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Santé de nos chefs d’Etat : Le cas Yar’Adua relance le débat

Publié le vendredi 4 décembre 2009 à 01h55min

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Le président nigérian, Umaru Yar’Adua, ne se porte pas bien. Depuis une dizaine de jours, il est hospitalisé dans un hôpital en Arabie saoudite. Des observateurs évoquent sans grande assurance des problèmes cardiaques ou rénaux. Toujours est-il qu’ils ne s’accordent pas sur la nature du mal qui ronge l’hôte de marque du roi Abdallah.

Depuis des années d’ailleurs, son état de santé est un secret de polichinelle et a toujours fait des gorges chaudes au pays. Chacun y va de sa petite spéculation. A la petite différence qu’aujourd’hui, la machine gouvernementale nigériane est en train d’être sérieusement grippée par la maladie de son président. Une situation très préoccupante dans cette fragile république fédérale de 150 millions d’habitants et où un équilibre dans les responsabilités politiques doit toujours être trouvé entre un nord musulman et un sud chrétien.

Une session de l’Assemblée qui exigeait la présence du chef de l’Etat a, par exemple, été annulée si fait que certains cercles politiques, notamment dans les sphères de l’opposition, exigent, avec un entêtement morbide pour certains, la démission de celui qui a été élu à la magistrature suprême en avril 2007.

Depuis sa prise de fonction en 2007, Yar’Adua est allé se soigner plusieurs fois en Allemagne et en Arabie saoudite. La version servie au palais présidentiel de la nouvelle capitale politique nigériane a toujours été la même : le président va en ces lieux pour des motifs officiels et non médicaux comme le pèlerinage, la rencontre avec les dirigeants saoudiens ou l’inauguration d’une école.

La santé des dirigeants. Un sujet aussi vieux que le monde et qui va des régimes monarchiques aux premières républiques. En effet, qui, à l’époque des royautés, oserait parler de la santé du monarque ? Même la date précise de sa mort n’était connue que d’un cercle très restreint de sujets. Visiblement, cette tradition a la peau dure quand on observe l’omerta qui règne chez les dirigeants modernes.

Les secrets médicaux qui restent hermétiquement fermés dans les placards des palais présidentiels, il en existe à la pelle. Et comme nous l’avions fait remarquer dans notre édition du 15 juin 2009 à travers ce titre « Afrique - Ces présidents qui ne jurent que par les bistouris occidentaux », l’état de santé d’un chef d’Etat est un sujet bien tabou. Il est immortel et doit être considéré comme tel.

Que les partisans de l’écrivain français Jacques Prévert, qui avait, dans une sorte d’image, dit qu’on a beau avoir une santé de fer, on finit toujours par rouiller, aillent donc se faire cuire un œuf. Il faut toujours nier l’évidence. Mais en réalité, combien de chef d’Etat africains peuvent, comme George Bush, esquiver les chaussures que lui a jetées pendant une conférence de presse un journaliste irakien ? Ils doivent se compter du bout des doigts.

Pendant que le défunt président gabonais, Omar Bongo, était à l’article de la mort, l’ambassadeur de son pays en France avait annoncé qu’il se reposait dans un hôpital espagnol pour se remettre du choc « d’une très forte intensité émotionnelle » causé par « le décès prématuré de sa jeune épouse », et qu’il profiterait de son séjour en Espagne pour « effectuer un bilan de santé complet et y suivre des soins appropriés afin d’être au mieux de sa forme pour regagner le Gabon et reprendre au plus vite ses activités ».

Au Togo voisin, Eyadéma-père ne jetait-il pas de la poudre aux yeux des auditeurs lorsqu’il affirmait qu’il n’était jamais tombé malade, sauf la petite dysenterie qu’il avait contractée étant enfant ? Et que dire des faux bulletins de santé de François Mitterrand régulièrement établis pas l’Elysée, avec la complicité de son médecin personnel, et ce, jusqu’à sa mort ? Son successeur, Jacques Chirac, lui, n’a pas voulu se risquer dans cette aventure. Durant ses deux mandats, il n’a déposé aucun bulletin de santé. Lui, quand même, était à la hauteur de ses péchés.

Le citoyen doit-il être informé de l’état de santé de celui qui a entre ses mains sa destinée ? Délicate question ! Ceux qui répondent par l’affirmative avancent souvent le souci de transparence, principal fondement de la démocratie. Les tenants du « non » ressortent généralement l’argument juridique qui stipule que le secret médical doit couvrir tous les justiciables, y compris les hautes personnalités de l’Etat.

Comme pour apporter de l’eau à leur moulin, la plupart des Constitutions, africaines, surtout, sont d’ailleurs assez évasives sur la question. C’est le cas de la loi fondamentale du Burkina qui, en son article 43, annonce : « Lorsque le Président du Faso est empêché de façon temporaire de remplir ses fonctions, ses pouvoirs sont provisoirement exercés par le Premier ministre ».

Son alinéa 2 ajoute : « En cas de vacance de la Présidence du Faso pour quelque cause que ce soit, ou d’empêchement absolu ou définitif constaté par le Conseil constitutionnel saisie par le Gouvernement, les fonctions du Président du Faso sont exercées par le Président de l’Assemblée nationale ». Un bilan constitutionnel maigre pour pouvoir prendre une position. L’omission est-elle intentionnelle ? Bref …

Ceux qui pensent que le secret médical ne s’use que si l’on ne s’en sert pas ne manquent pas d’arguments. Par contre, il y a deux points sur lesquels les autorités sont difficilement défendables. Primo, à défaut de pouvoir dire la vérité à leurs gouvernés, qu’elles aient au moins la décence de se taire au lieu de raconter des insanités. Le cas Bongo (comme celui de bien d’autres présidents vivants ou disparus) est assez symptomatique de la désinformation ambiante lorsque pareille situation survient.

Et le Nigeria ne fait pas exception à la règle. Au pays de Fela, c’est la même posologie administrée. Secundo, au nom du prétendu secret médical, la gestion de l’Etat ne doit être prise en otage par l’impossibilité du président de gouverner. Plutôt que de casser le thermomètre pour baisser la température, des mesures palliatives, précisées d’ailleurs dans beaucoup de constitutions, doivent être prises pour assurer la continuité de l’Etat.

Issa K. Barry

L’Observateur Paalga

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