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Proverbe du Jour : “Nous sommes lents à croire ce qui fait mаl à сrοirе. ” Ovide

Boubakar Diallo

Directeur de publication du Journal du Jeudi, Boubakar Diallo vient d’ajouter une nouvelle corde à son arc, en devenant le réalisateur du premier film policier burkinabè, Traque à Ouaga.

Sidwaya l’a rencontré pour savoir davantage sur les circonstances du tournage, ses ambitions, la question de la piraterie...

Sidwaya Plus (S.P.) : De la presse écrite au cinéma vous semblez avoir allègrement franchi le pont. Comment est-ce arrivé ?

Boubakar Diallo. (BD) : Il faut d’abord savoir que j’ai publié deux romans policiers avant ce film. En fait, c’est de façon progressive que je suis arrivé au cinéma et que je suis arrivé à cette volonté de raconter les histoires policières, les histoires d’aventure. Depuis toujours j’avais envie de partager ce type d’émotions. C’est vrai qu’au départ, je suis autodidacte. Je ne suis pas journaliste de formation ; de la même façon que je ne suis pas cinéaste de formation. Hier je faisais de la presse, aujourd’hui je fais du cinéma. Pour moi c’est la même grande famille puisque le point commun entre toutes ces activités, c’est l’écriture.

En tant que scénariste au départ, j’ai proposé à plusieurs reprises des scénarios de longs métrages, de séries télé à des réalisateurs, à des producteurs burkinabé. C’est de cette façon que je me suis dit qu’il y a un genre de film qui n’a jamais été fait ici. En tant que cinéphile, j’ai voulu raconter ces genres d’histoires que j’aime bien voir au cinéma. Il ne faut pas que ce soit toujours des films importés ; car en termes de compétences on n’a rien à envier aux autres. En termes d’équipements avec le numérique aujourd’hui, on a tout ce qu’il faut. En termes de ressources humaines, au niveau des comédiens et des techniciens, on a plus qu’il n’en faut. Il n’y a donc pas de raison qu’on se prive de ce type d’expériences. En trois mois, on a couru à droite et à gauche pour mobiliser des ressources. Ce film a été produit entièrement sur financement local. On est allé voir le président de l’Assemblée nationale, telle ambassade, tel ministère...chacun a donné ce qu’il pouvait et on a fini ce film à moins de vingt (20) millions de F CFA. Nous avons fait la première au CCF Georges Méliès le jeudi 22 juillet, et parallèlement le même jour, à 20 h 30 et 22 h 30, le film sortait au ciné Nerwaya du jeudi au dimanche.

S.P. : Après la première, réservée aux hommes des médias, le public a pu suivre « Traque à Ou aga », quelle a été sa réaction ?

B.D. : On a fait environ 3 500 entrées en un week-end avec 45 jours de tapage médiatique. Cet ensemble de résultats est intéressant pour nous. Mais aussi pour tous les réalisateurs. Si demain on a la possibilité d’avoir des subventions, on pourra travailler dans de meilleures conditions.

S.P. : Dans quelles conditions pratiques justement avez-vous travaillé quand on sait que vous avez fait appel à certains acteurs qui jouaient pour la première fois ?

B.D. : C’était un pari. Comme le genre de film que nous avons réalisé était nouveau ici, sans toutefois être nouveau dans l’absolu ; nous nous sommes dit que si on veut faire un choix nouveau, il faut aussi donner au public, en plus de l’histoire qui est nouvelle, des têtes d’affiche qui puissent incarner les différents prototypes qu’on veut représenter à l’écran. Et comme on n’a pas forcement tout dans le vivier des acteurs confirmés, il a fallu recourir à de nouveaux talents que nous avons « traqués », tout en prenant la précaution de mettre à côté d’eux des acteurs confirmés. C’est pour ça que dans le film, si vous voyez que l’inspecteur Solo (Abdoul Karim Déné) est nouveau à l’écran, à côté de lui, vous allez trouver IIdevert Méda, Hippolyte Ouangrawa, Halidou Sawadogo. Ils sont là pour soutenir les jeunes talents, pour leur donner la réplique.

Nous avons pu aussi nous adosser à un gros baobab du monde du cinéma, en la personne de Emmanuel Sanon. Ensemble, je pense que nous avons réellement réussi à constituer une équipe. Le jour de la première, j’ai insisté pour remercier les techniciens parce qu’ils ont accepté de faire le pari avec nous. On n’avait pas beaucoup d’argent et on leur a dit qu’on leur donnerait un tout petit peu ; mais souvent. C’est-à-dire qu’on a pris le pari avec eux qu’au niveau des « Films du dromadaire », tous les trois mois, on sera en train de tourner un autre film. On se prépare donc pour le second film qu’on va lancer à la mi-août avec comme premier rôle Bil Aka Kora. C’est une comédie musicale. Une histoire sentimentale entre Bil et sa partenaire avec bien sûr des rebondissements, un peu de mouvement quand même.

S P. : On vous connaît comme directeur de publication de JJ. Maintenant, vous portez une autre casquette, celle de réalisateur ; comment vous sentez-vous dans cette nouvelle fonction ?

B.D. : Pour moi, il n’y a pas de frontière entre le travail que je fais à JJ et le travail que je fais avec les « Films du dromadaire ». C’est en fait la grande famille du Dromadaire. Du reste, vous pouvez le constater dans des traits d’humour. C’est un peu ce que nous faisons dans JJ. Quand on dit que la satire est une peinture cocasse de la société, c’est la même chose qui se retrouve dans le cinéma. Evidemment, dans le journal c’est de l’information et là c’est de la fiction, tout en caricaturant la société.

S. P. : Si vous deviez reprendre ce film, au niveau du jeu des acteurs, quelles retouches auriez-vous faites ?

B.D. : Ce qui est intéressant, c’est qu’au départ nous croyions que les premiers rôles c’étaient l’inspecteur Solo, c’était le méchant qu’on appelle « le gaucher ». Mais quand on voit la réaction du public, on se rend compte qu’il y a un acteur ; l’inspecteur Dao, qui retient plus l’attention. C’est le prototype de l’anti-héros. Quand vous regardez en bande dessinée Astérix et Obélix, Obélix est plus sympathique qu’Astérix parce que le héros est toujours froid et c’est son compagnon, l’anti-héros, le gaffeur qui recueille la sympathie du public. C’est le genre de petits indicateurs qu’il faut recueillir lorsqu’on est en salle. Cela nous permet de savoir comment les gens réagissent pour en tenir compte pour le film d’après.

S. P. : Dans le film, l’inspecteur Solo refuse d’obéir au commissaire. C’est vrai que c’est une fiction ; mais tout de même, comment expliquez-vous cela ?

B.D. : Comme son nom l’indique, l’inspecteur Solo c’est quelqu’un qui travaille en solo. En fait, tel qu’on le caractérise dans l’histoire c’est un policier atypique dans la mesure où il est marginal. Dans la vie sociale, il ne veut pas de coéquipier. Dans la vie sentimentale, parce qu’il a subi une déception, il ne veut pas de nouvelle copine. Ses collègues lui reprochent de ne pas savoir travailler en équipe...C’est quelqu’un qui travaille seul mais qui est sûr de réussir. A partir du moment où le commissaire s’énerve et veut le mettre sur la touche, il s’emporte parce que de tout le commissariat il est le seul à avoir retrouvé les traces du bandit. Et l’histoire a montré qu’il a pu le chopper tout seul avant que le gros de la troupe n’arrive. C’est sa nature. C’est son personnage.

S. P. : C’est ce même personnage qui explique le fait qu’il ait refusé d’accompagner son collègue à sa dernière demeure ?

B.D. : Non. En fait, ce sont des artifices du cinéma. Dans les premières minutes du film où on a besoin de caractériser un personnage, il faut des petites situations de ce genre pour que le spectateur comprenne comment est cet acteur. Comment il réagit. A partir de ce moment, il peut entrer dans la psychologie du personnage et l’accompagner tout au long du film. Pour lui, ce n’est pas qu’il ne veut pas aller à l’enterrement mais il trouve que le meilleur service qu’il puisse rendre à son collègue qui a été tué ce n’est pas d’aller se mettre au garde-à-vous devant sa tombe ; mais de trouver qui l’a tué pour que justice soit rendue.

S. P. : Vous avez aussi fait appel à des judokas...

B.D. : Ça c’est juste un concours de circonstances. C’est vrai que ça nous a bien aidé pour les rares scènes de combats qu’il y a dans le film. Mais nous avons connu également quelques sueurs froides. Quand vous avez en face des acteurs qui n’ont jamais pratiqué des sports de combat, c’est pas évident. Si vous voyez dans le film, au moment où l’inspecteur s’apprête à passer les menottes, celui-ci lui donne un coup. Si ça n’avait pas été un judoka, ça aurait été très difficile à réaliser. De la même façon, quand vous appelez un acteur comme Hippolyte (Mba Bouanga), vous n’avez même pas besoin de lui donner
un texte. Vous lui expliquez ce que vous attendez de lui et il vous le restitue mieux que vous même vous ne l’auriez imaginé.

S.P. : Vous avez travaillé, juste avec un ordinateur, une camera numérique. Pour le 7e art où on a plutôt l’habitude de voir une artillerie ça fait tout de même un peu révolution...

B.D. : Les deux approches ne sont pas en réalité comparables même si on peut se permettre de le faire au niveau des chiffres dans la mesure où ce n’est pas parce qu’aujourd’hui on peut techniquement et pour les raisons économiques se permettre de faire les films en numérique que ça veut dire que le 35 mm évolue. Non. Ce sont deux méthodes et deux outils qui existent et qui vont exister parallèlement.

Le 35 mm, au niveau des lumières, des profondeurs de champ, n’est toujours pas concurrentiel. Le numérique ne peut pas concurrencer ces atouts-là qu’offre le 35 mm. Mais le désavantage c’est que pour faire « Traque à Ouaga » il aurait fallu mobiliser au moins 200 millions. Mais avec le numérique on a réalisé le film avec moins de 20 millions. Ça a aussi ses contraintes. L’autre avantage, c’est qu’on gagne énormément du temps. Ce n’est pas la pellicule qu’il faut couper, qu’il faut développer en laboratoire, mais c’est un peu le montage virtuel. De ce point de vue, c’est au moins quelque chose qui est adapté à notre pouvoir d’achat. Si vous faites un film à 20 millions ne serait-ce qu’au Burkina Faso, si vous avez le ciné Burkina, le ciné Nerwaya, le ciné Sayon et si vous pouvez rester deux semaines à l’affiche dans ses trois salles à la fois, vous êtes sûrs, si le film plaît au public, de le rentabiliser. Mais si vous faites un film à 200, 300 ou 500 millions, vous avez beau faire un bon film, le public a beau être content, même en tournant au Burkina et dans la sous-région, ce n’est pas évident que vous rentriez dans vos fonds. Mais en fait la question ne se pose pas à ce niveau puisqu’en général, il y a des subventions.

S.P. : Peut-on un jour s’attendre à vous voir au FESPACO ou tout du moins au MICA ?

B.D. : Nous disons que nous avons un combat avec le public. Ce qu’on fait, ce sont des films populaires. C’est la réaction du public et la rentabilité qui nous intéressent a priori. Ce qui ne veut pas dire que les festivals ne nous intéressent pas, mais à cette étape, ce n’est pas tellement notre préoccupation. Nous continuons de travailler et à l’approche du FESPACO, on avisera.

S.P. : N’avez-vous pas pris un risque en vous lançant dans le cinéma ?

B.D. : Mais c’est le même risque que j’ai pris en créant JJ. Comme je le dis, le seul diplôme que j’ai c’est le Baccalauréat. J’ai fait ce film par goût, par ce que j’étais un rat de bibliothèque. Quand j’étais jeune, ce que je savais faire le mieux, c’était écrire. La première application de l’écriture, si vous vouliez vivre de ça il y a 13, 14 ans au Burkina Faso, c’était la presse écrite. C’est pour cela que logiquement je me suis essayé et petit à petit j’ai créé le Journal du Jeudi sans être journaliste de formation, et sans capitaux. A l’époque, j’étais collaborateur extérieur de « Clin d’œil » et je gagnais moins de 50 000 F CFA par mois et c’est dans ces conditions que j’ai crée le JJ. Pour moi en fait, c’est une répétition, c’est deux fois la même expérience. Pour la presse écrite ça a marché, pour le cinéma, ça pourrait très bien ne pas marcher, ce n’est pas non plus automatique. Mais je pense que quand vous prenez le temps de baliser le terrain, quand vous connaissez le domaine dans lequel vous mettez les pieds, vous calculez vos risques et vous vous donnez le maximum de chances. Comme vous le savez, le principal défaut d’un autodidacte c’est qu’il lit beaucoup parce qu’il part du principe qu’il ne sait rien.

S. : Lors du clap de lancement, on a vu les premiers responsables de la sécurité à vos côtés. Quelle a été leur contribution dans le scénario et peut-être même dans le déroulement du film ?

B.D. : Dans le scénario, aucune personne extérieure n’a eu son mot à dire. C’est seulement les gens de l’équipe. Moi en tant que scénariste et Emmanuel Sanou en tant que premier assistant et scripte, parce que c’est quelqu’un qui s’y connaît très bien en scénario. On a suffisamment discuté pour tester le scénario ensemble avant de décider de passer à la phase de réalisation. Maintenant dans la phase pratique, nous avions besoin du concours des forces de police, parce qu’on avait 6 agents à notre disposition pendant les trois semaines de tournage pour la sécurité des gens. Quand nous tournons une scène aux abords d’une voie, imaginez si nous n’avons pas de policiers avec nous ?

De la même façon, le ministère de la Sécurité a mis à notre disposition quelques agents. Par exemple, il y a une scène à l’aéroport où on voit des militaires avec des fusils d’assaut à « Ouaga inter », à la fin on a la scène de nuit, il y a aussi des gens avec des fusils d’assaut. Evidemment, on ne peut pas posséder ça. Ce sont plutôt des vrais policiers qui tiennent leurs propres fusils, cela pour qu’il n’y ait pas de couacs

S. : Quels ont été les moments forts de tournage ?

B.D. : C’est difficile parce, qu’il y en a eu énormément. Mais je peux vous dire qu’on a eu des sueurs froides, notamment quand il a fallu bloquer des routes pour faire des cascades. Mais le plus difficile, c’est quand au milieu du tournage on s’est retrouvé avec l’acteur principal qui est judoka, avec la jambe droite immobilisée dans une attelle parce qu’il avait eu un accident à l’entraînement. Donc, il ne pouvait pas plier la jambe, mais on ne pouvait pas arrêter le tournage. Néanmoins on s’est s’arrangé.
Il y a donc des scènes ; celles notamment où son amie lui fait des avances dans un maquis où, il est assis et la fille arrive. Dans le scénario, c’est la fille qui est assise et c’est lui qui arrive. Mais comme il ne peut pas marcher, il est dans un fauteuil, on prend le temps de l’installer et comme il ne bouge pas, on peut jouer la scène. Au commissariat, il y a des scènes comme ça. Il est assis devant le commissaire, et après il se lève. Mais en réalité, il ne peut pas marcher, il est arrêté juste à côté. De prime à bord c’est l’un des moments forts auxquels je pense. Mais il y en a certainement beaucoup d’autres.

S. : On vous a vu au cinéma, à la télévision, il ne reste plus que la radio dans votre registre. A quand donc ? Y songez-vous ?

B.D. : (Rires) Quand on a la voix que j’ai, on évite la radio...

S.P. : Vous avez certainement suivi beaucoup de films. Sans être exhaustif quels sont ceux qui vous ont le plus marqué ?

B.D. : Ça va être très difficile en raison de tout ce que j’ai derrière moi. Peut-être je peux vous en citer un qui est un peu futuriste, un peu dans le registre de la science fiction. Il s’agit de Retour vers le futur. C’est l’un des premiers films de Steven Spilberg.

S.P. : On s’attendait à ce que vous citez la serie Colombo à cause de la scène de Bangr Wéogo...

B.D. : J’adore le personnage de Colombo, il faut dire que depuis mon lycée, je lis les romans de Colombo. Ce n’est que longtemps plus tard que ça été adapté. Mais quand vous parliez de cinéma, je pensais plus au grand écran, puisque Colombo c’est une série télévisée. Il y en a plein comme ça, tels les personnages d’Arsène Lupin qui ont de bons ressorts. Mais c’est vrai que si on commence la liste, on n’est pas prêt d’en finir.

Jean-Philippe Tougouma et Arsène Flavien Bationo
Sidwaya Plus

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