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Chef de file de l’opposition : Que cache cette subite bonté du pouvoir ?

Publié le lundi 8 février 2010 à 01h08min

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On n’y croyait pas trop. Cela faisait tellement longtemps qu’on en parlait et que l’on a fini par désespérer de voir nommer un chef de file de l’opposition dans ce pays. C’est une coquetterie et une élégance trop british pour nous, n’est ce pas ? Le Pr Joseph Ki-Zerbo ne l’a pas obtenu, Hermann Yaméogo n’a pas eu de grâce à leurs yeux. Ils l’ont accordé de bon cœur à Gilbert Ouédraogo quand bien même il semblait loin de remplir les conditions. Mais il y a renoncé de lui-même. Alors le chef de file de l’opposition, on s’est dit, c’est bien une invention anglo-saxonne. Au Ghana oui, on peut trouver ce leader de la minorité, mais chez nous, ce n’est pas possible, ce n’est pas pour nous.

Et ce n’est pas demain, pensions nous, qu’on verra un opposant au régime, un vrai, installé dans cette fonction. Et pourtant c’est possible. L’Assemblée nationale l’a fait par une loi et une résolution. On a même cru à une tentative de résistance des élus CDP contre l’idylle entre l’ADF/RDA et leur patron Blaise Compaoré. Si le patron du CDP est d’accord avec cette importation de coutume dans notre pays, c’est qu’il y trouve son compte.

Ce pouvoir a tellement été pervers avec l’opposition qu’il est difficile de le voir subitement prêcher à la Bonne nouvelle et se comporter en bon samaritain. On a la faiblesse de penser que c’est trop beau pour être vrai. Il y a sûrement un vice caché dans cette affaire. Où à l’usage le pouvoir doit escompter quelque bénéfice de ce statut de chef de file de l’opposition. Alors que les choses traînent à se mettre en place sur les avantages et les privilèges liés à cette fonction, voyons ce que pouvait apporter à l’opposition une telle innovation si le CDP voulait vraiment en tenir dans l’hémicycle. Au mois d’Octobre 2009, l’opposition burkinabè, majoritairement s’est félicité du vote d’un texte consensuel sur le statut de l’opposition et de son chef de file. Si on jette un coup d’œil dans le rétroviseur, on peut parler de victoire et de clarification. L’ADF/RDA qui avait le « cul entre deux chaises » a été, en égard à ce texte, sommé de choisir son camp. Etre de l’opposition et quitter le gouvernement, ou faire partie de la majorité présidentielle et rester au gouvernement.

C’est cette dernière option que le parti de l’éléphant a préférée. Car le nouveau texte de loi donne une définition précise de l’opposition et ne permet pas les amalgames et les situations floues, de soutien au Président et pas au CDP. Même si des partis politiques comme celui de Sarkozy utilisent cette méthode dite d’ouverture pour combattre leur opposition en intégrant des personnalités de la gauche dans un gouvernement de droite. Ces hommes comme Kouchner, sont bel et bien des hommes de droite, dans un gouvernement de droite, et ils ne peuvent plus se réclamer de l’opposition. C’est pourquoi la nouvelle loi sur le statut de l’opposition est un progrès. Elle dit précisément en son Article 4 : « Pour être un parti de l’opposition, il faut :
- faire une déclaration officielle de son appartenance à l’opposition et la transmettre au chef de file de l’opposition ; - ne pas accepter que ses militants occupent des postes politiques du genre hautes fonctions. Aux termes de la présente loi, sont considérées comme hautes fonctions, les fonctions de Premier ministre, de Président du Conseil économique et social, de ministre, toute fonction de rang ministériel, de directeur de cabinet des institutions et des ministères, les fonctions de représentation spéciale et toute haute fonction de nature politique dont l’occupation est incompatible avec le statut d’opposant. » Avec ces dispositions, c’est Maître Sankara qui devient le chef de file de l’opposition, et on ne peut pas lui reprocher de n’avoir rien fait pour habiter la fonction, sans attendre d’en savoir plus sur les avantages et les privilèges. Au terme de la loi, à part les mentions protocolaires et le rôle consultatif, rien n’est dit. Mais si on observe les pays où nous sommes allés copier cette pratique, le leader de la minorité est un moyen d’assurer une plus grande visibilité à l’opposition. C’est un moyen pour que l’opposition puisse mieux exercer ses fonctions d’alerte, de critique, et d’alternance à la majorité. Le système organise l’alternance. C’est le contraire de la pratique du CDP qui fait tout pour empêcher l’alternance. En ce sens que la démocratie est un système où la pluralité des opinions doit s’exprimer, et être garantie. Ce n’est pas le « tuk gili » comme certains le prônent. Les vaincus ne sont pas méprisés, frappés d’ostracisme, écrasés comme le parti au pouvoir le fait actuellement. Ils sont appréciés, consultés, et considérés comme l’alternative, car le peuple peut les choisir lors des prochaines échéances. Dans certains de ces pays, on attribue d’office la présidence de la commission des finances et de l’économie à l’opposition pour qu’elle puisse vraiment piloter pleinement le contrôle de l’action gouvernementale. D’autres pays comme l’Italie accordent un temps de parole plus long à l’opposition lors des débats parlementaires. Certains pays comme la Finlande autorisent l’opposition à publier son propre rapport : le rapport de la minorité sur les questions économiques et financières et autres sujets. Dans notre pays ce n’est pas le cas et c’est dommage, car le gouvernement ne bénéficie pas suffisamment des critiques de l’opposition et les faiblesses éventuelles ne sont pas corrigées. La leçon de cette pratique c’est que le fait majoritaire comme le disait le Pr Etienne Traoré n’est pas le summum de la démocratie, mais le consensus. C’est ce que le CDP ne sait pas.

La désignation du chef de file de l’opposition aujourd’hui est en deçà des pratiques courantes des pays dont on s’est inspiré, et apparemment, le pouvoir n’est pas pressé de lui accorder le statut qui devrait être le sien. Si le pouvoir veut évoluer vers un régime parlementaire comme le souhaite Salif Diallo, il devra donner plus de place à l’opposition, et accorder plus d’avantages et de privilèges à la minorité. Cela ne doit pas être seulement une fonction d’apparat. Faire du chef de file de l’opposition un masque que l’on sort lors des inaugurations et dont la voix n’est pas audible dans le pays et qui n’a aucune emprise sur l’action du gouvernement, ce n’est pas l’esprit de cette institution. Au lieu de faire du copier coller, on doit s’inspirer des pratiques des autres pour en connaître vraiment l’esprit et l’appliquer.

Sana Guy

L’Indépendant

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