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JEAN-PAUL DIAS MENDES, OPPOSANT SENEGALAIS ET PROCHE DE MOUSSA DADIS CAMARA : "On doit théoriser sur le pouvoir militaire dans certains pays"

Publié le vendredi 12 février 2010 à 01h19min

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Bien qu’il soit en convalescence à Ouagadougou où il a débarqué par surprise dans la nuit du 12 janvier 2010, le chef du CNDD (Conseil national pour la démocratie et le développement) qui a pris le pouvoir en décembre 2008 en Guinée Conakry, Moussa Dadis Camara, n’est pas pour autant coupé de ses proches et partisans. Certains d’entre eux n’hésitent pas à venir à Ouagadougou pour le voir. C’est le cas de Jean-Paul Dias Mendes, opposant politique sénégalais plus connu sous le nom de Jean-Paul Dias, et qui se présente comme "consultant auprès de Dadis Camara sur certaines questions".

Cet ancien ministre d’Abdou Diouf, ancien président du Conseil des ministres de la CEDEAO, ancien vice-président de l’Assemblée nationale sénégalaise et actuel conseiller régional de Dakar et premier secrétaire général du Bloc des centristes Gaïndé (BCG), a séjourné à Ouagadougou du 3 au 8 février 2010 pour rendre visite au "président Moussa Dadis Camara". Nous l’avons rencontré pendant son séjour. Et c’est sans détours que ce défenseur et admirateur du chef de la junte a répondu à nos questions parfois au bord de l’énervement.

"Le Pays" : Dans quel cadre êtes-vous au Burkina

Jean-Paul Dias : Je suis à Ouaga depuis mercredi (ndlr : 3 février) pour quelques jours pour rendre visite au président Moussa Dadis Camara qui est ici en séjour de convalescence. Je l’ai déjà rencontré une première fois. Je le trouve en meilleure santé par rapport à ce qui lui est arrivé. Je suis optimiste par rapport aux mois à venir relativement à sa santé.

Comment avez-vous connu Moussa Dadis Camara ?

Ce sont des gens qui lui ont parlé de moi juste après les événements du 28 septembre (ndlr : massacre de manifestants de l’opposition dans le stade de Conakry du même nom). Bien avant cela, j’avais écrit des articles dans la presse sénégalaise sur la Guinée. Et à un moment donné, il y a eu des gens qui se sont présentés à moi comme étant de l’opposition ou de la société civile guinéenne et qui se disent avoir pris ombrage de ce qu’ils considéraient comme un soutien de Me Abdoulaye Wade à Dadis Camara.

Ils étaient tellement remontés qu’à un moment donné ils ont proféré des menaces contre des Sénégalais vivant en Guinée. J’ai trouvé cela intolérable parce que les prises de position de Me Abdoulaye Wade n’engagent en rien les citoyens sénégalais. J’ai donc pris position en écrivant un premier article dans lequel je faisais savoir que la chasse à l’homme était inacceptable parce que les Guinéens et les Sénégalais sont des frères ; il y a autant de Guinéens vivant au Sénégal que de Sénégalais vivant en Guinée sans compter les binationaux, les brassages de toutes natures. Ce n’était donc pas acceptable que des gens, sous prétexte de la position de Me Wade, menacent qui que ce soit puisqu’en tant que Sénégalais, je n’accepterait pas que l’on menace des Guinéens. Et chemin faisant, je me suis dit : pourquoi refuse-t-on que le président Dadis Camara soit candidat à l’élection présidentielle de son pays ? Je ne comprenais pas. Dans mes articles, j’ai demandé à ce que l’on me donne des arguments en défaveur de cette candidature parce que je n’en trouvais pas. On a parlé d’engagement qu’il aurait pris lors de sa déclaration au moment de la prise de pouvoir.

Je vous dis en passant qu’il s’agit d’une prise de pouvoir et non d’un coup d’Etat. Mais pour moi, ce n’est pas un engagement. D’ailleurs, quand il a dit qu’il ne serait pas candidat, c’était seulement concernant l’année 2009. En d’autres termes, il ne serait pas candidat à une élection présidentielle organisée en 2009. Je répète encore que ce n’était pas un engagement parce qu’il n’a pas juré sur le Coran, la Bible, la Constitution, etc. Pour moi, c’était une déclaration politique et il n’y avait rien d’écrit. D’ailleurs, c’est parce qu’il n’y en avait pas que, par la suite, l’Union africaine et la prétendue communauté internationale a tout fait pour qu’il y ait un écrit. L’UA a même fixé un ultimatum qui n’a pas été respecté. Ce n’est que tout récemment à Ouagadougou qu’il y a eu un écrit (ndlr : accord politique du 15 janvier 2010). C’est dans ces conditions que j’ai connu Moussa Dadis Camara, c’est-à-dire à la suite de mes prises de position. Entre-temps, il y a eu les événements du 28 septembre et il m’a fait venir. Depuis lors, je lui ai servi de consultant sur certaines questions qu’il me confie. Chemin faisant, je me suis pris d’amitié et d’affection pour lui.

Avez-vous à un moment donné déconseillé à Dadis d’être candidat à la présidentielle dès lors que sa candidature posait problème ?

Non, non, non ! Je ne lui ai jamais conseillé cela. Mais je ne vois pas non plus pourquoi il n’a pas la possibilité de se présenter à la présidentielle alors que d’autres, qui n’ont jamais eu de responsabilités d’Etat en Guinée ou qui en ont eu et se sont comportés en prédateurs ont ce privilège.

Dadis Camara est un militaire et la place des militaires est dans les casernes...

Dans le passé, on a théorisé sur les différents pouvoirs : exécutif, législatif et judiciaire. Rousseau et d’autres penseurs l’ont fait. Mais depuis quelque temps, je me dis que l’on devrait théoriser sur le pouvoir militaire dans certains pays. En Guinée, c’est clair qu’il y a un pouvoir militaire et cela date de Sékou Touré (ndlr : premier président de 1958 à 1984). Il est le premier à avoir fait entrer les militaires dans le bureau politique du parti unique de l’époque. Cela s’est poursuivi avec Lassana Conté. La Guinée est l’un des premiers pays africains où il y a eu des militaires ministres, ambassadeurs, etc. La prégnance de l’armée sur la sphère politique guinéenne est telle que l’on ne peut pas effacer cela du jour au lendemain. Dans cette logique, je ne vois pas pourquoi Dadis, fût-il militaire, ne peut pas se présenter à la présidentielle.

Je crois qu’il doit pouvoir être candidat parce qu’il a commencé à faire du bon travail. Il a combattu la corruption, les narcotrafiquants, remis de l’ordre dans les finances publiques. Aujourd’hui, il y a de l’électricité à Conakry ; ce qui n’était pas le cas il y a une dizaine d’années. Il y a un travail qui est fait au niveau de l’aérogare. N’eût été les événements du 3 décembre (ndlr : tentative d’assassinat de Dadis Camara par son aide de camp) la compagnie aérienne nationale, Air Guinée internationale, serait lancée dans le même mois. Les fonctionnaires sont payés tous les mois. Dadis était aussi en train d’amener l’eau potable dans les quartiers de Conakry qui n’en avaient pas alors que le pays est considéré comme le château d’eau de l’Afrique de l’Ouest. Dadis a aussi eu un comportement très honnête en reversant au Trésor public 22 millions de dollars, ce qui fait à peu près 10 milliards de F CFA, qu’une société aurifère lui a apportés dans son bureau. On ne peut donc pas empêcher un tel homme d’être candidat à l’élection présidentielle de son pays alors que d’autres qui n’ont pas ces qualités peuvent bien l’être. Et laissez-moi vous dire qu’être candidat n’est pas une garantie d’être élu. Laissez-lui donc la possibilité d’être candidat et que le peuple guinéen choisisse la personne en qui il va confier son destin.

Malheureusement, tout le monde n’est pas de votre avis au regard du tollé soulevé tant en Guinée qu’à l’extérieur suite à la volonté de Moussa Dadis Camara d’être candidat à la présidentielle...

Ce qu’il y a eu au niveau sous-régional et international est de la propagande. C’est ce que l’on appelle la communauté internationale qui s’est agitée. Au niveau national, Dadis Camara était devenu populaire. Deux jours avant les événements du 28 septembre, il avait bouclé une tournée dans le Fouta en pays peulh. C’était triomphal. Ce sont ceux qui étaient jaloux de sa popularité et qui se sont rendu compte qu’ils ne pourront pas le battre à une élection qui ont inventé cette histoire d’interdiction de sa participation à la présidentielle. Ce n’est pas plus que cela.

Avez-vous été à son chevet au Maroc où il a été hospitalisé après la tentative d’assassinat dont il a été l’objet le 3 décembre 2009 ?

Je lui ai envoyé une carte de voeux par DHL. Mais malgré la confirmation de la réception du pli, celui-ci ne lui est pas parvenu parce qu’il m’a dit n’avoir jamais reçu quelque chose de ma part lorsque je l’ai vu ici l’autre jour. Et puis, j’attendais que ses médecins disent qu’il était en mesure de recevoir des visites pour que j’aille le voir. Je ne suis donc pas allé le voir au Maroc à cause de cela mais j’avais pris des dispositions pour venir le voir ici à Ouaga.

"Les officiels guinéens n’avaient rien à cacher"

Concernant les événements du 28 septembre, la commission nationale d’enquête indépendante mise en place par la junte vient de rendre son rapport. Ses conclusions sont diamétralement opposées à celles de la commission d’enquête internationale de l’ONU. D’où des critiques sur sa marge de manoeuvre. Toute chose qui vous a révolté. Pourquoi n’acceptez-vous pas les critiques du travail de la commission nationale d’enquête ?

Vous les journalistes africains ne devez pas douter du travail fait par des Africains. La commission de l’ONU a travaillé grosso modo une dizaine de jours en Guinée. Ces gens (ndlr : les enquêteurs) ne connaissent rien à la Guinée ; ils ont interrogé des personnes qui leur ont été indiquées comme étant des victimes et ils n’ont travaillé que le jour. Les dés étaient déjà pipés. Déjà, une des deux dames de la commission, une avocate mauricienne, a déclaré avant son arrivée à Conakry qu’elle allait rendre justice aux femmes.

Donc, cette personne était déjà partisane. La commission pouvait bien être constituée de 3 femmes que cela ne me gênerait pas. Seulement, il faut qu’elles soient indépendantes, impartiales. Un membre d’une commission d’enquête n’a pas le droit de prendre position à l’avance. En plus, vous avez le président de la commission, M. Benzaoui pour qui j’ai beaucoup de respect et dont nous avons eu à apprécier la thèse de doctorat au moment où nous étions étudiants en droit. Mais, et je suis désolé de le dire, je ne pense pas que c’était la personne indiquée pour présider la commission. Je n’ai pas de préjugés sur sa personne mais je suis obligé de me poser des questions. M. Benzaoui est Algérien et Dadis, de façon flagrante, est un ami des Marocains. Cela pose un problème de géopolitique. J’aurais préféré que le président fût d’un pays d’Amérique latine, d’Afrique du Sud. Cela n’est pas gênant qu’il vienne même d’Afrique du Nord, d’un pays comme la Tunisie ou l’Egypte. Mais en nommant un Algérien, sachant que Dadis est un ami des Marocains, ça pose problème.

Soupçonnez-vous un complot quelque part ?

Non, je dis seulement que ça pose problème. J’ai le droit d’être dubitatif, de me poser des questions. Et le plus grave est que la commission a travaillé 10 jours effectifs pendant lesquels elle a rencontré le président de la République 2 fois. Toutes les personnes que les membres de ladite commission voulaient rencontrer, ils ont pu le faire. Ils ont même reconnu qu’ils ont travaillé librement et dans la sécurité. C’est pour dire que les officiels guinéens n’avaient rien à cacher. En plus, son rapport n’a pas été rédigé par ses membres. Il a été rédigé par un groupe de jeunes ; une sorte de secrétariat, dont la plupart passaient le temps à se bronzer autour de la piscine du Novotel (ndlr : un hôtel huppé de Conakry). Pensez-vous que ce rapport soit plus fiable que celui de la commission nationale indépendante guinéenne ?

Cette commission a travaillé pendant 3 mois et est composée de hautes personnalités et de hauts magistrats dont l’un d’entre eux est le président (voir en encadré l’ordonnance créant la commission d’enquête). La commission a aussi la particularité de comporter des étrangers comme par exemple Michel Korinman, professeur à la Sorbonne et président de l’Académie européenne de géopolitique ; M. El Rhazi, professeur de droit public et de sciences politiques et membre du Conseil constitutionnel du Maroc ; Me Francis Szpiner, avocat à la Cour (Paris) et grand spécialiste du droit pénal ou encore Seydou Nourou Tall, professeur agrégé de droit et vice-doyen de la Faculté des sciences juridiques et politiques de l’Université de Dakar. Même si ces étrangers ont voix consultative, pensez-vous qu’ils vont cautionner un rapport qui n’est pas crédible ? L’autre élément est que les auditions de la commission étaient publiques et télévisées. Pourquoi avoir donc des doutes sur le travail de cette commission qui, dans la durée, a été plus longue et avait l’avantage de connaître les Guinéens.

Objectivement, pensez-vous que la commission mise en place par la junte puisse être complètement libre envers celle-ci et oser la rendre coupable de quoi que ce soit ?

(Piqué au vif et nous indexant). Mais vous êtes insultant par rapport à ces Guinéens ! Je trouve que votre question est insultante. Pourquoi doutez-vous du sérieux des magistrats guinéens ? Les étrangers étaient-ils aussi corrompus ? Avaient-ils les mains liées ? C’est ce que vous voulez dire. Ce que vous dites est inacceptable. Le nombre de personnes tuées ou violées dont on parle tant est une cabale, une affaire montée pour salir la popularité du président Dadis.

La commission nationale d’enquête a tout mis sur le dos de Toumba Diakhité qui serait le seul responsable du massacre du 28 septembre. Elle a aussi revu à la baisse le nombre de personnes tuées et de femmes violées. Toute chose qui jure avec les images qui ont fait le tour du monde. Le hiatus est trop flagrant ...

Non, non, non ! Vous vous basez sur les "on-dit". Qui est "on" ? Nous sommes en matière pénale et les allégations se prouvent. La commission a dénombré entre une cinquantaine et une soixantaine de morts. Si vous estimez qu’il y en a plus, il faut le prouver. Dans le cas contraire, ce sont des "on-dit", des clichés. Je n’ai donc aucune raison de faire plus confiance aux résultats de la commission d’enquête internationale qui n’a fait que répéter ce que "on" a dit, notamment des ONG dont certaines n’ont certainement même pas mis les pieds en Guinée qu’aux résultats de ceux qui y vivent, qui ont fait des auditions publiques, ont sorti des preuves. Vous ne pouvez donc pas dire que le rapport de la commission internationale est meilleur et plus fiable que celui de la commission nationale. Je donne un exemple. J’ai appris ce matin sur les médias que Toumba a dit qu’il a agi sur ordre (NDLR : le matin même de l’interview, le 5 février, RFI a diffusé une interview de Toumba qui réagissait par rapport aux résultats de la commission nationale d’enquête). Mais comment se fait-il que l’on arrive à interroger Toumba ? Où se cache-t-il ?

RFI a son numéro et il suffit de l’appeler ...

Quel numéro ? Pas en tout cas celui de son portable local dont la puce est désactivée au bout d’un certain temps si le compte n’est pas rechargé. Pourquoi a-t-il refusé de se présenter devant la commission internationale d’enquête ?

Autre conclusion déroutante de la commission nationale d’enquête : le blanchiment de Moussa Dadis Camara, chef de l’Etat et chef suprême de l’armée. Pensez-vous un seul instant qu’il ne puisse pas avoir, ne serait-ce qu’une responsabilité morale dans les massacres du 28 septembre au regard de ces deux qualités ?

Des troupes ivoiriennes ont tiré sur des civils en Côte d’Ivoire au temps fort de la crise dans ce pays. En quoi le chef de l’Etat français est-il responsable ?

Cela s’est passé hors de la France ...

Non, non, non ! Votre raisonnement n’est pas acceptable. En outre, je voudrais vous dire que la commission internationale d’enquête n’a pas conclu de façon ferme à la responsabilité de Dadis. Ecoutez bien ! Elle dit qu’elle a des présomptions qui sont telles que l’on peut supposer que le président Dadis a une responsabilité pénale. Mais ce n’est pas du droit, c’est du n’importe quoi ! En droit pénal, il n’y a pas de présomption qui amène à supposer. Ou l’intéressé a posé un acte ou il ne l’a pas posé. Mais comme Dadis est le bouc émissaire, comme c’est celui à qui l’on veut faire porter le chapeau, on conclut de la sorte.

Vous préférez donc que l’on charge Toumba de tous les péchés de la Guinée !

C’est un aspect sur lequel je ne disserte pas. Je pense que la commission nationale demande à la justice de se saisir du dossier. C’est devant elle que tout un chacun doit se présenter.

"Je suis en relation avec la CPI"

Selon vous, pourquoi les autorités guinéennes ont-elles accepté qu’il y ait deux commissions pour enquêter sur les événements du 28 septembre ?

Lorsque les événements ont eu lieu, le président Dadis a créé une commission d’enquête nationale. Et c’est lui aussi qui a demandé qu’il y ait une commission d’enquête internationale pour que l’on ne dise pas qu’il y a une combine. C’était donc pour davantage de transparence. Malheureusement, il ne savait pas qu’il y a des gens manipulés de l’extérieur, que la nébuleuse communauté internationale est très puissante. Et on a donc abouti à des conclusions différentes. Maintenant, chacun se fera son opinion. Et laissez-moi vous dire que contrairement à ce que vous dites, le rapport de la commission nationale n’a pas suscité une levée de boucliers. Il y a bien évidemment l’opposition politique qui s’est agitée comme d’habitude. Au niveau de la population, il n’y a pas eu de levée de boucliers. Et dans ce que vous avez écrit hier vers la fin de l’article (NDLR : éditorial intitulé "Rapports sur les massacres en Guinée : la transition face au piège de la justice" in "Le Pays" n°4546 du 4 février 2010 que l’interviewé avait sous les yeux) en termes de réconciliation, de dépassement un peu dans l’esprit de la Commission vérité, justice et réconciliation en Afrique du Sud, je pense que c’est dans ce sens qu’il faut aller. Rien n’empêche de juger ceux qu’il faut juger. Pour revenir à votre question, il y a eu 2 commissions parce que le régime a voulu permettre aussi à l’international de s’impliquer. Malheureusement, l’international est venu de façon biaisée.

Que pensez-vous de l’attitude de la Cour pénale internationale (CPI) qui voudrait voir s’il n’y a pas eu de crimes contre l’humanité qui ont été commis lors des événements du 28 septembre ?

Je suis en relation proche avec la Cour pénale internationale. Je rappelle que la CPI n’intervient que lorsqu’un Etat membre le demande. Ce fut le cas par exemple en RD Congo, en Ouganda. Ces pays ont fait savoir à la Cour qu’il y a des faits qui ont eu lieu chez eux et dont leur justice n’est pas en mesure de juger, de régler. La Cour intervient aussi quand elle est saisie par le Conseil de sécurité de l’ONU. Vous vous rendrez compte que le rapport de la commission internationale d’enquête n’est pas encore passé devant le Conseil de sécurité. Concernant la Guinée, la CPI n’a pas été saisie ; elle est au stade de collecte d’informations, de renseignements. Et c’est après avoir collecté les informations (le rapport de la commission nationale d’enquête ne manquera pas de faire partie des renseignements) que la Cour, après analyse des différents éléments, décide de se saisir ou non du dossier. Et avant de se saisir, elle va sans doute aller en Guinée pour, en quelque sorte, auditer le système judiciaire. Cela était prévu le 15 janvier dernier mais a été reporté à ce mois à la même période. L’audit va consister à voir si le système judiciaire guinéen est capable de juger ce genre de fait, s’il y a une volonté politique pour les juger. Si la réponse à ces questions est affirmative, la Cour ne se saisira pas du dossier. Je vous le dis en connaissance de cause.

Venons à présent à votre pays le Sénégal où il n’y a pas mal de choses qui se passent sur le plan politique. D’abord, quelle appréciation globale faites-vous des années Wade ?

Ceux qui me connaissent savent que j’ai été avec Wade dans son parti le PDS, j’ai combattu à ses côtés parce que nous voulions le Sopi, c’est-à-dire le changement. Par la suite, comme cela arrive en politique, il m’a exclu de son parti parce que j’étais devenu très populaire et on lui a mis dans la tête que j’étais en train d’arracher le parti de ses mains. Voilà comment on s’est quitté en 1993 et j’ai créé mon propre parti 3 ans plus tard et avec lequel j’ai été à plusieurs élections. Il faut dire que l’accession de Wade au pouvoir a créé beaucoup d’espoirs parce qu’il a longtemps été dans l’opposition. Mais aujourd’hui, les espoirs, pour être honnête, ont été déçus du fait de la mauvaise gouvernance qui n’est peut-être pas due à lui-même mais à son entourage. Il y a eu beaucoup d’injustices. C’est ainsi qu’il m’a mis en prison 2 fois. Il a aussi emprisonné mon fils (NDLR : Barthélemy Dias) sur de fausses accusations.

Au plan économique, il n’y a pas eu les résultats escomptés. S’il y avait des sondages au Sénégal, je suis sûr que les résultats ne lui seraient pas favorables. Et c’est dans cette atmosphère qu’il lui est venu l’intention de se faire succéder par son fils. Cela est intolérable et nul doute que ce projet ne réussira pas sauf tripatouillage de la Constitution. D’ailleurs, son fils voulait la mairie de Dakar et a été battu lors des élections municipales. C’est un signal fort. Je lui conseillerais donc de ne pas continuer. Et pour la présidentielle de 2012, il ferait mieux de ne plus se présenter même si, contrairement à ce que beaucoup de gens disent, la Constitution le lui permet.

Après le tremblement de terre en Haïti, il a proposé aux Haïtiens de revenir en Afrique, le continent de leurs ancêtres. Comment avez-vous trouvé sa proposition ?

Il faut être honnête. Me Wade est un homme qui a beaucoup d’idées. Lorsqu’il est arrivé au pourvoir, vous avez dû voir comment il s’est imposé afin de se faire un nom au sein des chefs d’Etat. Il l’a réussi en peu de temps parce qu’il est venu avec ce qu’il a appelé à l’époque le plan Oméga ou Plan de développement de l’Afrique. Lequel plan a été fusionné avec des plans d’autres chefs d’Etat pour donner le NEPAD. Il a donc des idées. Le problème est que quand il en émet une, il veut qu’elle soit immédiatement mise en oeuvre. Cette idée même de retour des Haïtiens en Afrique est sans doute généreuse. Mais je doute de sa réalisation au regard des problèmes que connaît l’Afrique.

Avant l’idée controversée du retour des Haïtiens, il y a eu la polémique autour du Monument de la renaissance africaine qu’il construit à Dakar. Quel est votre avis sur ce projet ?

Du point de vue de l’idée, cela ne me gêne pas parce que si l’on vous parle par exemple de la statue du Christ Roi, vous voyez Rio de Janeiro. Lorsque vous entendez parler de la Tour Eiffel, vous pensez à Paris. Il y a ici un rond-point avec une statute (NDLR : la femme offrant l’eau de bienvenue à la place Naaba Koom) et lorsqu’on la voit, on sait que c’est Ouagadougou. Dakar n’est symbolisée par rien du tout. Je pense que le monument en question peut symboliser Dakar. Par contre, ce que je conteste c’est le coût : 14 milliards de F CFA dont 9 milliards seulement sont plus ou moins justifiés. C’est excessif. Je conteste aussi le mode de financement du projet. On a dû vendre des terres urbaines dans une zone résidentielle pour financer le projet. La valeur de ces terres est estimée à environ 75 milliards de F CFA et elles ont été bradées à certaines personnalités du régime. Et je conteste enfin le moment choisi pour sa construction. Ce n’est pas opportun de construire un monument à une période où le pays a de sérieux problèmes d’électricité, de carburant. La polémique s’est amplifiée lorsque certains ont voulu mettre en plus des aspects religieux qui sont discutables parce que l’Etat est quand même laïc.

Propos recueillis par Séni DABO

Le Pays

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