LeFaso.net, l'actualité Burkinabé sur le net
Proverbe du Jour : “Vous n’empêcherez pas les oiseaux de malheur de survoler votre têtе, mаis vοus рοuvеz lеs еmрêсhеz dе niсhеr dаns vοs сhеvеux.” Proverbe chinois

Souleymane Soulama, maire de Banfora : “Nous sommes victimes de la mondialisation”

Publié le jeudi 17 décembre 2009 à 00h37min

PARTAGER :                          

Souleymane Soulama

La ville de Banfora, située à environ 450 km à l’Ouest de Ouagadougou, commémore du 18 au 20 décembre prochain, son cinquantenaire. Une occasion pour le maire Souleymane Soulama, qui préside aux destinées de la commune depuis octobre 2006, de s’appesantir dans cette interview, sur des aspects liés à la relance économique de la ville, frappée par la crise et sur des questions ayant trait au processus de décentralisation au Burkina Faso.

Sidwaya (S). : Nos lecteurs voudraient connaître un pan de l’histoire de votre commune

Souleymane Soulama (S. S.) : Banfora est une ville cosmopolite aujourd’hui. Mais au départ, elle a été fondée dans les années 1700. Les premiers habitants furent les Karaboro, les Gouin, les Turka. Elle a été érigée d’abord, en poste administratif en 1904, ensuite, en cercle en 1951 et enfin, en 1959, en commune. Ce qui explique cette commémoration du cinquantenaire. Depuis sa création en commune, il y a eu quatre maires et onze présidents de délégation spéciale qui se sont succédés.

De 1959 à 1966, le premier maire fut Bégnon Koné qui était en même temps, le président de l’Assemblée nationale de Haute-Volta, aujourd’hui Burkina Faso. Et de 1966 à 1995, il y a eu une succession de présidents de délégation spéciale. Yoffu Bamouni, Pierre Dabiré, Idrissa Sawadogo, Paul Henri, Théophile K. Dembélé, Sié Jean de la Croix Pooda, Davaba Tiaho, Salif Ouédraogo, Moussa Sidibé, Nitor Jean Clément Hien. Lorsque nous avons renoué avec la communalisation en 1995, feu Mamadou Koné fut élu premier maire de l’ère démocratique.

Ensuite, il y a eu Yacouba Sagnon. Et Mamadou Koné est revenu suite aux élections municipales de 2006, mais il est décédé quelques mois plus tard. Ce qui a prévalu à mon élection en octobre 2006, jusqu’à nos jours.

S. : Quelle est la physionomie du conseil municipal que vous dirigez ?

S. S. : Nous sommes un conseil municipal de 72 membres, issus des 15 secteurs de la commune et des 22 villages rattachés. Comme toute commune, il y a le maire, ses deux adjoints et trois commissions permanentes. Le conseil prend des délibérations qui sont exécutées.

Il n’y a que deux partis dans le conseil municipal de Banfora : le Rassemblement des démocrates du Burkina (RDB) et le Congrès pour la démocratie et le progrès (CDP). Après les élections de 2006, le RDB, parti de la mouvance présidentielle, est sorti majoritaire. Feu le maire Mamadou Koné et moi-même sommes issus de ce parti.

S. : D’où vient le sobriquet “la cité du paysan noir” collé à Banfora ?

S. S. : Lorsque le colon est arrivé pour la première fois à Banfora, il a constaté chaque matin, que les habitants se déplaçaient avec leurs dabas à la main. Et lorsqu’il effectuait des tournées dans les plaines, il se rendait compte que les gens travaillaient permanament la terre. Et le colon s’est dit : “ces gens ne font que travailler la terre”. Donc, cette appellation de paysan noir est partie du colon.

S. : La cité du paysan noir était dans un passé récent, connue comme une cité industrielle avec la SOSUCO, les GMB, la SOPAL. Aujourd’hui, ces unités de fabrication et de production de sucre, de farine et d’alcool sombrent dans une crise profonde. Que s’est-il passé ?

S. S. : Banfora a été effectivement pendant longtemps, considérée comme un foyer industriel. Et même jusqu’à une date récente, la SOSUCO était le premier employeur après l’Etat. Il faut dire que nous avons été victimes du phénomène de la mondialisation.

Parce que c’est la libre concurrence. Lorsque les produits ne sont pas compétitifs, il va de soi que les entreprises connaissent des difficultés. Et c’est précisément le cas avec les Grands Moulins du Burkina (GMB).

Même si on peut aussi accuser la gestion du repreneur que l’Etat a fini par renvoyer. Actuellement, la SOSUCO a aussi des difficultés. Lorsque nous discutons avec ceux qui travaillent là-bas, il ressort que ce n’est plus comme avant. Et le nombre d’employés va chaque année, décroissant. Il n’y a pas non plus de recrutements. Quant on discute aussi avec les premiers responsables, il parlent de concurrence déloyale, de la part de certains opérateurs économiques.

Cela nécessite que les premières autorités du pays se penchent sur cette situation. C’est un véritable problème, qui joue sur la ville. Parce que ces entreprises payaient des taxes au niveau de la commune. Mais avec leur fermeture ou les difficultés qu’elles rencontrent, cela n’est plus possible. Et cela joue négativement sur notre budget communal. Ensuite, les hommes et les femmes qui travaillaient dans ces sociétés n’ont plus de travail.

Et par conséquent, n’ont plus de salaire. Alors que lorsqu’on est salarié, cela constitue une plus-value et fait tourner l’économie. Maintenant, ce n’est plus vécu comme cela et cette situation se ressent à tous les niveaux.

Non seulement au niveau de la commune, avec des arriérés dans le paiement de la patente, mais aussi au sein des familles, parce qu’il n’y a pas une famille à Banfora, qui n’est pas directement ou indirectement liée à la SOSUCO. Et même dans les zones environnantes. Puisque pendant ses campagnes, la SOSUCO enregistre un grand nombre de main d’œuvre, provenant des localités voisines.

Au regard de ce tableau peu reluisant, quelles sont les actions entreprises par le conseil municipal, pour la relance économique de la ville ?

S.S. : Au niveau du conseil municipal, nous essayons de mettre des stratégies en place, pour faciliter certaines actions au niveau des opérateurs économiques. C’est vrai que nous ne pouvons pas créer une société. Mais, nous facilitons tout ce qui concourt à la création d’entreprises, de même, nous encourageons tous ceux qui veulent s’installer à leur propre compte, pour créer une société en facilitant leurs tâches sur bien des aspects.

Cela peut-être l’acquisition de terrain en zone industrielle, ou dans le domaine public, etc. En tout cas, nous faisons tout pour que ceux qui veulent investir soient à l’aise. D’ailleurs, nous lançons un appel aux opérateurs économiques. Ceux qui veulent investir surtout dans le domaine de la transformation agro-pastorale, peuvent venir. Car, il y a beaucoup de potentialités.

S. : Le fait d’être une ville-frontière ne constitue-t-il pas un atout pour la commune , au plan économique ?

S.S. : C’est un véritable atout effectivement. Parce que Banfora est située dans l’espace escabeau. L’espace escabeau, c’est Sikasso (Mali), Korhogo (Côte d’Ivoire), Bobo-Dioulasso (Burkina). Donc, Banfora est une zone de transit. S’il n’y avait pas eu des problèmes en Côte d’Ivoire, de même que la fermeture des GMB, nous n’allions pas ressentir la crise de cette façon.

Mais le fait qu’il y ait des difficultés juste à côté de nous, a contribué à ralentir les activités. Maintenant, les choses commencent à reprendre en Côte d’Ivoire et nous souhaitons vivement qu’ils puissent renouer avec les élections au premier trimestre de 2010. Et cela pourrait ramener les choses à la normale. Avant tout, ce qui était trafic passait par là.

Mais avec les difficultés, les camions ont fortement diminué ou ont changé d’axes. Mais nous pensons qu’en 2010, si tout marche bien dans les trois pays (Mali, Côte d’Ivoire, Burkina Faso) les échanges, que favorise Banfora, vont reprendre.

S. : Un autre atout, c’est la coopération décentralisée. Quel est la place et l’apport de cette forme de coopération dans l’essor de Banfora ?

S.S. : Sans cette coopération, beaucoup de réalisations n’allaient pas voir le jour. Nous faisons partie des villes qui ont très tôt noué des relations avec d’autres villes d’Europe. La première avec laquelle nous avons tissé des liens de jumelage, c’est Chauvigny, dans la Vienne en France, depuis 1974. Ensuite, ces relations se sont étendues à l’Italie avec la ville de Trino en 1998, puis avec les villes françaises de Bonnes et Mauprévoir. En Allemagne, nous avons le partenariat avec la ville de Geiseihein et au Japon, nous sommes avec la ville de Konan.

Et je pense que nous sommes la seule ville au Burkina à avoir ce type de relation avec le Japon. Nous avons aussi des partenariats avec la ville de Rennes en France, à travers une association et avec la ville d’Argenteuil, à travers une autre association, “les Amis de la Comoé”. Il y a aussi la coopération Sud-Sud. Nous sommes jumelée avec Sikasso au Mali.

Au niveau du Burkina, c’est avec les villes de Ouahigouya et de Pouytenga, que nous sommes en jumelage. Nous avons également de nombreux partenaires financiers qui nous accompagnent dans le processus de décentralisation : le FICOD, le Fonds permanent du développement des collectivités territoriales, la Banque mondiale, l’Agence française de développement, la coopération française...

S. : Le Burkina Faso est engagé depuis trois ans dans la communalisation intégrale. En tant qu’élu local, quelle lecture faites vous de cette phase du processus de décentralisation ?

S.S. : C’est un processus qui est très louable. Mais, il faut que nous fassions en sorte qu’il se déroule de façon franche. Il ne faut pas que nous soyons dans un processus et ne pas être à mesure d’aller jusqu’au bout. Ce processus est en train d’être ancré dans l’esprit des populations et c’est déjà très bien qu’on ait pu faire une communalisation intégrale. Et quand on le fait, il faut aller jusqu’au bout.

Il ne faut pas le faire en mettant des doublons. Pour dire que lorsque dans la communalisation intégrale, les limites de la commune sont en même temps, les limites du département, je me demande à quoi sert un préfet. Mais nous sommes en train de débattre actuellement de ces questions.

Parce que sous d’autres cieux, cela pose des problèmes entre maires et préfets. Nous, maires des communes urbaines, nous ne sentons pas trop ce problème, mais nos collègues des communes rurales ont énormément des difficultés.

Si je peux m’exprimer de façon crue, on ne voit pas trop l’utilité actuelle de ces préfets. Tout ce qu’ils faisaient comme travail, c’est ce que les maires font. Dans une ville comme Ouagadougou, il n’y a pas de préfet. Le tribunal administratif est assuré par les maires d’arrondissement. Pourquoi les maires des communes rurales ne pourraient pas faire la même chose. C’est vrai qu’à un moment donné, les préfets ont aidé, accompagné les maires surtout au début.

Mais, je milite pour qu’on renforce les hauts-commissaires pour assurer la tutelle au niveau des communes. Mais, c’est mon jugement personnel. Sinon je trouve que dans l’ensemble, le processus de décentralisation est bien parti. Et il faut qu’on puisse le maintenir et qu’il ne tombe pas dans la déchéance, par notre propre faute.

S. : En plus de cette question de doublon que vous venez d’évoquer, il y a des secousses récurrentes au sein de certains conseils municipaux qui finissent par emporter des maires. Comment expliquez-vous cela et quelles seraient les solutions à cette situation ?

S.S. : Ces crises sont du ressort du politique et résultent du niveau de compréhension des élus. A la relecture des différentes lois du code général des collectivités territoriales, on pourra résoudre ce problème. C’est souvent lié tout simplement à des problèmes de personnes. L’on ne peut résoudre cette question que par des textes.

On peut même souvent être du même parti, mais parce que telle personne et une autre ne s’entendent pas, on va nuitamment monter des conseillers pour faire ceci ou cela. Cela n’est pas à l’avantage des populations. Parce que les bailleurs iront là où il y a la stabilité, là où il n’y a pas de problèmes. Vous savez que lorsqu’on tombe dans la délégation spéciale, il n’y a aucun investissement.

La délégation spéciale ne peut que gérer le fonctionnement. Et cela ne profite à personne. Au contraire, ça fait reculer. Parce qu’il n’y a pas de conseil municipal. Tout est arrêté. Et c’est aux populations qui vous ont élu, que vous faites du mal. Pas aux hommes politiques. Mais c’est aussi l’expérience de la décentralisation. Dans l’exécution, du code on constate qu’il y a des failles, mais on les corrigera au fur et à mesure.

Les pays européens sont à plus de cent ans dans ce processus, mais il y a toujours ces choses à revoir. Donc, je pense que c’est un processus normal. On apprend. Il faudra peut être passer par là pour pouvoir affiner et que tout soit huilé. Pour que le processus soit sur les rails, de façon définitive.

S. : Le conseil municipal de Banfora est-il à l’abri de secousses ?

S.S. : Je ne raisonne pas en termes d’abri. Il faut juger les gens sur ce qu’ils posent comme actes sur le terrain. Si les populations jugent négativement un maire, il faut que celui-ci ait le courage de déposer sa démission.

Et moi, je suis de cette catégorie de maires. Le jour où les populations vont trouver que les actes que je pose ne les intéressent pas, je vais être le premier à déposer ma démission. Si ceux qui t’ont élu disent que ce que tu fais ne les arrange pas, il faut démissionner. Mais, je dis bien les populations, mais pas quelques individus souvent sans arguments convaincants.

Pour moi, il ne faut pas être accroché à ce genre de chose. Si vous êtes là pour un objectif, il faut tout faire pour l’atteindre. Maintenant si des personnes, par des jeux politiques, veulent casser ce rythme, ils répondront devant les populations. Ce sont les populations qui décident et pas des individus. C’est mon point de vue personnel.

S. : Banfora, ville ayant perdu son lustre d’antan de foyer industriel, et marquée par la crise au plan économique, s’apprête à célébrer son cinquantenaire. Dans un tel contexte, sous quel signe placez-vous cette commémoration ?

S.S. : Nous plaçons le cinquantenaire sous le signe de la cohésion sociale pour relancer le développement socio-économique de la ville de Banfora et son hinterland. Parce que Banfora est le chef-lieu de la région des Cascades, le chef-lieu de la province de la Comoé et le chef-lieu du département de Banfora. Si Banfora s’en sort, forcément, cela rejaillit sur les autres communes aux alentours.

S. : Quel est le thème et le programme des festivités du cinquantenaire ?

S.S. : Le thème c’est “renforcer la cohésion sociale pour le développement socioéconomique de Banfora”. Le cinquantenaire va se dérouler les 18,19 et 20 décembre. Le patron de toutes ces journées, est le président de l’Assemblée nationale, Roch Marc Christian Kaboré et le parrain, le président de la Commission de l’UEMOA, Soumaïla Cissé et la présidence a été confiée au ministre de tutelle, Toussaint Abel Coulibaly qui est chargé des Collectivités territoriales.

Pendant ces trois jours, il y aura une conférence sur les thèmes précis qui vont dans le sens du renforcement de la cohésion et aussi des thèmes qui abordent le futur de Banfora à l’horizon 2025. Il est également prévu une rencontre avec les partenaires techniques et financiers qui seront là, pour aboutir à des projets à court terme.

Du côté festif, il est prévu des activités culturelles et sportives. Dans cette dynamique, nous avons demandé aux maires des villes partenaires du Sud (Sikasso, Ouahigouya, et Pouytenga) de se déplacer avec une troupe culturelle. Autre activité prévue, une foire d’exposition où nous voulons montrer tous les produits artisanaux, de transformation agro-pastorale, faits à Banfora.

Parce que nous avons des unités de transformation de mangues, d’anacarde, etc. Il y aura aussi des inaugurations d’infrastructures et de baptêmes de rues. Parce que nous avons pu, grâce à la Banque mondiale et à la coopération française, acquérir des financements pour adresser la ville de Banfora.

S. Votre message pour les amis et les ressortissants de Banfora.

S.S. : J’appelle tous les Burkinabè, tous les fils et filles de la région des Cascades à se mobiliser pour que ce cinquantenaire soit une occasion de retrouvailles, mais surtout de communion afin de réfléchir au devenir de la ville et au- delà, de la région. Parce que c’est à nous de réfléchir maintenant pour poser les bases pour les générations à venir.

Il faut que nous jouions notre partition à cet instant. Le cinquantenaire est une occasion pour pouvoir tracer les différents axes pour booster notre région sur les plans économique, social et culturel.

Interview réalisée par Gabriel SAMA

Sidwaya

PARTAGER :                              

Vos commentaires

 LeFaso TV
 Articles de la même rubrique
Burkina Faso : Justice militaire et droits de l’homme
Burkina Faso : La politique sans les mots de la politique
Le Dioula : Langue et ethnie ?