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Tribune libre : Les limitations de la perception du réel chez l’agent de développement

Publié le jeudi 4 février 2010 à 01h04min

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Sidwaya, le journal de tous les Burkinabè, vous donne à lire à travers cette tribune libre, un point de vue sur les facteurs qui limitent la perception du réel chez l’agent de développement. Le titre et l’intertitre sont de la rédaction.

Le praticien du développement ou, si vous voulez, l’agent de développement est le produit d’une culture déterminée qui lui a transmis une vision du monde, une idéologie, une religion, une langue, etc. Dans le cadre de son travail, il est en contact avec les populations qui, parfois, parlent la même langue que lui, ont la même confession et ont été à l’école comme lui.

Ces traits communs sont cependant trompeurs. Ils cachent mal au praticien du développement des différences importantes dans les systèmes de valeurs de ces populations ou incitent à les trouver dépassés ou anachroniques, limitant ainsi sa capacité de comprendre ce qui lui est culturellement étranger, ce qui restreint ses chances de parvenir à un résultat probant.

Il y a, à mon sens, trois facteurs qui se posent en obstacles à la perception du “réel”, que ce soit dans la phase de l’élaboration, dans la mise en œuvre ou encore dans l’évaluation des projets et programmes de développement. Ce sont : la projection de modèles, le transfert de concepts et la centration.

La projection de modèles est perceptible au niveau de la formulation des problèmes et l’élaboration des solutions. Dans la plupart des cas, le praticien du développement n’est pas conscient de son conditionnement culturel et de la relativité de ses conceptions, il croit qu’il n’y a qu’un seul modèle de développement.

Ce n’est pas le cas. Contrairement aux idées reçues, les savoirs techniques locaux constituent des stocks de connaissances pragmatiques, opérationnelles pour les communautés rurales, qui couvrent bien des domaines de la pratique sociale. Il est difficile de trouver un domaine où quand une opération de développement se propose de vulgariser un nouveau savoir technico-scientifique, il n’existe pas déjà un savoir technico-scientifique populaire en place qui règle les pratiques concernées.

Ce que l’agent de développement leur propose peut supposer de la part des communautés l’abandon de leur spécificité culturelle, et pourrait comporter un risque d’induire un changement radical des rapports de l’homme avec la nature, de l’individu avec le groupe, des traditions religieuses, de la vie en général, au nom de la rentabilité et de l’efficacité.

Quant au transfert de concepts, il est une forme de projection de modèles qui consiste en l’utilisation, dans un contexte étranger, d’un concept né dans un autre contexte culturel, sans qu’il ne soit tenu compte des valeurs et idéologies qui y sont attachées. Je prends un exemple : derrière le mot “orphelin” on comprend la situation de l’enfant sans parents. Partout à travers le monde, on peut apprécier statistiquement le nombre de ces enfants.

Les résultats sont comparables sur un plan purement quantitatif. Mais il est important de ne pas faire fi de la situation subjective de l’enfant “sans parent” et, dans un cadre de référence plus large, des concepts de parenté, et de solidarité sociale.

Le travailleur social, par exemple, pourrait concevoir qu’un orphelin soit placé dans une institution créée à cet effet par les organisations étatiques. Dans ce cas, la condition d’orphelin symbolise ségrégation physique et transfert de responsabilité à une instance (étatique) anonyme.

Cette solution peut étonner le paysan, qui pourrait la qualifier de barbare. Pour lui, il n’y a pas d’enfant sans parents, du moins dans sa conception traditionnelle de la famille et de la parenté. Les règles qui sont à la base des rapports de parenté prévoient clairement qu’en cas de mort d’un des parents, un autre membre prend la place du disparu. La distinction conceptuelle possible entre père “biologique” et père “social” prend ici toute son importance.

L’orphelin reste intégré dans la structure familiale qu’il connaît bien ; il n’y a ni séparation ni responsabilité anonyme. Cela n’empêche pas le travailleur social de faire entrer dans ses statistiques les enfants qu’il considère comme orphelins selon sa conception exogène du terme.

On peut donc appréhender dans une culture étrangère un réel qu’on croit “objectif” en vertu de ses propres représentations d’acculturé et d’aliéné, sans toutefois trouver quoi que ce soit qui corresponde à l’expérience subjective des populations concernées. Il arrive ainsi à l’agent de développement de créer une réalité artificielle en transposant malencontreusement des concepts familiers en apparence.

La centration, un facteur limitatif

La centration constitue un autre facteur limitatif de la perception du réel. C’est le fait de limiter le champ de perception à un aspect particulier.

Cette limitation subjective peut être due à la personnalité de l’acteur de développement (vision du monde, système de valeurs), du fait que les agents de développement voient ce qu’ils veulent voir, ou tout simplement à la spécialisation et à l’éthique professionnelle en vigueur. A cela s’ajoutent les conditions spatiales et temporelles ainsi que matérielles dans lesquelles se déroule l’observation de l’objet.

Dans le cas concret de l’acteur de développement, la centration est due à sa personnalité, à la professionnalisation professionnelle qui implique une limitation du savoir et une restriction du cadre conceptuel et à l’idéologie. Je voudrais m’attarder un peu sur le point concernant l’idéologie. D’une manière générale, l’idéologie du développement rime avec industrialisation, croissance quantitative, transfert de capitaux et de technologie, urbanisation, éducation par la scolarisation.

L’adoption de ce modèle induit le renoncement à sa culture, la remise en cause des rapports des communautés avec leur nature, la restructuration de la relation entre l’individu et la collectivité. L’agent a tendance à ignorer ces aspects, obnubilé qu’il est par la matérialisation de l’idéologie de développement ; sa connaissance se trouve ainsi centrée sur un aspect partiel du changement social. S’il est impossible d’éliminer ces facteurs, on peut néanmoins en minimiser les effets.

Cela pourrait signifier à l’avenir pour le praticien du développement :

- qu’il faut élucider sa pré-conception du processus de développement ainsi que ses préjugés et valeurs implicites à la base de son action ;

- qu’il faut également considérer l’hypothèse ou la solution contraire lorsque qu’il élabore une hypothèse pour expliquer une situation ou qu’il examine la solution d’un problème ;

- qu’il devrait examiner ses concepts et ses idées en fonction de leur origine culturelle ;

- qu’il devrait prendre conscience de la relativité de son point de vue dans la perception des problèmes, et dans certains cas, faire des observations en partant d’autres points de vue ;

- qu’il serait opportun de considérer les premières impressions comme provisoires, car on serre souvent la réalité de plus près après avoir rompu avec ce qui est immédiatement appréhendé ;

- qu’en présence d’un observateur appartenant à une autre culture, il faudrait être conscient qu’à l’intérieur du champ d’observation, des processus, des objets et des forces complètement différents peuvent être perçus.

Serges Gaëtan COMBARY

Administrateur des Affaires sociales

Direction régionale de l’Action sociale et de la Solidarité nationale de l’Est/Fada N’Gourma

Sidwaya

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Vos commentaires

  • Le 4 février 2010 à 10:23, par Nomyidin En réponse à : Tribune libre : Les limitations de la perception du réel chez l’agent de développement

    Merci à ce Monsieur,qui fait une très bonne analyse.
    Sans complexe , il reconnait la pertinence des savoirs locaux dans la résolution des problèmes sociaux.
    Tant que dans nos pays nous ne prendrons pas en compte les savoirs locaux et construire notre développement à partir de notre culture et de notre representation sociale des faits , nous serons toujours à la traine. Inspirez vous des exemples des pays développés.
    Nous avons besoin de ce genre d’articles qui ns font vraiment avancer plutôt que de ns servir des querelles quotidiennes entre kouanda et Palm ; entre kouanda et barry ; entre cnse et unse ;
    En quoi ces conflits d’intérêts, de leadership de positionnement politiques de politiciens nostalgiques du passé et des régimes d’exception ns font avancer .

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