni comment la pratique cessera. Et ce n’est pas l’exception réalisée par certains pays africains, en matière de bonne gouvernance et d’alternance, qui fera mentir la réalité que les régimes africains en général ne sont ni plus ni moins que de vieilles monarchies éculées, obsolètes qui prennent cependant la précaution de se revêtir du manteau de la modernité. Le phénomène se constate sous plusieurs dimensions.

Des monarchies traditionnelles passées, les régimes politiques africains auront conservé la notion de "chef absolu", incontestable et incontesté, qui a tous les droits, parmi lesquels celui de vie et de mort et qui, paradoxalement, n’a de compte à rendre à qui que ce soit. La notion de démocratie s’accommode mal d’une telle vision des faits. Plus, la forte concentration de pouvoirs entre les mains d’un dirigeant lui donne comme un sentiment de toute puissance : il peut tout faire, tout se permettre et malheur à qui oserait lui en faire la plus petite des remarques. Le malheureux s’exposerait aux foudres que déclencherait son crime de lèse-majesté. Il y a enfin que dans les monarchies traditionnelles, on ne parlait pas de limitation de mandats. On était roi pour la vie et la question était ainsi définitivement réglée.

On est en droit de faire grief aux régimes africains pour le mauvais plagiat auquel ils se livrent, et ce d’autant plus que les mesures d’accompagnement qui avaient été adoptées et qui allaient intrinsèquement de pair avec ces méthodes de gouvernement des royaumes d’antan, les dirigeants africains d’aujourd’hui refusent simplement de les envisager. Une kyrielle de tripatouillages et d’amendements de constitutions aux fins de confisquer le pouvoir au lieu de le passer à qui de droit ont en commun que les individus qui s’y livrent n’ont aucun respect pour leur propre parole donnée. Ils choisissent d’ignorer que la promesse a valeur de serment et que le serment est sacré.

Ces rois, empereurs et monarques avaient, eux, leur code de conduite, leur éthique, leur parole d’honneur. Ils avaient valeur de serment. Et le parjure était à l’époque perçu comme un suicide moral. La parole donnée, la promesse faite, avaient toutes deux une valeur qui transcendait l’individu qui les prononçait et générait par le fait même obligation morale de respect. Mais il faut le reconnaître, même la morale change et les dirigeants africains, en même temps qu’ils aiment retenir de leurs ancêtres la toute puissance du « chef » ainsi que sa longévité au pouvoir, refusent qu’on exige d’eux en retour, cette probité individuelle au service d’une communauté, qui était comme le pacte non écrit liant le chef à son administré.

On peut en conclure que les régimes africains retiennent de ces monarchies, juste ce qui les arrange, l’habillent de modernité et pensent normal que les nations s’en accommodent. A leur décharge, il faut reconnaître que leur entourage immédiat excelle dans la même tendance : il faut encenser le chef, dans ses décisions les plus injustes autant que dans ses pires turpitudes. Et on le fait, certaines fois par crainte, d’autres fois par désir de toujours "manger". Lorsque d’éminents intellectuels, dans certains pays africains, usent du désormais fameux argument « soumettre à référendum » pour faire la démonstration qu’ils sont en vraie démocratie, on ne peut manquer d’y voir mauvaise foi et mensonges très calculés. Quelle proportion d’Africains des villages et des campagnes sait la vraie valeur d’un bulletin de vote ou d’un projet de référendum ? Et que ne fait-on pas en leur nom, sur leur dos ?

Mais le désir de pérennisation au pouvoir des chefs d’Etat africains peut trouver aussi son origine dans la réponse qu’il faut nécessairement apporter à la difficile question de l’après-pouvoir. Au vu des cas de plus en plus nombreux de situations malheureuses générées par la mal gouvernance, les dictatures ainsi que la fossilisation au pouvoir de nombreux dirigeants présents sur le continent noir, il n’est pas saugrenu de penser que trouver une bonne réponse à la question de l’après-pouvoir soit un début de solution à la grande question de l’instauration d’une saine démocratie dans bon nombre d’Etats de ce continent africain.

Mais, la vraie réponse demeure sans doute la scolarisation obligatoire et massive des fils et filles d’Afrique qui, à l’heure actuelle et dans de nombreux pays, ne comptent que pour du "bétail électoral". Les dirigeants africains n’en font pas vraiment leur priorité. Presque normal, ils apporteraient la verge au moyen de laquelle ils pourraient eux-mêmes être fouettés. Les chantiers à terminer concernent tous d’autres priorités. Autant le dire, le chemin est encore long avant de parvenir à la salvatrice scolarisation. Qu’à cela ne tienne, pourvu qu’on y parvienne tout de même un jour. Le pire serait de perdre espoir.

"Le Pays"

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Vos commentaires

  • Le 25 février 2010 à 06:08, par N’maway En réponse à : REGIMES AFRICAINS : Paralysantes interférences entre pouvoirs moderne et traditionnel

    Bel article. Je me demande aujourd’hui ce qui veut dire etre un Etat independant en afrique. C’est un terme tres ambigue a definir et a comprendre vue que ce sont toujours les colonisateurs qui gouvernent toujours l’Afrique. Je suis a la recherche d’un historien africain avec qui je peux discuter d’independance des etats africains. Ne me demandez pas de discuter avec Gbagbo car il est tres occcupe avec son gouvernm=ement dissout. Merci.

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