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CIA : Ces grandes oreilles qui n’entendent plus

Publié le vendredi 13 août 2004 à 08h13min

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Tel un monarque qui présente à ses sujets son héritier, Bush a fait dans le genre le mardi 10 juillet en exhibant devant les caméras du monde entier, Porter Goss, le nouveau directeur de la Central Intelligence Agency (CIA), l’Agence centrale américaine du renseignement. Une présentation digne d’un feuilleton hollywoodien. Curieux, cela l’était quand on sait que dans le domaine de l’espionnage, la discrétion est la qualité la mieux prônée.

Les espions ont toujours préféré l’ombre à la lumière. Ce n’est pas pour rien que ceux qui font de l’infiltration parmi eux sont appelés des taupes. Mais le désormais premier espion des Etats-Unis ne semble pas s’entourer de tous ces scrupules.

Il semble d’autant plus à l’aise que son mentor a dit de lui qu’il est un homme de l’intérieur, pour signifier qu’il a déjà travaillé dans la Centrale. Le président américain passe sous silence le fait que Goss est le représentant du Parti républicain en Floride. Cette manière de présenter le remplaçant de Georges Tenet, installé du temps de Clinton, plutôt que d’être un symbole, peut être considéré comme un signe de déchéance de cette maison qui a fait la richesse de bien de cinéastes et écrivains de romans policiers. Créée en 1947, la CIA a un rôle qui dépassait celui du renseignement.

Quand les intérêts des Etats-Unis étaient menacés et que leur diplomatie butait contre un mur, on ne pouvait tout de même pas à l’époque déclarer une guerre ouverte pour zigouiller le potentiel opposant. Alors, la CIA entrait dans la danse par des manœuvres qui sont loin de figurer dans l’Evangile : manœuvres de guerre psychologique, provocations, soutien aux coups d’Etat, entraînement de bandes armées ou de mercenaires. Employant plus de 100 000 agents, la CIA était devenue un Etat dans l’Etat. La goutte d’eau qui a fait déborder d’inquiétude les autorités américaines, c’est le coup d’Etat que l’Agence a fomenté au Chili en 1973. Il fallait donc mettre une bride à ses activités. Car le risque existait d’être mangé par sa propre créature.

Depuis 1974, les opérations clandestines nécessitent désormais le feu vert du président et l’information du congrès. En outre, on a enlevé à la CIA son pouvoir d’exécuteur de basses œuvres, décision qui a mis bien des barbouzes au chômage. Si l’Agence a remporté bien des victoires éclatantes dans la défense des intérêts stratégiques de l’Amérique, elle a connu bien des échecs cuisants : la CIA n’a pu prévoir les évènements suivants : la chute du mur de Berlin, la guerre du Kippour, la révolution islamique en Iran, le premier essai nucléaire indien dans le désert du Rajasthan. La dernière bourde en date, c’est l’attaque contre le World Trade Center en 2001 qu’elle n’a pas vue venir.

Reconnaissons que les raisons de cette inefficacité sont multiples : d’abord, il existe une rivalité qui ne dit pas son nom entre la CIA et le FBI, qui s’occupe des affaires intérieures. Il est cependant difficile d’établir une ligne rouge délimitant rigoureusement les domaines de compétences respectifs des deux structures, les enquêtes extérieures et intérieures étantsouvent intimement liées. Pourtant, la principale critique faite à la CIA, c’est sa confiance presqu’aveugle à l’ordinateur. Il n’y a pas longtemps, les fins limiers de Langley ainsi qu’ils se prénommaient, vantaient leurs ordinateurs de pouvoir traiter 4 milliards d’opérations par seconde.

L’ère informatique faisant, cette maison avait donc mis au devant de la scène les ordinateurs au détriment de l’homme. Aujourd’hui, elle se rend compte que rien ne vaut le renseignement humain. Que valent bien les renseignements fournis par un serveur aussi performant soit-il, face à un Ben Laden, qui, pour communiquer, fait plus confiance au coursier à dos de baudet ? Certes, cette méthode qu’affectionnaient nos ancêtres est plus lente, mais le satellite le plus puissant en perdrait ses capacités d’espionnage, à vouloir intercepter un message transmis de la sorte.

Une des preuves les plus patentes de cette confiance aux machines : la veille du 11 septembre, l’agence ne disposait pas de plus de quatre analystes parlant plus ou moins arabe. Pourtant on n’avait tout de même pas besoin d’avoir fait une école d’espionnage pour prévoir que la plus grande menace viendrait de là. Il y a eu bien des signes avant-coureurs : première attaque des mêmes tours jumelles en 93, attentats contre les ambassades américaines de Nairobi et de Dar-es-salam. Adieu donc nos espions au visage carré à la John le Carré, qui, au moins, faisaient le tour du monde pour lutter contre « l’axe du Mal » au grand bonheur de l’Amérique.

Ainsi, calfeutrés dans les salons du siège, nos chers espions étaient devenus des espions pantouflards. Entre deux cafés et un hamburger, ils décryptaient les dépêches vomies par un serveur central. Et ce qui devait arriver arriva : les grandes oreilles n’entendent plus le cri de wou-hou, pour parler ouagalais. La maison a donc besoin d’un grand toilettage. Le récent vote du budget de la CIA par le Sénat, un budget secret oscillant entre 35 et 40 milliards de dollars, soit le double du produit intérieur brut du Sénégal, nous conforte dans cette position.

Issa K. Barry
Observateur Paalga

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