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Léonard Guedé Pépé, alias James Cénach ou les liaisons dangereuses du système Gbagbo

Publié le mardi 17 août 2004 à 11h22min

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James Cenach

C’était le vendredi 1er octobre 1999. La Côte d’Ivoire était en effervescence. Ce qui, à l’époque, pouvait être qualifié d’effervescence. Alassane Ouattara venait de quitter son poste de directeur général adjoint du FMI, avait pris, deux mois auparavant, la présidence du Rassemblement des Républicains (RDR). Et accepté d’être son candidat à la présidence de la République.

L’élection devait se dérouler un an plus tard, en octobre 2000. Henri Konan Bédié, président de la République de Côte d’Ivoire, menait l’offensive contre son futur challenger. Les mots ne faisaient pas encore de morts. Mais, déjà, beaucoup se préoccupaient de la violence du ton dans le débat politique ivoirien. Si tant est que l’on puisse, alors, évoquer un débat politique. Du côté de Bédié, il Y avait longtemps que l’on avait perdu son sang-froid. Et les invectives à l’encontre de Ouattara, "l’étranger", se faisaient de plus en plus virulentes. "Poussée xénophobe sur une terre de tolérance" titrait Courrier international (26 août 1999).

Sur la scène politique, un nouveau venu faisait la "une" : Charles Blé Goudé, le leader du mouvement étudiant. Le FPI de Gbagbo et le RDR de Ouattara étaient "alliés" aux dires de Henriette Diabaté, secrétaire générale du RDR. Le général de division Robert Gueï, ancien chef d’état-major des armées, mis en cause dans une tentative de coup d’Etat, était amnistié par l’Assemblée nationale. Ce dont se félicitaient le FP I et le RDR. Le P DCI, de son côté, allait radicaliser le ton. C’est son patron, Laurent Dona Fologo qui, à Paris, le samedi Il décembre 1999, lors d’un meeting va s’efforcer de porter l’escotade contre Ouattara.

Le vendredi 1er octobre 1999, un de mes clients (dont le magazine, qui avait annoncé "l’agonie du système Bédié" dans son numéro de juillet 1999 avait été saisi et détruit par les autorités à Abidjan) m’avait conduit dans les locaux (de grand standing) du Centre d’affaires Trocadéro, au 112 avenue Kléber, dans le XYlème arrondissement. Nous y avions rendez-vous avec Léonard Guedé Pépé, alias James Cenach, dont la carte de visite annonçait qu’il était "consultant" sous la raison sociale Conseil-Communication-CO3.

Cenach était alors très affairé à réceptionner des montagnes d’ordinateurs. Il venait de prendre en charge, m’expliquait-il, les relations presse-communication du président du RDR, Alassane Ouattara. Effectivement, quelques semaines plus tard, je recevais une invitation à la conférence de presse du collectif d’avocats de Alassane D. Ouattara qui se tenait le jeudi 28 octobre 1999 à l’auditorium du Centre d’affaires Trocadéro. Maître Jacques Vergès entendait dénoncer "le harcèlement dont est victime [ son] client visé par deux procédures judiciaires". La veille, le mercredi 27 octobre 1999, à la suite des affrontements violents qui ont marqué une manifestation du RDR, Henriette Diabaté et quatre députés du parti, étaient déférés à la maison d’arrêt d’Abidjan. C’était le début d’une offensive d’ampleur contre les "ouattaristes". L’AFP et Reuters annonçaient, quelques jours plus tard, que des milliers de burkinabè implantés dans le sud-ouest de la Côte d’Ivoire, avaient dû fuir leurs villages, chassés par les Kroumen.

Le vendredi 1er octobre 1999, je m’étais étonné de trouver James Cenach à la tête de la communication de Ouattara. Je l’avais connu à la fin des années 1980, à Abidjan. Il avait eu son heure de gloire, le 28 août 1991. Ce jour-là, dans son numéro 17, le journal Notre Temps avait publié un article de Cenach mettant en cause l’entourage du premier ministre, Alassane Ouattara.Ce sont Traoré Sounkalo, président du sous-comité privatisation, et Sidya Touré, directeur de cabinet de Alassane Ouattara (cf LDD Guinée 04 et 05/Mardi 25 et Mercredi 26 mai 2004) qui étaient mis en cause. Ils étaient accusés de "vendre et de racheter" pour leur propre compte les sociétés d’Etat à privatiser à travers des sociétés écrans.

Le papier de Cénach sera repris par la presse ivoirienne et, en tout premier lieu Le Nouvel Horizon, le journal du FP 1 de Laurent Gbagbo. Il allait enfoncer un clou sur lequel il ne cesse de taper depuis dix ans. "Alassane ne connaît pas la Côte d’Ivoire et la Côte d’Ivoire ne se reconnaît pas en cet homme dont la froideur vous fait penser à un sphinx", écrivait Le Nouvel Horizon dans son numéro 50 daté du 30 août 1991. "Il nous a été présenté comme étant marié à une Jamaïcaine et bon père de famille... On apprend, ô surprise ! et nous en sommes tombés des nues, qu’il va se remarier". L’article (L’Etat ivoirien cocu), signé par Jacques Préjean, n’était qu’une mise en cause des "étrangers" dans l’entourage de celui en qui "la Côte d’Ivoire ne se reconnaît pas". Sidya Touré, ex-directeur de cabinet de Maurice Seri Gnoléba, ex-ministre du Commerce, "est d’origine guinéenne". Il serait aussi coupable d’une "prévarication restée impunie". Traoré Sounkalo est de "père et de mère burkinabè", "naturalisé ivoirien en 1975, tout comme son patron Alassane Ouattara".

Le Nouvel Horizon n’a pas été poursuivi par les deux collaborateurs de Alassane Ouattara qu’il mettait en cause. Mais Notre Temps et L’Indépendant sont passés devant le tribunal de première instance d’Abidjan. L’Indépendant sera reconnu coupable de diffamation à l’endroit de Sounkalo et de Touré. Notre Temps sera acquitté. Or, L’Indépendant n’avait fait que reprendre, au même titre que Le Nouvel Horizon, les informations publiées par Notre Temps, mais si ce dernier n’avait pas été condamné, c’est, disait-on alors dans les rédactions d’Abidjan, que le juge chargé de l’affaire, Oulaï Sene, aurait été actionnaire de la société d’édition de cet hebdomadaire.

Il faut retenir de cette affaire plusieurs éléments significatifs. Tout d’abord, la campagne xénophobe qui a conduit la Côte d’Ivoire de coups d’Etat en coups de force militaires avait des thuriféraires dans les rangs du FPI de Laurent Gbagbo dès le début des années 1990. Et utilisait comme vecteur de propagande la presse du parti. Il n’est donc pas étonnant que cette politique d’exclusion ait pu s’épanouir avec l’impact qu’on lui connaît aujourd’hui sous la présidence de Gbagbo. Ensuite, que le système Gbagbo accueille en son sein des individus qui privilégient l’opportunité financière bien plus que l’engagement politique. C’est que Cénach est l’archétype du "valseur". Il fait la "une" de l’actualité en 1991 en dénonçant l’entourage de Ouattara puis, en 1999 (à quelques semaines du premier coup de force militaire qui va mettre par terre le système Bédié), il s’affirme comme "le" chargé de communication de Ouattara (qui arrive du FMI à Washington et laisse à son entourage le soin du recrutement !).

Mais l’affaire ne s’arrête pas là. Le renversement de Bédié, l’arrivée de Gueï au pouvoir le 24 décembre 1999 vont changer la donne politique. Et quand Gbagbo, contre toute attente, accède au pouvoir, on retrouve, en thuriféraire de sa politique, James Cénach. Et quand (à quelques semaines du coup de force du 18-19 septembre 2002), alors que la Côte d’Ivoire va élire ses premiers conseillers généraux, c’est James Cénach qui, une fois encore, monte à l’assaut contre... Ouattara. L’ancien premier ministre vient d’obtenir un nouveau certificat de nationalité établissant qu’il est de père et de mère ivoiriens. Notre Voie, l’organe officiel du FPI, dénonce une magouille : 100.000 euros (200 billets de 500 euros) ont été remis à la vice-présidente du tribunal, la juge Cissé Loma, épouse Matoh, pour établir un faux certificat. Dans le même quotidien est réalisée l’interview de Cénah (on ne précise d’ailleurs pas à quel titre il est interrogé). Commentant la délivrance de ce certificat de nationalité, Cénach affirme : "C’est un acte de piraterie judiciaire". C’était il y a deux ans : le 1er juillet 2002 (cf LDD Côte d’Ivoire 025/Mercredi 3 juillet 2002).

Aujourd’hui, James Cénach a été interrogé par la police française sur des menaces qu’il aurait proféré à l’encontre du journaliste Kieffer, porté disparu depuis plusieurs mois alors qu’il travaillait en Côte d’Ivoire ! Ainsi va la Côte d’Ivoire au temps du système Gbagbo.

Jean-Pierre Béjot
La Dépêche Diplomatique

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