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Pr. Mahamadé SAVADOGO, Président du Mouvement des Intellectuels : "Nous assistons au retour d’un esprit retrograde entretenu par une caste de notables prêts à tout"

Publié le jeudi 17 décembre 2009 à 00h37min

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Pr. Mahamadé SAVADOGO

Quels sont les acquis les plus importants, à votre avis, des luttes populaires à la suite de l’assassinat du journaliste Norbert Zongo ?

Il convient en effet de reconnaître que le mouvement populaire conduit par le Collectif, en réaction contre l’assassinat de Norbert Zongo et ses compagnons, a suscité des bouleversements importants dans notre société.
Sans prétendre être exhaustif dans l’énumération, je pense qu’il est possible de dégager au moins trois niveaux dans les transformations suscitées.

Sur un plan institutionnel, on peut noter l’apparition de nouvelles structures de gestion même de la situation de crise : d’abord la formation de la Commission d’Enquête Indépendante et ensuite l’appel au Collège de Sages. La CEI a vraiment montré son indépendance et elle a abouti à la désignation de six suspects sérieux.

Le Collège de Sages a proposé des réformes politiques qui ont entraîné une arrivée significative de l’opposition à l’Assemblée nationale et un retour à la limitation du mandat présidentiel dans la constitution.
En dehors de ces dispositifs institutionnels, l’action du Collectif a contribué à mettre en avant de nouveaux cadres de lutte et de nouveaux acteurs. Sur ce point, il faut commencer par citer le Collectif d’Organisations Démocratiques de Masses et de Partis Politiques (C.O.D.M.P.P.) lui-même qui est une rencontre originale d’organisations de la société civile et de partis politiques autour d’une plate forme, ensuite on pourrait ajouter un mouvement comme celui des intellectuels du Manifeste pour la liberté et aussi l’association Kebayina des femmes ou plus récemment les Femmes en noir, pour ne retenir que ces exemples.

Enfin, nous pouvons retenir que l’action du Collectif a contribué à instaurer un état d’esprit, un esprit de lutte, un refus de l’injustice qui s’est propagé jusque dans les moindres hameaux du Burkina. Les récentes destitutions spontanées de maires décriés en témoignent. Différentes catégories sociales, dont certaines étaient habituellement soumises, se sont senties encouragées à exprimer leurs revendications et, d’une manière globale, il y a eu une libération collective de la parole critique qui s’est précisément traduite par l’apparition de nouveaux titres, comme le vôtre, au niveau des médias.

Que reste-il de ces acquis aujourd’hui et quelle analyse peut-on faire à la lumière de l’évolution de la situation nationale ?

La plupart des mesures positives ont été tour à tour remises en cause après un certain temps. Par exemple, les suspects sérieux désignés par la CEI, qui n’était pas elle-même une autorité judiciaire, n’ont jamais été jugés pour leur rôle dans l’assassinat de Norbert Zongo et ses compagnons. Pire, le traitement judiciaire du dossier a abouti à une impasse, à un non lieu en faveur du principal accusé.
Les recommandations du Collège des Sages, qui ne disposait d’aucun moyen de s’assurer de leur exécution, sont désormais désavouées, ouvertement piétinées. Il en est ainsi de la limitation du nombre de mandats présidentiels qui est l’objet d’une campagne d’attaques du parti au pouvoir et ses alliés en vue de parvenir à son annulation.
L’opposition institutionnelle, qui s’est enrichie de nouveaux animateurs encouragés par l’élan du Collectif, après avoir pu accéder à l’Assemblée d’une manière significative, en a été chassée et réduite à une portion congrue par la manipulation du code électoral soutenue par la corruption électorale.
En somme, ce qui survit essentiellement des changements introduits par la lutte du Collectif, ce sont les formes de lutte, les nouvelles organisations et l’esprit de lutte qui se manifeste encore et, surtout, reste prompt à se propager.

Quelles perspectives entrevoyez-vous pour le renforcement de la démocratie et de la paix au Faso ?

Le processus de démocratisation au Burkina est déjà bien fragile. Nous avons une constitution malmenée, une liberté de parole bien relative, des institutions figées par excès de soumission, des consultations électorales qui ne suscitent pas l’enthousiasme.
Ce processus fragile, qui pourrait être consolidé par exemple par l’appel aux candidatures indépendantes, est désormais ouvertement menacé de régression.
Les velléités de révision de la constitution, les attaques contre la limitation des mandats, traduisent le retour d’un esprit profondément rétrograde, entretenu par une caste de notables prêts à tout, même à l’instauration d’une monarchie, pour protéger leurs privilèges.
La partie n’est pourtant pas encore jouée. Une période d’incertitudes s’annonce encore dans l’histoire de notre pays mais l’horizon est loin d’être bouché.
L’esprit de lutte est encore bien là et les leçons tirées des nouvelles formes d’organisation sont susceptibles d’inspirer d’autres combats.

Par Germain B. Nama

L’Événement

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