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Pauline Marteil, coordonnatrice de l’ONG Enfant & Développement : « Il y a encore du chemin à faire »

Publié le vendredi 5 février 2010 à 01h33min

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Les moyens financiers seuls suffisent-ils pour réussir un projet de développement au Burkina ? La réponse semble être non, à lire l’entretien ci-après que nous a accordé Pauline Marteil, la coordinatrice d’un projet d’une ONG française au Burkina, Enfant et Développement (E&D), qui œuvre, comme tant d’autres, au bien-être des populations de nos villes et campagnes. En plus de bien d’autres difficultés, il faut savoir, selon elle, gérer les tensions diverses nées du processus de décentralisation entamé par notre pays. C’était le 5 décembre 2009 à la faveur de l’inauguration de l’école de Bouli (commune rurale de Pensa), dans la province du Sanmatenga.

Pour nos lecteurs qu’est-ce que E&D ?

Permettez-moi d’abord de signaler que E&D, qui intervient au Burkina depuis 2004, est un projet de développement global de l’enfant mis en œuvre dans 22 villages des communes rurales de Dablo et de Pensa. Il a été précédé d’une phase pilote à Foubé et à Guenbila à travers un financement du ministère des Affaires étrangères français.

Depuis mi-janvier 2010, notre aire de couverture, qui limitait jusque-là au district sanitaire de Barsalogho, est en train de s’étendre, à travers la mise en œuvre d’un projet d’accompagnement familial, sur 2 zones non loties de Ouagadougou (Bogodogo et Nongremasson). C’est un projet multipays à caractère social, financé par l’Union européenne. Il est adjoint à un projet santé (soutien à 6 CSPS des deux communes) et pour lequel nous sommes en attente de financement.

Au juste, qu’est-ce que vous apportez dans votre zone d’intervention ?

L’objectif du projet est d’augmenter l’offre scolaire dans les localités où il n’a pas été prévu de construction ou de normalisation d’écoles dans le cadre du PDDEB. A l’heure de la conception du projet, sur 12 écoles nécessaires dans le district sanitaire de Barsalogho, le PDDEB n’avait prévu d’en financer que six dans les prochaines années, les six autres restant sans financement. E&D a participé donc à cet effort en construisant deux nouvelles écoles de 3 classes chacune dont la dernière à Bouli dans la commune rurale de Pensa que nous avons inaugurée le 5 décembre 2009. Avant la réalisation de cette école, nous avons d’abord consulté nos partenaires techniques en éducation (les inspections) qui nous ont donné un aperçu des besoins en infrastructures dans la commune.

Je précise que le choix de Bouli ne s’est pas fait au hasard. Nous avons tenu compte non seulement de son isolement mais aussi de sa forte proportion d’enfants scolarisables (notamment des filles) qui devaient parcourir 5 kilomètres pour aller à l’école de Pensa Centre. A ce critère s’ajoute l’inaccessibilité de la zone en saison pluvieuse car un grand bas-fond, qui la sépare de Bouli, se remplit d’eau et se rendre à l’école devient impossible pour les enfants.

Nous avons été également motivé par la mobilisation de la population qui, outre le soutien à l’entrepreneur et son équipe durant la construction, a contribué en agrégats pour un montant estimé à plus de 5,6 millions de francs CFA. Quant aux salles de classes, elles ont été équipées de 75 tables-bancs, grâce au concours du ministère de l’Enseignement de base par l’intermédiaire de son directeur provincial du Sanmatenga, Hubert Kinda.

Votre intervention se limite-t-elle à la construction de salles de classe ?

Le projet va au-delà de la construction de salles de classe car il se focalise également sur les aspects qualitatifs, en élevant toutes les écoles de la zone d’intervention au niveau des standards minimaux de qualité (forage, latrines, logements d’instituteurs, matériels pédagogiques, électrification solaire…). L’ONG E&D intervient dans 16 écoles au total, réparties entre Dablo et Pensa, et qui bénéficient chacune d’une malle pédagogique, d’une trousse médicale, de matériel de jardinage et de bibliothèques.

Nous envisageons également des visites médicales dans les écoles ainsi que des activités sur la santé et les droits de l’enfant. Ces apports sont distribués tout au long de la durée de vie du projet et permettent de soutenir les enseignants à travers la mise en œuvre d’activités récréatives (théâtre, jardinage, sport à l’école, etc.).

Nous avons une démarche transversale sur tous les volets du projet qui est la méthode « l’Enfant pour l’Enfant » (EpE). Cette formule consiste à impliquer les enfants dans la conception et la transmission d’informations qui les concernent. Le contenu des messages est simple et précis et les enfants se l’approprient d’autant mieux qu’ils sont associés à l’identification des sujets et à la recherche d’informations y relatives. En d’autres termes, ils ne sont pas seulement vecteurs mais aussi créateurs des messages.

Le respect, la responsabilisation et la valorisation des enfants sont au centre des préoccupations des animateurs. Cette méthode permet l’implication active des bénéficiaires (les enfants) dans les actions qui leur sont destinées. Particulièrement adapté à la démarche intégrée du projet, ce système trouve à Barsalogho un terrain propice à sa réalisation : motivation des enseignants, synergie avec les autres activités du projet en santé, hygiène et nutrition, responsabilisation des communautés et cadre national pour l’amélioration de l’environnement scolaire.

Le but est de faire de l’école un lieu exemplaire pour le développement de l’enfant et de créer les bases d’une réplication de ce cadre au niveau communautaire. En somme, c’est un projet intégré dont la force et le gage de pérennité est l’implication de tous les acteurs et la prise en compte du volet santé/éducation et développement communautaire.

L’objectif de l’approche utilisée est de contribuer à changer certains comportements en matière de santé et d’hygiène et à l’appréhension de l’importance de l’éducation par les communautés villageoises de la zone cible. Mise en œuvre dans différents contextes et pays (urbain/rural, Cambodge, Laos et Vietnam) par E&D et développée auparavant à Foubé et à Guénbila, cette méthode a déjà fait la preuve de son adaptabilité et de ses résultats. Je voudrais enfin souligner que nos interventions dans les écoles suivent l’approche « Ecole amie des enfants », développée par l’UNICEF, visant à promouvoir une école qui prend en compte tous les droits et besoins des enfants.

Celle-ci repose sur cinq orientations : une école saine protectrice de la santé des enfants, propice à l’apprentissage, favorable au succès, qui intègre et protège tous les enfants sans discrimination, promeut l’égalité entre les filles et les garçons et, enfin, où les familles, les communautés et les enfants s’impliquent et participent activement à la gestion. Cette méthode, qui a déjà été appliquée à un de nos projets dans le Nord du Vietnam, a apporté d’importants progrès dans la qualité de l’enseignement et le taux de fréquentation des écoles.

L’expérience a démontré que certains projets meurent après leur retrait. Qu’est-ce qui est fait à votre niveau pour pérenniser les acquis ?

Au niveau de E&D, cette préoccupation est prise en compte. Nous avons constaté que les Associations de parents et de mères d’élèves (APE/AME), qui jouent pourtant un rôle central dans la mobilisation des ressources locales et dans la gestion des écoles, ont peu de soutien. Aussi avons-nous entrepris des actions de renforcement de leurs capacités (alphabétisation en langue locale, formations sur leurs attributions, formation en gestion de micro projet) avant de les accompagner dans le développement d’activités génératrices de revenus pour lesquelles nous débloquons des prêts.

Ainsi, une partie des bénéfices générés par ces associations serviront à alimenter un fonds de roulement pour le renouvellement du matériel nécessaire à la poursuite des activités (renouvellement graduel des kits de matériel sportif, des outils de maraîchage, achat de livres pour compléter les fonds des bibliothèques, etc.).

Il faut noter que E&D a d’autres partenaires locaux sur le terrain. Parmi eux, nous avons Enfants du Sahel – Burkina Faso (ES-BF) qui est chargée des volets « éducation » et « santé communautaire ». L’animation communautaire et la mise en œuvre des activités sont assurées au quotidien par les agents de zone de cette ONG. Ces derniers serviront en même temps de relais entre les acteurs communautaires (APE/AME, Agents de santé communautaires (ASC)) et les responsables de volets. ES-BF possède une solide expérience dans ces domaines.

Les circonscriptions d’éducation de base (CEB) de Dablo et Pensa, qui constituent des interlocuteurs de référence sur la zone en matière d’éducation primaire, seront fortement associées à la conduite et au suivi des activités en éducation. Elles seront surtout les référents pour la collecte des données statistiques en éducation et se chargeront, en collaboration avec l’équipe cadre de santé du district, de la formation des enseignants à la méthode EpE.

Par ailleurs, bien que nous n’ayons pas de partenariat signé, nous travaillons en lien étroit avec les directions provinciale et régionale de l’Enseignement de base. L’équipe cadre de santé du district sera chargée de superviser la mise en place par les CSPS des équipes mobiles dans les villages et du suivi des ASC. Elle participera à l’élaboration des formations en santé et EpE, ainsi qu’au recueil de données.

Notre projet s’appuie sur des structures de concertation, notamment des comités de pilotage réunissant les différents acteurs du district sanitaire de Barsalogho et les communes et villages relevant de sa zone d’intervention. Cela permet de promouvoir une meilleure synergie entre les différentes activités. Nous nous réjouissons du soutien dont nous avons bénéficié jusque-là des autorités administratives communales, provinciales et régionales que nous impliquons dans toutes nos démarches.

Il nous est revenu qu’il n’a pas été facile de faire accepter le projet par certains acteurs. Vous confirmez ?

C’est vrai, l’exécution de ce chantier de l’école de Bouli n’a pas été facile au départ. Bien que nous ayions procédé de manière participative en consultant tous les acteurs sur place au cours des étapes préliminaires du choix de la localité pour l’implantation de cette école, nous nous sommes heurtés à des refus de la part de certaines parties. Grâce au soutien de nos partenaires techniques et des autorités administratives, nous avons pu, après des réunions communautaires et avec toutes les parties prenantes, nous accorder sur le choix du site.

Nous en retenons en tout cas que dans ce contexte sensible et ce cadre administratif encore bien flou pour la plupart des acteurs, nous avons dû faire preuve de prudence et travailler en amont pour une participation formelle des différentes parties.

Et nous nous réjouissons aujourd’hui des résultats auxquels nous sommes tous parvenus. Et c’est le lieu pour moi d’exprimer la reconnaissance de E&D à tous ceux qui se sont mobilisés pour que l’école de Bouli soit une réalité. La preuve que ces discordes rencontrées au début du projet se sont dissipées, c’était la forte mobilisation de la population lors de la cérémonie d’inauguration de cette infrastructure.

Les difficultés que nous avons rencontrées étaient surtout liées, entre autres, aux tensions intercommunautaires favorisées par le processus de décentralisation. Et vous convenez avec moi que cela n’est pas propre à la commune de Pensa. Cette situation s’explique en partie par la jeunesse relative du processus de la communalisation dont la coordination et l’organisation relèvent de la responsabilité du ministère de l’Administration territoriale. Vous devez sans doute le savoir, comme nous qui sommes sur le terrain, que le transfert de compétences et de ressources aux collectivités territoriales, prévu par la décentralisation, se fait très lentement.

Vous n’ignorez pas également que la mise en œuvre de la décentralisation rurale a entraîné une arrivée massive d’élus locaux, qui en plus d’être peu soutenus par les services de différents ministères, sont fortement handicapés par l’analphabétisme et la méconnaissance des lois et règlements relatifs au fonctionnement des organes locaux des collectivités. A ces réalités auxquelles nous sommes confrontés, s’ajoutent les difficultés relatives à la cohabitation des autorités traditionnelles avec ces nouveaux acteurs locaux. Voilà en résumé nos contraintes quotidiennes avec ces acteurs du développement comme interlocuteurs clés sur le terrain.

Il y a certes encore du chemin à faire, mais nous apportons notre modeste contribution à la sensibilisation des populations de notre zone d’intervention sur leur rôle dans le développement des communes. D’un point de vue institutionnel, toute la démarche du projet consiste à appuyer les structures communautaires (ASC, APE/AME) et locales en place (services déconcentrés de l’éducation et de la santé) ou en création (structures décentralisées).

Le projet se donne pour objectif d’en accroître leurs capacités pour qu’elles puissent jouer leur rôle de façon optimale et poursuivre les activités introduites par le projet après les cinq années de sa mise en œuvre. Cette démarche s’inscrit ainsi parfaitement dans le processus en cours de la décentralisation, qui consiste précisément à conférer aux structures locales une autonomie de gestion et de décision plus grande. Ainsi, au terme de l’action, ces structures seront réellement opérationnelles et auront acquis les compétences nécessaires à la pérennisation des activités du projet.

Il ne s’agit donc pas de créer de nouvelles institutions, mais de renforcer les structures et acteurs en place. Les comités de projet au niveau villageois et communal sont d’emblée conçus comme des cadres transitoires de coordination intersectorielle, structures souples de coordination des actions menées par les acteurs locaux du développement de l’enfant.

Ces structures ont vocation à s’effacer au profit des structures communautaires prévues par le processus de décentralisation (communes, comités villageois), au fur et à mesure que celles-ci deviendront opérationnelles et que le transfert de compétences et de ressources prévu aura été pleinement défini et mis en œuvre. Elles auront permis entre-temps aux acteurs de se familiariser, par la pratique de réunions régulières de concertation, à la mise en œuvre concrète d’activités intégrées autour du développement global de l’enfant.

Propos recueillis par Hamidou Ouédraogo

L’Observateur Paalga

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