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Éditorial de Sidwaya : Les alcools frelatés, ces ennemis intérieurs

Publié le lundi 25 janvier 2010 à 01h23min

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Ibrahiman Sakandé, DG des Editions Sidwaya

Il ne s’agit pas de l’industrie des armes lourdes ou légères dont l’écoulement vers les pays pauvres fait le bonheur des bandits de tout poil. Ni de la drogue dure et de ses effets dévastateurs bien connus.

De la lucarne à partir de laquelle nous observons ces déchets toxiques d’un autre genre et d’un autre monde, nous voudrions parler des industries burkinabè des « alcools » frelatés : ces produits méritent bien qu’on s’y attarde et qu’on en parle au pluriel, car il y a maintenant des alcools de tous les goûts, de toutes les marques, de tous les degrés, à tous les prix. Dans tous les coins et recoins de notre capitale, on en trouve à tout moment, le jour comme la nuit. De petits kiosques en contiennent plus qu’on ne peut l’imaginer : et ça marche !

Il s’agit d’abord d’industries et, à ce titre, ce sont des entreprises qui ont demandé un effort d’investissement à des hommes et femmes dynamiques ayant pris le risque de les faire exister. Une fois implantées, ces entreprises contribuent à « résorber le chômage et la délinquance ». Des techniciens de ces usines aux vendeurs de kiosques sans oublier commerçants grossistes et détaillants, on dénombrerait des centaines de familles en ville comme en campagne qui vivent aujourd’hui, au Burkina Faso, grâce à la production et à la vente des alcools frelatés.

S’il n’y avait que ce côté positif, qui ne s’en réjouirait pas ? Mais le problème, c’est que cette marchandise n’est pas comme les autres. La production, la vente et la consommation de ces décoctions de la mort méritent qu’on y réfléchisse par plus d’une fois avant de s’en adonner à cœur joie.D’abord, on remarque que ces poisons sont bien emballés : de jolies bouteilles portant de beaux noms et de belles images dont le label évoque toujours le luxe, le sexe, la violence et l’argent : juste comme les pauvres aiment à les voir pour leur enchantement et leur évasion.

Ensuite, le prix est mieux étudié que celui de la nivaquine et l’aspirine. Pour une broutille, l’ouvrier peut rivaliser avec son patron en dégustant une boule de liqueur de renommée mondiale. Enfin, la distribution est très large. On trouve ces liquides sulfureux à Ouagadougou. Partout. Surtout au bord des ruelles conduisant aux quartiers des non-lotis.

Ainsi, le soir, en rentrant chez eux à la tombée de la nuit et incertains de ce qui va se passer à la maison, de nombreux citoyens succombent à la tentation d’embrasser la mort. Un adage dit : « Pour déjeuner avec le diable, il faut avoir une longue cuillère… » A Ouagadougou, il faut moins qu’une cuillère. Trente secondes et 50 francs CFA suffisent. Et nous voilà à table avec « him », dans la pénombre d’un kiosque en banco ou en tôle.

Il y a beaucoup de Burkinabè vivant de ces industries. Ce faisant, ils vivent de la mort des autres. Comme le dirait le proverbe, « ils cachent des déchets pour mieux savourer la farine de néré délayée ». Puissent-ils ne pas l’oublier !

Ces liqueurs ou ces venins font, à long terme, plus de mal que de bien. Les gains individuels réunis ne compensent guère les pertes collectives cumulées. Nos travailleurs les plus robustes et notre jeunesse, ceux-là mêmes qui ont fait la renommée du Burkina Faso, « terre des hommes », réservoir de main d’œuvre et de combattants intrépides, seront des épaves dans quelques années.

C’est autour de ces bouteilles insensées que se prennent les pires décisions, nocives pour toute la société. Et que dire des morts brutales qui sont de plus en plus fréquentes et nombreuses ? Des maladies sans nom ? Des états de vieillesse prématurée ? Des enfants de la rue devenus des ombres faméliques tellement ils ont séché en se gavant de tord-boyaux au nez et à la barbe de leurs aînés ?

Ces industries de la mort constituent, un chancre purulent pour notre société, ses valeurs cardinales et ses rêves les plus légitimes. Déjà, les cercles d’amis qui s’y adonnent régulièrement sont des cercles où personne ne peut donner un conseil recommandable à l’autre. Le verre à la main, l’injure à la bouche, ils se contentent d’organiser leur évasion de la prison d’airain dont s’encombre notre commune condition, en forçant les portes de l’oubli. Une manière de traire le bouc !

Et il continuera de naître, dans nos maternités, des monstres. Non dans le sens acceptable de déviants, mais bien dans le sens d’individus pervers et redoutables à voir : des êtres qui ont physiquement et mentalement rompu d’avec leur racine généalogique. Ce que nous faisons et laissons faire ne concordent pas toujours avec l’expression de nos engagements dans le sens du développement. Ces industries de la mort et de l’illusion entravent la réalisation de notre projet de société.

Si l’on demandait aux Burkinabè de lever une armée pour lutter contre un envahisseur physique, pas un seul homme, comme de par le passé, ne se déroberait à ce noble engagement. Mais l’ennemi qui nous tue aujourd’hui, en nous vidant de nos entrailles, de nos valeurs et de notre avenir est à côté et au-dedans de nous. Avons-nous encore besoin d’attendre pour affûter nos armes ? Chacun de nous est interpellé.

Par Ibrahiman SAKANDE (sakandeibrahiman@yahoo.fr)

Sidwaya

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Vos commentaires

  • Le 25 janvier 2010 à 03:29 En réponse à : Éditorial de Sidwaya : Les alcools frelatés, ces ennemis intérieurs

    Sakandé menace qui de sa main
     ?

    • Le 25 janvier 2010 à 12:23 En réponse à : Éditorial de Sidwaya : Les alcools frelatés, ces ennemis intérieurs

      Les alcools frelatés : ces ennemis intérieurs
      25 janvier 2010, par Moreballa

      Félicitations Mr SAKANDE, vous venez de toucher à une véritable question de développement et même de survie pour la nation toute entière. Si le phénomène est moins perceptible à Ouagadougou, en campagne nous assistons à une véritable endémie des problèmes générés par les frelatés.

  • Le 25 janvier 2010 à 13:04, par la vraité En réponse à : Éditorial de Sidwaya : Les alcools frelatés, ces ennemis intérieurs

    j’espere que la ligue des consommateurs vs soutiendra. ce n’est pas à Mr Sakandé de taper sur la table. Honte à la ligue des consommateurs.

    • Le 25 janvier 2010 à 14:02 En réponse à : Éditorial de Sidwaya : Les alcools frelatés, ces ennemis intérieurs

      C’est trop facile que de voir les choses sous cet angle !

      Ce qui me choque dans ce pays c’est que les gens ne savent plus réfléchir !

      Pourquoi ces alcools frelatés marchent bien ici au Faso ?

      Une jeunesse désespérée !!! Ne sachant plus que faire !!! Des hommes politiques en connivence avec des opérateurs économiques véreux qui se désaltèrent dans la marre de larme d’une population de plus en plus appauvrie !

      Voila les tristes réalités du Faso !

      Justement en écoutant un jour un reportage sur RFI sur la pauvreté et la Misère avec un Grand « M » ici au FASO, je n’ai pas manqué de sourire quant à la conclusion du journaliste quand il dit que « Malgré tout cela, les Burkinabè savent s’offrir un plaisir : celui de boire une bière le soir avant de rentrer !!! »

      Justement quand on a rien pour :
      -  payer un loyer ;
      -  s’habiller ou construire une maison ;
      -  se marier et avoir des enfants ;
      -  etc.

      alors le peu qu’on peut avoir on tombe dans l’alcool, histoire de fuir momentanément l’enfer terrestre du Faso !

      Malheureux à ces Gouvernants véreux qui spolient le peuple !
      L’histoire vous tient responsables de la descente au enfer des dignes fils du Faso !
      A bas la mal Gouvernance et tous ceux qui gravitent autour !

      Paix et espérance pour le FASO !

  • Le 28 janvier 2010 à 18:41, par GABY En réponse à : Éditorial de Sidwaya : Les alcools frelatés, ces ennemis intérieurs

    Je venais juste de rédiger un article sur la part faite aux noirs dans les publicités pour l’alcool quand je suis tombé sur l’article de monsieur SAKANDE. L’analyse est pertinente et c’est regrettable ces apologies qui sont faites pour l’alcool. Déjà sans publicités la consommation des alcools était déjà à un stade inquiétant.Où irons nous quand les images qui présentent l’alcool comme un bienfait pour l’homme s’encrera dans les mémoires des couches les plus vulnérables de notre société ?
    Il nous faut réagir

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