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La France, l’Afrique et l’armée française. Une histoire occultée mais pas oubliée

Publié le mercredi 11 août 2004 à 08h59min

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A grand renfort de publicité et de chefs d’Etat africains, Paris va célébrer le soixantième anniversaire du débarquement de Provence (15 août 1944), beaucoup moins médiatisé que son homologue normand mais qui a l’insigne avantage d’avoir eu une composante française significative. Cette composante française étant essentiellement africaine. La France s’en souvient. Tardivement. Mais il est vrai que l’armée d’Afrique, pendant de longues années, a été volontairement oubliée.

C’était le temps des luttes pour l’indépendance, en Indochine et en Afrique du Nord, puis le temps des indépendances octroyées en Afrique noire. Il n’était pas nécessaire de ramener à la surface de l’Histoire des moments difficiles pour les uns et pour les autres. La France n’aimait pas qu’on lui rappelle qu’elle avait été libérée, essentiellement, hormis les troupes anglo-américaines, par des "Arabes" et des "Noirs". Les anciens combattants africains n’ont pas toujours apprécié, au temps des indépendances, qu’on rappelle qu’ils avaient été les auxiliaires des colons français dans la lutte contre d’autres peuples qui combattaient pour leur liberté.

C’est pourquoi, sans doute, le plus remarquable des ouvrages consacrés aux relations entre l’armée française et l’Afrique a été rédigé par un... Anglais. France. Soldiers and Africa a été publié en 1988 et, dans sa traduction française, en 1994 sous le titre : Histoire de l’armée
française en Afrique 1830-1962 (éditions Albin Michel). L’auteur, Anthony Clayton, a fait ses études supérieures en Angleterre (Université St Andrews) et en France, pays qu’il considère comme "une seconde patrie". Spécialiste de l’histoire militaire et coloniale, ayant servi pendant dix ans dans l’administration coloniale au Kenya, il dirigeait, lorsqu’il a rédigé cet ouvrage, le cours d’histoire moderne à l’Académie militaire royale de Sandhurst.

Il y a trois moments majeurs dans l’histoire de l’armée française en Afrique. C’est, tout d’abord, le temps des conquêtes en Afrique du Nord puis l’expansion coloniale sur l’ensemble du continent. C’est, ensuite, la participation des troupes levées en Afrique aux deux conflits mondiaux. C’est, enfin, avec le temps des guerres d’indépendance et de la décolonisation, la participation des troupes africaines aux combats de l’empire français. De cette histoire longue et complexe, souvent douloureuse, il faut retenir que c’est la puissance militaire française qui a constitué près de la moitié des Etats du continent africain et leur a donné leur physionomie d’aujourd’hui. "La contribution des militaires français à l’établissement de la carte politique de l’Afrique contemporaine ne sera peut-être jamais suffisamment soulignée", écrit Clayton qui souligne que cet apport de l’armée est aussi administratif, économique, social.

Les médecins militaires, les ingénieurs du génie, etc... ont laissé une trace durable. Cette militarisation de la société coloniale a son revers. Elle fera de l’armée une voie royale d’émancipation pour un grand nombre d’Africains qui, du même coup, s’intégrant dans la hiérarchie de l’appareil colonial vont délaisser les revendications d’émancipation politique. La "fraternité" militaire laisse penser que la société coloniale peut être égalitaire quand elle porte l’uniforme. C’est sans doute pourquoi De Gaulle, qui était général, avait voulu, instituer une "communauté".

Ce n’est pas un hasard si, dans son numéro de Noël 1960 - année des indépendances de l’A OF, de l’AEF et de Madagascar -, Tropiques, la revue des troupes d’outre-mer, évoquait "l’oeuvre accomplie en commun par tous ceux qui en ont été les artisans.. Français, Africains, Malgaches, unis dans le même effort [...] En quelques lieux qu’ils soient ils éprouveront alors ce sentiment très particulier de s y trouver aussi à l’aise que dans leur propre pays.. de se sentir comme chez eux. Sans nul doute ils comprendront mieux alors le sens de ce mot Communauté".

Ce n’est pas un hasard, non plus, si dans la revue Frères d’armes, il y a tout juste dix ans, à l’occasion du 50ème anniversaire de la Libération, c’est Michel Roussin, alors ministre de la Coopération, qui appelait au "devoir de mémoire", soulignant : "Il est juste que nous répondions présent à notre tour, partout en Afrique, pour apporter notre soutien au développement de ce continent et parce que celui-ci ne va pas sans celle-là, à la stabilité des institutions démocratiques sans laquelle les hommes ne peuvent s’épanouir". Un appel au "devoir de mémoire" qu’il vient de renouveler, voici quelques semaines, dans JA/L ’Intelligent (nO 2267 20-26 juin 2004).

De 1939 à 1945, 158.000 combattants sont venus du continent africain et 20.000 de Madagascar (leur nombre ne doit pas faire oublier ceux qui viennent des autres colonies et possessions françaises d’outre-mer). Les Tirailleurs sénégalais vont représenter les deux tiers de la 9ème Division d’infanterie coloniale qui va débarquer en Provence. Mais les Africains avaient déjà payé un lourd tribut lors des combats de la campagne de France en 1939-1940. D’Airaines, dans la Somme, à Villy-la-Ferté, dans les Ardennes, il y a quelques dizaines de monuments qui rappellent ainsi le sacrifice de tirailleurs sénégalais, de soldats malgaches, d’officiers et de résistants africains tués lors des combats ou fusillés. Sur les 1.061 Compagnons de la Libération, on compte 15 soldats, sous-officiers, officiers et civils africains. Quelques uns d’entre eux, comme les dahoméens Albert Idohon et Agoussi Wabi, tous deux commerçants à Porto-Novo, ou encore le voltaïque Sidiki Boubakari, le guinéen Adolphe Gaëtan seront assassinés par les autorités françaises de Vichy pour faits de résistance, l’Afrique de l’Ouest demeurant soumise au régime du maréchal Pétain.

Le débarquement de Provence n’a pas passionné les historiens. Il faudra attendre 1962 pour que soit publié, par Robert Laffont sous la signature de Jacques Robichon, le premier ouvrage en français consacré à l’opération Anvil. Dans sa monumentale Histoire de la Seconde guerre mondiale, l’historien et stratège anglais Sir Basil H. Liddell Hart n’en dit rien. Mais il est vrai que Liddell Hart, dans aucun de ses ouvrages sur la deuxième guerre mondiale, n’évoque aucun Français (sauf ceux qui ont perdu la guerre en 1940 !). Il est vrai aussi que Churchill ne voulait pas entendre parler du débarquement de Provence, ses ambitions étant de reconquérir les Balkans depuis l’Italie pour empêcher l’expansion soviétique en Europe de l’Est. Il ne faut donc pas s’étonner que ce débarquement, bien souvent,... étonne ! Le mot évoque immanquablement la Normandie, le Jour le Plus Long, les Gl’s, etc... Pas la Provence, de Lattre, les goumiers de Guillaume et les Tirailleurs sénégalais. La libération de Paris, imminente quand y sera connu le débarquement de Provence, va occulter l’événement qui se déroule sur la côte méditerranéenne.

Cette opération a été, cependant, essentielle. Elle a permis de fusionner les armées françaises et les Forces françaises libres, d’intégrer au fur et à mesure de sa remontée vers le Nord et l’Allemagne les éléments des maquis et de la Résistance. Elle a, en conquérant Toulon et Marseille, relancé les échanges entre la France et l’Afrique et redonné l’espoir aux populations des colonies françaises de l’AOF et de l’AEF. De cette fusion va naître une double impulsion : la relance de la colonisation française en Afrique, et tout particulièrement en Afrique noire, et, parallèlement, l’irruption du mouvement indépendantiste africain, le général De Gaulle ayant quelque peu tracé la voie en 1944, à Brazzaville. Il est bon de s’en souvenir 60 ans plus tard. Et de rappeler qu’en 2007, il y aura 150 ans que les Tirailleurs sénégalais auront été créés. Par Faidherbe. Alors gouverneur du Sénégal !

Jean-Pierre Béjot
La Dépêche Diplomatique

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