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Boureima Badini, magistrat et ministre de la justice

Publié le mardi 17 août 2004 à 08h31min

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Boureima Badini

La justice, au Burkina Faso, n’est pas qu’un mot sur le fronton d’un bâtiment. C’est aussi une réalité quotidienne qui concerne l’ensemble des Burkinabè. J’en veux pour preuve les "papiers" publiés par la presse et fort justement intitulés "Regards sur la justice burkinabè". Ils sont signés de journalistes qui ont reçu, en la matière, une formation spécialisée. Exemple d’un thème abordé : "Vos droits lors d’une arrestation".

Le ministère de la Justice, à Ouagadougou, partage le même immeuble que le ministère de la Promotion des droits humains. C’est plutôt bon signe. C’est plutôt bon signe également que les tribunaux aient été réhabilités (je parle bien sûr des bâtiments) quand, généralement, en la matière, en Afrique, tout va à vau-l’eau. C’est plutôt bon signe, encore, que le ministère de la Justice ait été confié à un professionnel du secteur qui sait de quoi il parle et qui éprouve un réel intérêt pour le droit.

C’est en octobre 1999 que Boureima Badini s’est vu attribuer le portefeuille de ministre de la Justice, Garde des sceaux (à noter que de novembre 2000 à juin 2002, il était également en charge de la Promotion des droits de l’homme). Une longévité qui lui permet de mener à bien les réformes du secteur.

Né le 25 mai 1956 à Ouahigouya, dans la province du Yatenga, Badini a obtenu son bachot (série B) à Ouagadougou et sa maîtrise en droit privé à l’université du Bénin à Lomé, au Togo. Son mémoire a été consacré à la Protection des travailleurs et le droit du travail en Haute- Volta. C’était en 1981. Il complètera sa formation théorique par des stages au palais de Justice de Ouagadougou et au tribunal de grande instance de Bobigny en France (1982-1983). Il suivra également les cours de la section internationale de l’Ecole nationale de la magistrature de Paris (juillet 1983).

Il est de retour en Haute-Volta "avec le vent de la Révolution" (4 août 1983) me dira-t-il
un jour. Il a 27 ans. Il est alors nommé juge d’instruction auprès du tribunal de Bobo-Dioulasso (septembre 1983) puis procureur, toujours à Bobo (novembre 1984) et avocat général auprès de la Cour d’appel de Ouagadougou (septembre 1986).

Quand éclate le coup de force du 15 octobre 1987 qui va ouvrir la voie à la politique de "rectification", il est, depuis quelques mois (août 1987), directeur de la documentation et de la reprographie au ministère de la Justice. Il est alors nommé chef de service juridique et du contentieux du Comptoir burkinabè des métaux précieux (CBMP) de janvier 1988 à décembre 1989. Il va mettre à profit cette nomination pour se spécialiser dans les droits de l’homme, à Strasbourg tout d’abord (Institut international des droits de l ’homme), à Rome ensuite (International Development Law Institute), à Genève (Centre des droits de l’homme). En janvier 1990, il est nommé président de chambre à la Cour d’appel de
Ouagadougou, sera membre du Conseil supérieur de la magistrature, vice-président de la Commission nationale d’organisation des élections présidentielle et législatives.

Changement d’orientation le 30 avril 1993. Il est nommé directeur général de la Caisse nationale de sécurité sociale (CNSS). 1993 est une année essentielle pour le Burkina Faso. C’est cette année-là qu’a été organisée la première Conférence annuelle de l’administration publique
(Caap), du 27 septembre au 1er octobre, qui a été, selon moi, un événement majeur. C’est cette année-là également que Jean Léonard Compaoré, ministre de l’Emploi, du Travail et de la Sécurité sociale s’est attelé à la modernisation de la CNSS sous l’autorité de Boureima Badini.

Boureima Badini s’est également beaucoup investi dans le secteur associatif. Il a été secrétaire général du Mouvement burkinabè de lutte contre le racisme, l’apartheid et pour l’amitié entre les peuples (Mobrap) ; il a été membre de l’Association burkinabè pour le bien-être familial (Abbej), conseiller juridique puis président de la Fédération burkinabè de football ("J’ai joué au football quand j’étais encore très jeune. Mais je n’ai pas fait une longue carrière. Il est difficile en Afrique de concilier les études et les loisirs. A un moment donné, il
faut choisir").

Il a été membre fondateur de la Ligue des consommateurs du Burkina Faso. Manque à cette liste (très écourtée) de ses multiples activités, celles liées à la politique. "J’ai mes sensibilités, m’avait-il précisé lors de notre première rencontre, voici plus de dix ans. Mais compte tenu de mon statut de magistrat, je ne les exprime pas. J’ai un devoir de réserve".

Il va demeurer à la direction générale de la CNSS jusqu’à son entrée au gouvernement le 12 octobre 1999. La présidentielle du 15 novembre 1998 a été boycottée par l’opposition et le troisième gouvernement du premier ministre Kadré Désiré Ouédraogo n’est que d’étroite ouverture, les grands leaders nationaux ayant refusé d’y participer.

Badini prend en charge le portefeuille de ministre de la Justice, Garde de sceaux (il succède à Larba Yarga), alors que le pays est bouleversé par l’assassinat du journaliste Norbert Zongo (un mois après la présidentielle, le dimanche 13 décembre 1998) et de David Ouédraogo (le chauffeur du frère du chef de l’Etat sur la mort duquel enquêtait Zongo). Le Burkina Faso est en crise. L’opposition, regroupée au sein du Groupe du 14 février (G 14), s’efforce d’exploiter la situation à son avantage sans pour autant, il faut le reconnaître, mettre trop d’huile sur le feu.

Badini restera au gouvernement, au même portefeuille, quand Ernest Paramanga Yonli prendra la suite de Kadré Désiré Ouédraogo à la primature. "L’affaire Zongo" va rythmer sa vie. De manifestation en manifestation, de campagne de presse en campagne de presse. Une Commission d’enquête indépendante créée cinq jours après le meurtre a été mise au travail. "Elle a entendu tous les acteurs du drame, des plus puissants aux plus humbles [...] La commission dispose de pouvoirs qui feraIent envie à bien des magistrats instructeurs de par le monde" écrira Thomas Sotinel qui suit ce dossier pour Le Monde. 204 témoins interrogés, 228 procès-verbaux établis, un rapport de 35 pages. Bilan : homicide politique.

Le 1 er juin 1999 un "Collège des sages" est institué pour prendre la suite de la Commission d’enquête indépendante. Son activité débouchera sur la mise en place le 23 novembre 1999 de deux commissions : la Commission de concertation sur les réformes politiques et une Commission pour la réconciliation nationale (qui invite notamment le chef de l’Etat à demander pardon, au nom de l’Etat, aux familles des victimes de la violence politique, ce qu’il fera le 30 mars 2001)
Tout est dit. Reste à juger. C’est le rôle des juges.

L’impunité est, dit-on alors, en procès au Burkina Faso. "Dans l’affaire David Ouédraogo, il me semble que les peines prononcées en août 2000 étaient à la hauteur du forfait [252 millions de francs CF A de dommages et intérêts pour les familles des victimes et trois membres de la garde présidentielle condamnés à 20 et 10 ans de prison], dira Boureima Badini au début de l’année 2001. L’objectif est d’accélérer l’instruction des dossiers en souffrance et de rendre la justice sans passion dans des délais raisonnables".
On ne peut pas évoquer la marche de la justice au Burkina Faso sans évoquer "l’affaire Zongo".

Mais on ne peut pas, non plus, réduire à cette seule affaire (qui est entre les mains du juge d’instruction et non pas du ministre de la Justice) l’évolution de ce secteur d’activité essentiel dans un Etat de droit. Il y a bien d’autres aspects, tels que le Plan d’action national pour la réforme de la justice et le Programme d’appui au renforcement du processus démocratique. l’Etat de droit et la bonne gouvernance (Padeg) qui méritent d’être pris en compte.

Ce sont des actions significatives pour le Burkina Faso et exemplaires pour bien d’autres pays en Afrique et ailleurs dans le monde. Ces programmes, sur lesquels je vais revenir prochainement, s’inscrivent dans une vision de la justice qui va bien au-delà "de la chose jugée" mais prend en compte, également, ce qu’ici on appelle les droits humains.

Jean-Pierre Béjot
La Dépêche Diplomatique

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