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La "Passion du Christ" de Mel Gibson : Une simple histoire de terre et de sang !

Publié le vendredi 13 août 2004 à 06h46min

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La Passion du Christ a quitté les salles de cinéma pour s’installer dans les rues et dans les médias.

Commentaires et supputations alimentent le film de Mel Gibson dont l’audience est en perpétuelle hausse au "Pays des hommes intègres". Sid-Lamine Salouka, un de nos confrères de Bobo, dans l’écrit qui suit, donne une lecture critique de La passion du Christ. "Une simple histoire de terre et de sang !", conclut-il.

Depuis la reprise du patrimoine de l’ex-Sonacib, la nouvelle société Arpa Distribution réussit certaines prouesses. Chose qui a permis par exemple, de mettre à la disposition du public de Bobo-Dioulasso le dernier film de l’Australien Mel Gibson, La Passion du Christ. Sorti aux Etats-Unis et en Europe dans les premières semaines de 2004, ce film a été longtemps attendu dans la capitale économique, surtout après sa mise à l’affiche il y a plus de deux mois à Ouagadougou. Aussi, projeté au ciné Sanyon le lundi 27 juillet, La Passion du Christ a bénéficié d’une audience appréciable, malgré sa programmation en début de semaine et une pluie en fin d’après-midi.

L’occasion fut donc enfin donnée aux cinéphiles de cette ville de se faire une idée de la superproduction qui, ailleurs, fut l’objet de controverses relayées par la presse écrite et audiovisuelle du monde entier. Avec La Passion du Christ, Mel Gibson revisite, après bien des réalisateurs, la narration des dernières heures vécues par Jésus de Nazareth. Prophète d’une religion pacifiste dans une Galilée occupée par l’armée de Jules César et attendant l’avènement d’un « messie » guerrier, le « Fils de Dieu » finit par être mis à mort à la fleur de l’âge. Il s’agit d’un épisode essentiel dans l’appréhension des trois religions monothéistes que sont le judaïsme, le christianisme et l’islam.

Le débat soulevé par Mel Gibson laisse donc rarement indifférent, tant sont pressantes la dimension mondiale de ces religions et leurs implications dans les enjeux géopolitiques actuels. La Passion du Christ se présente avant tout comme un mélange brillamment réussi d’ingrédients qui ont plus produit les plus grandes fresques dont Hollywood détient le secret de fabrication : décors et costumes magnifiques, scénario et direction d’acteurs ramenant l’humanité entière à un destin singulier et, surtout, grandes ressources technologiques et financières permettant des effets spéciaux efficaces mis, avec bonheur, au service d’une vision du monde que certains jugent contestable.

Du décor, on peut retenir que Mel Gibson utilise admirablement cette terre du Moyen Orient où le sable et la caillasse ont façonné des hommes rudes. Qu’elles gisent au sol ou qu’elles soient relevées par la main de l’homme pour en faire des temples, des casernes ou de vulgaires murs, les pierres de cette terre sainte suent toujours le rejet, la stigmatisation et la souffrance...

La terre est, comme les hommes, actrice des supplices endurés par Marie-Madeleine et par Jésus, dont les trajectoires sont d’ailleurs constamment mises en parallèle par le montage du film. De la même manière, on est conduit au rapprochement avec les conflits contemporains dans cette partie du monde, avec leurs cohortes de violences qui nous assaillent quotidiennement : une terre qu’imbibent tous les sangs , profanes et sacrés, mais qui demeure avide et assoiffée… Et de sang, ce film en regorge. Mel Gibson, avec la complicité d’un maquilleur d’exception, se complait à traîner le spectateur au long des tortures infligées au Christ. Une grande partie du film est, en effet, consacrée aux sévices corporels que le héros subit.

Incarné par James Caviziel, un acteur jusque-là inconnu mais promis à un bel avenir, le corps du Christ se transforme ainsi en une toile sanguinolente et se désagrège sous les coups de soudards particulièrement abrutis. Et son sang divin gicle jusque sous nos sièges quand les paumes du pauvre crucifié sont traversées en gros plan par des clous meurtriers. Choquant. On se croirait dans un documentaire macabre sur une guerre tribale de Tchétchénie, de Bosnie ou de Sierra Leone !

Si l’objet d’un tel exhibitionnisme est de susciter une identification avec le supplicié et de faire percevoir que Dieu est blessé à travers chaque homme houspillé, torturé ou tué, on peut redouter qu’un traitement aussi impudique de la douleur ne tombe dans le registre de la violence ordinaire consacrée par la plupart des films d’action et par le journal télévisé de vingt heures. Car si le Christ de Gibson paraît bien humain, atteint-on pour autant dans son film à la compassion si chère à la chrétienté ? A moins d’être convaincu par avance, peut-on voir dans cette passion hollywoodienne le rachat de toutes les souffrances humaines, si répandues de nos jours ?

Le film de Gibson nous a laissé sceptique à ce niveau. Il y a pourtant la tendresse des retours en arrière destinés à montrer l’abnégation de Marie, la mère qui a porté dans son sein et élevé le fils de Dieu mais qui doit se résoudre à le voir mourir conspué par une foule hostile. Emouvant certes, mais sans plus pour ceux qui n’ont pas une culture biblique étendue - et c’est notre cas ! A ce titre, nous lui préférons d’autres versions plus « soft », celle que la télévision nationale propage à l’orée de Noël, par exemple. En fait, si ce film se veut une cathartique destiné à conférer un nouveau fond d’humanisme à notre époque aussi violente que cynique, il s’agit là d’un acte parfaitement manqué.

Par le choix de certains paramètres curieux (comme l’exhumation de la langue quasiment morte qu’est l’araméen) pour faire revivre cet épisode fondateur de la civilisation judéo-chrétienne, Mel Gibson n’est pas loin d’embrayer les opinions extrémistes et, paradoxalement, la fumeuse théorie du « choc des civilisations ». Peut-on, en effet, parler de ce film sans effleurer la polémique, formidablement exégétique, de la responsabilité des Juifs ou des Romains dans cet assassinat illustre ?

Fort de notre incurie à ce propos, mais nous fondant sur un sentiment de négro-africain colonisé, nous ne disons qu’une chose : les conflits entre Jésus Christ et ses contempteurs peuvent relever de réponses plus religieuses que politiques opérées par des élites d’un peuple asservi ; face à Rome, et Jésus et les gardiens du temple constituaient des dangers nationalistes à une échéance plus ou moins longue. En ce sens, La Passion du Christ par Mel Gibson peut avoir une autre lecture et révéler quelque chose d’étrangement africain. Ce point de vue n’est certainement pas celui d’un adepte du mouvement raélien qui distribuait des prospectus à la sortie de la projection.

Sid-Lamine Salouka (sidsalouka@yahoo.fr)

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