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Théâtre populaire : Dans l’antre d’un "marché de fraude" !

Publié le mardi 9 février 2010 à 01h42min

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Marché du Théâtre populaire de Ouagadougou. 11h 30. Le soleil n’a plus que quelques distances à parcourir pour être au zénith. Notre équipe s’avance à l’intérieur du marché. Un centre d’affaire de mauvaise réputation. Dans une interview accordée à notre confrère Sidwaya, Ousmane Guiro, le directeur général de la douane n’a pas hésité à dire au sujet de ce marché et de son trafic de moto, "Le problème du Théâtre populaire dépasse la douane. Elle ne peut y intervenir. Notre réserve se justifie par les risques élevés de troubles à l’ordre public que pourrait générer une intervention dans la zone. Mais, je conviens qu’il est inadmissible que des citoyens se comportent en hors-la-loi.

Qu’il y ait à l’intérieur de la ville de Ouagadougou une zone franche où tout est permis, est inadmissible".

C’est dans ce marché dont les méandres ressemblent à un labyrinthe sans issue que nous avons décidé de faire ce reportage. Le mystère a la peau dure. Nous restituons ici ce que nous avons vu mais aussi entendu dans ce sanctuaire de cycles et cyclomoteurs.

Théâtre populaire : bon marché de motos mais aussi fraude, affairisme, prostitution la nuit, deals louches… C’est dans ce "no man’s land" que notre équipe a été envoyée ce mercredi 27 janvier. A l’approche de ce sanctuaire des cycles et cyclomoteurs situé au quartier Cissin et mitoyen du stade René Monory, pas de possibilités aux nouveaux venus de passer inaperçu.

Les regards des commerçants braquent. Les plus jeunes renards font la sentinelle à l’entrée. Les jeunes démarcheurs vous accueillent dès le parking. Une chose nous tique, la mauvaise réputation de ce marché contraste avec ses multiples portes d’entrée et la chaleur de l’accueil des commerçants. A peine, notre engin dans le parking, qu’un jeune démarcheur nous aborde. "Hello, patrons, vous voulez des motos avec ou sans douane ? Je peux vous aider. J’ai un frère qui en possède", assène t-il. Une offre de service à laquelle, nous nous sommes montrés intéressés, en promettant à notre interlocuteur de revenir discuter sur les détails. Dès cet instant, nous semblons avoir la confirmation que la fraude a établi ses quartiers dans ce marché. C’est peut-être de l’a priori qu’a posteriori nous tenterons d’éclaircir.

"La jeune génération cherche à devenir riche à la vitesse de l’éclair"

A l’absence du "rag naaba", le délégué du marché, nous allons à la rencontre de El Hadj R.T, un des doyens de ce marché. L’homme est âgé d’environ 78 ans et travaille avec ses enfants que la scolarisation n’a pu ouvrir d’autres perspectives en terme d’emploi. Ce septuagénaire a vu naître ce business center en 1985. A ses débuts dans le commerce, il vendait des tôles et des engins à deux roues au marché central de la ville de Ouagadougou, Rood Woko. Selon El Hadj, la commune de Ouagadougou a décidé par la suite de séparer les vendeurs de ferrailles d’avec ceux des autres articles. C’est alors que ses compagnons et lui ont été relogés à quelques encablures du siège de l’Agence de sécurité et la navigation aérienne (ASECNA) en 1988. C’est, selon notre interlocuteur, le 15 août 1994, qu’ils ont été installés sur le site actuel du Théâtre populaire. "Depuis, nos affaires ne marchent plus comme avant. Nous avons beaucoup déménagé. Cela déroute les clients. Nous avons fini par les perdre", confie notre vis-à-vis.

"C’est le 17, tout le monde le sait dans ce marché" !

Pourquoi le théâtre populaire est considéré comme un bastion du vol et de la fraude des motos ? "Je ne fait pas de trafic de motos. Je ne saurais vous donner des précisions sur la fraude. Tout ce que je sais, c’est que la jeune génération cherche à devenir riche à la vitesse de l’éclair. Cela les pousse à verser dans l’affairisme pour atteindre leur objectif : l’argent, les femmes, les belles voitures" nous confie. Commerçant à Rood Woko à l’époque, notre interlocuteur confesse qu’il avait un véhicule, aujourd’hui il n’a qu’une moto mais cela ne le pousse pas à être malhonnête. "J’ai vu des jeunes rentrer dans ce marché avec de modestes moyens. Quelques mois après, ils sont devenus propriétaires de véhicules". Le vieux T. nous a confié que les arrestations ne manquent pas dans ce marché.

"C’est le seul indice que j’ai de la malhonnêteté de certains commerçants ici", puis d’ajouter, "plusieurs commerçants de ce marché ont déjà fait la prison".
Son fils, lui pense que l’accessibilité aux magasins explique l’entrée dans ce marché de personnes dont la moralité est douteuse. " Ceux qui ont suivi le marché depuis qu’ils étaient à l’ASECNA se connaissent tous. Ils connaissent aussi la moralité de tout un chacun. Mais de plus en plus des gens qui ont l’argent acquièrent facilement des magasins ici. Nous ne maîtrisons pas forcément leur moralité et leurs affaires", confie ce jeune d’une vingtaine d’années. Théâtre populaire rime t-il avec affairisme et complicité avec les voleurs d’engins ? Selon K, revendeur de motos neuves, "ce sont des préjugés. Personnellement avant que je ne m’installe ici, je pensais, comme tout le monde, que je venais dans un no man’s land. Mais, la discipline règne dans ce marché. Pour preuve, si vous voulez vendre une moto dont vous ne disposez pas les papiers, on vous dénoncera à la police".

"Retenez-vous le numéro de la police par cœur ?", demandons-nous, dans l’optique de vérifier que notre interlocuteur fait ce qu’il dit. La réponse est précise : "C’est le 17, tout le monde le sait dans ce marché" ! Des cas de personnes arrêtées parce qu’elles voulaient vendre des motos de façon illicite sont légion dans ce marché. En tout cas, tout locataire du marché vous cite un exemple. Mais ce que la plupart ne confirment pas, c’est la complicité qu’entretiendraient certains commerçants du marché avec les voleurs de moto. Dans la ville de Ouagadougou la rumeur dit que les voleurs de motos y convoient leur butin. Une moto volée ressort de ce marché totalement non identifiable par son propriétaire… Personne au Théâtre Populaire ne confirme, ni n’infirme. Enfin ! Tout est possible car, "il y a toujours des gens mal intentionnés ", c’est la formule de justification.

Un tour à l’intérieur du marché nous laisse croire non seulement que la police collabore avec ces commerçants pour mettre la main sur certains truands. Mais encore, un coup d’œil dans les magasins de ce marché nous montre qu’il y a bel et bien les possibilités de transformer une moto en une autre. Les scies, les tournevis de tout acabit, la peinture, les pneus de tous les âges, les pièces de rechange en témoignent. En outre, personne ne nie que le marché dispose de presque tous les spécialistes en matière de mécanique d’engins à deux roues, surtout de motos. Une maîtrise des domaines qui leur permet de presque tout faire !

La douane, le premier coupable

Les magasins du théâtre populaire ont l’allure de vastes entrepôts de ferrailles. Si ici on donne ou redonne de l’éclat à une moto, de l’autre côté, on reclasse les vieilles pièces détachées d’engins. D’où ces pièces ont-elles été retirées ? Omerta total. Pas un seul interlocuteur pour nous le signifier. On argue que des enfants revendent ces ferrailles aux commerçants. Ces pièces peuvent provenir sans aucun doute de motos volées. Mais quelles preuves ? Le mur du silence est haut, majestueux ! Le principe est de ne condamner personne sans preuve, c’est pourquoi, ici tout le monde est blanc malgré les a priori et la rumeur jusqu’à ce que peut-être…

A l’entrée sud du marché, des revendeurs de motos en seconde main devisent. Nous les abordons. A combien peut-on obtenir cette moto de marque X-1, communément appelée en anglais "X One" ? "Il n’y a pas de prix fixe pour les motos de seconde main", répond un vendeur. Cette loi semble être érigée en règle dans ce marché. Au dessus de ce magasin de vente de motos déjà utilisées, nous apercevons des plaques d’immatriculations accrochées. A quoi servent, ces plaques ? "Demandez au monsieur qui scient les planches", nous répond-t-on. Ce dernier nous rétorque qu’il monte uniquement les planches pour soutenir les plaques d’immatriculation à l’arrière des motos.

Il le fait au prix de 750 F.CFA la planche. Pas plus ! Mais l’exposition de ces planches nous paraît bien suspecte. Rien en effet ne dit que ces plaques ne sont pas conçues sur place. En tout cas, ça sent le deal ! Il nous revient que des vendeurs d’engins collaborent étroitement avec des monteurs de plaques d’immatriculation dans ce marché. Est-ce ceux qui travaillent dans la légalité ?
La fraude au Théâtre populaire parlons en ! Selon certains commerçants, les jeunes qui vont chercher les motos fraudées ne viennent pas du Théâtre populaire. Ils viennent de Cinkansé, à la frontière entre le Burkina et le Togo. Là, des commerçants font des stocks de motos non dédouanées et ce sont ces motos que les jeunes, parfois appelés "serpents" conduisent jusqu’à Ouagadougou.

Selon un repenti de ces "serpents", la stratégie consiste pour des grands commerçants, basés à Cinkansé à stocker les motos dans des familles loin des yeux peut-être " curieux” des “douaniers ". Ils louent ensuite les services de jeunes qui roulent ces motos jusqu’à Ouagadougou. Il s’agit aussi pour les grands commerçants de motos de Cinkansé, de convoyer leurs motos, par camions hors de la ville, en soudoyant la douane. Une fois hors de la ville, des jeunes qui sont arrivés de Ouagadougou par un car, envoyés là par des "môgôs" de la capitale, récupèrent ces motos et reviennent par des chemins dont on refuse de nous indiquer l’itinéraire. Plaidoirie des commerçants du Théâtre populaire : "le Théâtre populaire n’est pas le laboratoire des motos fraudées.

Celles-ci sont dans tous les marchés. Si les clients ne demandent pas les motos fraudées pensez-vous que certains commerçants vont se hasarder à les vendre ? Le problème se situent au niveau des clients directs de la douane", se défend un vendeur de motos. Pour lui, les motos arrivent au port dans des cartons en pièces détachées. Ces pièces que les grandes maisons comme Watam Kaizer et Megamonde exportent sont contrôlées à l’arrivée. Comment les commerçants peuvent-ils être au cœur de la fraude s’ils ne sont pas directement au port ? Ce sont les douaniers qui ne jouent pas leur rôle et qui accusent les commerçants du Théâtre populaire qui eux, ne sont que des revendeurs, nous dit-on. Selon le DG de la douane, l’Etat burkinabè perd 300 millions de francs CFA par mois du fait de ces motos fraudées. La douane fait-elle des deals avec les grandes maisons ? C’est ce qu’on croit quelque part à Cissin.

Pour certains commerçants, le prix élevé du dédouanement justifie outre mesure la réticence des usagers à aller dédouaner leur moto ou à demander les motos fraudées. " Au Mali, à la fin de l’année, la douane casse les prix du dédouanement. Pourquoi nous n’imiterons pas ce pays voisin ? " se demande un commerçant. Pour lui, il suffit qu’on casse les prix à 60 000 francs CFA et les usagers viendront assurer le dédouanement. L’Etat aussi rentrera dans ses fonds mais, selon lui, les douaniers sont d’une boulimie qui écœure. Pour A, on ne peut pas dédouaner et avoir une marge de bénéfice élevée. Les grandes maisons vendent à un prix défiant toute concurrence. Pour montrer patte-blanche, le commerçant K. nous a montré les papiers légaux de certains de ses engins. " Le seul problème que j’ai avec mes clients, c’est que les grandes maisons qui importent ces engins tardent à délivrer les documents du dédouanement. Ces derniers m’appellent en vain, certains depuis neuf mois ".

Sacré Théâtre populaire et sa réputation qui lui colle à la peau. Si la fraude y existe, elle est plutôt initiée et ourdie de quelque part. Le marché sert peut-être de tremplin ou d’opportunité. Dans un tel contexte, qui faut-il blâmer ? Nous espérons que ce reportage qui campe l’univers de ce marché, sans pointer un doigt accusateur sur qui que ce soit, permettra à chaque citoyen de s’assumer. Mais aussi de servir un tant soit peu la république au lieu de se servir soi- même.

Par Roger SAWADOGO ; Michel NANA


Encadré 1

Omerta quand tu nous tiens

C’est avec la peur au ventre qu’on fait un reportage dans un marché à la réputation négative comme le Théâtre populaire. Etant donné les convictions de désordre et autres bassesses inculquées du dehors. Au cours de ce reportage, nous avons trouvé des commerçants aussi accueillants, bavards que discrets. Discret sparce que tout étranger à ce " monde " est facilement identifié. Alors on surveille plus son langage. Seuls les patrons semblent être autorisés à s’exprimer. Cela permet d’encadrer les informations si fait que l’on a les indices de pratiques " louches " mais, il faut vous empêcher dans le cadre d’un reportage de tirer des conclusions. L’évidence est que tout le monde reconnaît l’existence de la fraude et de pratiques déplorables. Mais, l’esprit d’équipe permet de vaincre les forces externes. La fraude existe mais elle n’est pas créée dans ce fameux marché de Cissin. Ces fraudes sont importées. Et beaucoup de personnes, que l’on n’ose pas imaginer, en savent beaucoup de choses et les font prospérer. Malgré l’intelligence des fraudeurs, leurs activités dans leur entièreté, ne peuvent échapper à certaines personnes ou structures.

Dans tous les cas, à la sortie d’un tel marché, on a une impression plurielle : des commerçants qui disent travailler dans la dignité pour faire leur vie ; des jeunes qui s’enrichissent du jour au lendemain et attirent sur eux tous les soupçons ; des gens se disant victimes d’une situation de désinformation ; d’autres qui, compte tenu de la concurrence, développent des " activités " de survie ; des jeunes nombreux, le regard soupçonneux qui indiquent qu’ils sont là pour autre chose, … !

Enfin, on a cette impression que les uns et les autres les accusent aussi injustement. Mais, entre les suppositions, les accusations, les a priori et a posteriori, il y a une vérité non négligeable. Les fraudeurs et leurs clients, construisent aussi la nation, car, ils paient des taxes à l’Etat. C’est pourquoi, certains ne comprennent pas qu’on les poursuive. Qu’on leur retire leur moto fraudée parce qu’enfin de compte c’est l’Etat qui gagne. C’est un cercle vicieux où chacun peut se défendre avec des arguments "valables".


Encadré 2

Au théâtre Populaire de Ouagadougou, chacun y va de sa spécialité ou de son activité. Il en est ainsi pour Ablassé Sawadogo. Il monte les motos vendues par Alassane Kaboré son patron. Ce dernier l’a embauché pour ce travail. Chaque jour, Ablassé peut monter 5 motos. Le temps pour le montage d’une moto est estimé à 2h30mn environ. Il est payé à raison de 2500 F CFA par moto. Ablassé ne rencontre pas de problème particulier au cours de son activité mis à part des erreurs de fabrications constatées sur certaines pièces. On reproche souvent aux monteurs de moto de privilégier la quantité par rapport à la qualité dans leur travail, compte tenu du fait qu’ils sont payés en fonction du nombre d’engins montés.

Mais Ablassé semble se démarquer de ces "monteurs sap sap". Il s’est engagé en un seul endroit et cela lui garantit du succès et de la qualité dans son métier. Son travail d’ailleurs lui commande d’être peu bavard et d’être extrêmement concentré à chaque instant. C’est en 2001 que notre as de moto a appris son métier. Il est né en 1986 et a fréquenté l’école franco-Arabe jusqu’au CE1. Une jeunesse et un bref parcours scolaire qui n’empêche pas ce jeune homme souriant, d’exceller dans son domaine.

Par R.T

Par Bendré

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Vos commentaires

  • Le 9 février 2010 à 10:45, par Manitu En réponse à : Théâtre populaire : Dans l’antre d’un "marché de fraude" !

    Quand est-ce que la RTB qui est maintenant sur satellite fera l’économie d’un séminaire ou d’un atelier pour faire un tel reportage ? C’est ça le journalisme, c’est ça montrer l’image du pays aux burkinabé et au monde.
    C’est du bon, Bendré.

    Personnellement le TP, je n’échappe pas aux a priori mais ce que j’aime labas, si tu as besoin d’une pièce pour ta moto, quelle qu’elle soit, vas-y tu ne seras pas déçu. C’est bien qu’un coin comme ça existe à Ouaga.

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