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Etienne Traoré : pour un Forum civique national

Publié le lundi 17 novembre 2003 à 12h21min

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En début octobre 2003, le procureur général du Faso, commissaire du gouvernement près le Tribunal militaire (Abdoulaye Barry) informait l’opinion nationale et internationale qu’un coup d’Etat en préparation venait d’être déjoué et ses auteurs, interpellés.

Il s’en est suivi une polémique qui perdure autour de la véracité de cette troisième tentative présumée de putsch militaire contre le régime constitutionnel du président Blaise Compaoré depuis 1991. Je pense que, par respect et pour défendre notre Constitution librement adoptée, nous nous devons de condamner toute conquête du pouvoir par la force des armes. Mais nous devons aussi, par expérience et par réalisme, nous accorder tous pour reconnaître que cette condamnation de principe ne suffit pas à empêcher ces tentatives répétées de déstabilisation comme en 1996 (affaire Kafando), en 1998 (affaire David Ouédraogo) et en 2003.

Ajoutons-y d’autres tentatives antérieures officiellement annoncées et déjouées en 1988 (affaire du capitaine Kaboré dit le Lion) et en 1989 (affaire du commandant Lingani et du capitaine Zongo), des tentatives alors suivies d’éliminations sanglantes ayant ouvert des plaies non cicatrisées encore !

Je pense que l’honnêteté intellectuelle, le courage moral ... bref, la sagesse devrait nous amener tous à nous poser franchement ces questions : pourquoi cette répétitive mauvaise série ? Est-ce l’ambition des hommes ? Est-ce le mauvais fonctionnement des Institutions républicaines ?

Quelles que soient les réponses données, nous devons tous reconnaître qu’il existe et perdure un problème structurel de fond : au Burkina, comme dans d’autres pays africains, nous assistons à une déception (exprimée et vécue) des peuples par rapport aux "pratiques démocratiques" des pouvoirs en place.

Chez nous donc, il ne s’agit point de problèmes créés par quelques "marginaux sociaux ou illuminés" mais d’un problème structurel profond, dont cette dernière tentative présumée de coup d’Etat n’est à la fois qu’une manifestation et un essai illégal de solutionnement. Ce problème fondamental, qui s’exacerbe par moments en crise sociale et/ou politique ouverte est, à mon sens, celui du déficit originel et croissant de la légitimité des Institutions républicaines actuelles et leurs animateurs politiques : ils sont, en effet, de plus en plus nombreux, nos compatriotes qui ne se reconnaissant plus ou se reconnaissent de moins en moins dans lesdites Institutions et dans lesdits hommes au regard et à l’épreuve de leur fonctionnement et de leurs performances tout à fait décevants !

Pouvait-il en être autrement quand nous nous rappelons que dès le départ du processus démocratique, le consensus théorique (le contenu de la Constitution) n’a pas été complété par un consensus pratique (la réconciliation nationale suite à l’inventaire de notre passé conflictuel). Ce péché originel nous poursuit et se trouve aggravé par une gestion du pouvoir à double tendance négative : elle tend d’abord à substituer la majorité parlementaire (niveau partisan plus étroit) au consensus national fondamental du 2 juin 1991 (niveau républicain de largeur totale) à travers, entre autres, les révisions et interprétations successives de la Constitution, les tentatives de révision du présent code électoral ...

Elle tend ensuite à créer injustement dans la pratique quotidienne, deux catégories de citoyens : d’un côté, les animateurs de cette majorité parlementaire (et leurs divers protégés et courtisans) qui s’octroient presque tous les droits (économique, commercial, politique ...) même au détriment de la loi ; de l’autre, la masse des autres concitoyens (même des membres de cette majorité parlementaire) pratiquement traités comme des citoyens de seconde zone face à leurs droits économiques, sociaux et politiques.

Cette double tendance crée trop de frustrations et d’exclusions multiples et accumulées qui constituent les principales causes et sources d’incivismes divers, de rébellions actives ou potentielles etc.

Pour alors résoudre ce problème originel qui nous tenaille en s’aggravant, je pense qu’il faut crédibiliser et légitimer davantage les Institutions républicaines en les faisant fonctionner en harmonie véritable avec l’esprit et la lettre de notre consensus constitutionnel qui visent fondamentalement à asseoir une société démocratique caractérisée par : la garantie et la promotion des libertés fondamentales et des droits de l’homme ; la lutte effective pour réaliser la justice comme garantie et protection des droits de tous les citoyens, tous égaux devant la loi et tous également soumis à elle ; le rejet de tous pouvoir arbitraire du fait, soit d’un pouvoir personnel (ou pouvoir à vie taillé sur mesure) ou d’un pouvoir issu de violation de la lettre ou de l’esprit de la loi fondamentale (coup d’Etat militaire ou électoral, séjour illimité à la tête de l’Etat par la manipulation de la Constitution.

C’est sous l’éclairage de ce consensus constitutionnel que nous sortirons réellement de cette situation de crise persistante en nous attaquant résolument aux causes de ces frustrations accumulées et pan-sectorielles.

En commençant par le secteur politique, force est de constater que pour bon nombre de compatriotes vivant les faits, le régime démocratique sous la IVe République apparaît comme une vaste légalisation de tout genre d’enrichissement au profit d’une infime minorité de citoyens-gouvernants de plus en plus éloignés des réalités du peuple. Face à l’impunité de ces enrichissements souvent illicites alors que s’appauvrit l’ensemble du peuple, face aux revenus exorbitants des animateurs de ce système multipartite, aux yeux de nos concitoyens, ce régime est devenu un grand festin pour tous ceux qui y détiennent un quelconque pouvoir de décision : au gouvernement, à l’Assemblée nationale, dans les appareils administratifs, judiciaires et même militaires.

Les dirigeants-bénéficiaires de ce système font tout pour reproduire à leur profit exclusif, les conditions politiques, économiques, sociales et militaires qui sont nécessaires à la pérennisation dudit système. Ainsi, ce sont eux qui, directement ou indirectement, vont s’immiscer dans les affaires économiques pour s’y tailler pratiquement dans tous les secteurs vitaux et rentables, de véritables positions de monopole ou d’hégémonie. Ces abus contraignent de nombreux opérateurs économiques de profession, pour survivre, à se transformer en simples sous-traitants ou prête-noms alors que d’autres sont totalement mis en faillite. Le système d’abus fait la promotion sans lendemain (au regard des exigences concurrentielles liées à l’intégration sous-régionale) de nouveaux opérateurs économiques (souvent parents ou amis) aux fortunes rapidement amassées au vu et au su de tous !

Ce sont encore eux qui, partisans de la "philosophie politique" du "Tuug Guili" permanent, défendent un pouvoir à vie qui ne dit pas son nom et veulent chasser de l’Assemblée nationale les députés de l’opposition par des tripatouillages de la Constitution (article 37) et du code électoral, toutes choses qui visent à empêcher une alternance politique.

C’est dans ce sens que de façon permanente, ce système diabolise l’opposition par exclusion de ses militants de la jouissance de certains droits : promotion dans l’administration, acquisition de marchés publics, etc. Ce type de persécution peut aller jusqu’à l’organisation de putsch contre des dirigeants de l’opposition considérés comme trop critiques et gênants ! Aujourd’hui, ils sont là très nombreux, nos concitoyens qui pensent et disent que les Institutions de la IVe République sont gérées sans une réelle autonomie réciproque comme le stipule la Constitution. Elles fonctionnent plutôt selon la volonté dominatrice du pouvoir exécutif et de son chef.

L’édifice de pérennisation du système inclut, comme pierre angulaire, l’appareil sécuritaire. Celui-ci, fonctionnant à deux vitesses (au moins), tend principalement à la sécurisation d’un régime politique dont les principaux responsables de la sécurité sont eux-mêmes des militants politiques actifs. De ce fait, c’est un système sécuritaire caractéristique du parti-Etat qui, de façon anachronique et non conforme à la loi, veut assurer la sécurité de notre Etat de droit ! Cette anomalie est potentiellement dangereuses car de par ses caractères partisan, sectaire et privilégié, la sécurité d’Etat qui est essentiellement la sécurité présidentielle, instaure des sentiments d’injustice, de jalousie et de méfiance au sein de l’ensemble des forces de sécurité militaires et para-militaires. Des forces politiques de l’opposition, des organisations de défense des droits humains, le "Collège de Sages" et plus récemment le "Comité national d’éthique" ont tous dénoncé, mais en vain, ce dangereux anachronisme.

Les dirigeants de ce complexe d’intérêts exclusifs aux plans économique, politique et militaire, provoquent de par leurs orientations et pratiques économiques ultra-libérales, des situations et manifestations d’excessives frustrations et même de désespoir à des degrés jamais atteints dans notre pays.

Ainsi, assistons-nous à : une pauvreté et une misère grandissantes et atteignant toutes les couches sociales du paysan au cadre ; une perte sensible de références morales au niveau des adultes, pertes répercutées au niveau des jeunes car ici et là, c’est la fin (besoins de sous, de note, de travail, de poste, de marché, etc.) qui justifie les conduites, même les plus illicites et immorales (vols, détournements, corruption, tricheries, etc.) une forte baisse de l’ardeur au travail, et partant, de la déontologie professionnelle (qualité hier reconnue aux Burkinabè) ; une baisse directement liée au divorce politiciennement instauré entre le travail honnête et la décoration ; une certaine déroute des intellectuels qui, déviant de leur vocation première qu’est la défense publique des valeurs (le vrai, le juste, le bien, le beau, etc.) au risque même de leur sécurité, se sont, en grand nombre, transformés en idéologues justificateurs et bénéficiaires d’un système organisé de prédation économique, d’exclusion et d’injustices sociales graves ; une collaboration (tendance minoritaire) et une attitude de modération faite de conseils justes et courageux (tendance majoritaire) de la part des forces morales (autorités coutumières et religieuses) qui n’ont pas encore d’effets pratiques, de significatifs à même de combler cette quasi vacuité morale ou de redresser les pratiques politiques et sociales ; une opposition politique plus ou moins déstabilisée et divisée, une opposition aux discours et pratiques jugés par de nombreux compatriotes, comme étant, à quelques exceptions près, encore peu différenciés de ceux des tenants du pouvoir. Cela rajoute au désespoir d’innombrables concitoyens qui, victimes de la paupérisation et de la misère, aspirent à une alternance politique véritable.

Au total, le réalisme, même s’il est amer, m’amène à conclure à la persistance d’une situation nationale de crise et de désespoir. C’est de là que s’originent, pour l’essentiel, les comportements et pratiques de déviance, de délinquance comme violations du respect dû aux lois et institutions du Faso. Et pourtant, c’est au fond de ce désespoir que vit de façon incandescente la flamme de l’espoir, nouvel espoir que bon nombre de compatriotes expriment en s’en remettant à Dieu pour les sortir de cette situation de décadence et de malheurs.

Mais beaucoup d’entre eux semblent oublier que Dieu, selon le proverbe, par respect pour leurs libertés individuelles, n’aide que ceux qui luttent déjà et non pas ceux qui restent couchés et résignés dans la fatalité !

C’est donc dire que pour sortir de cette situation de crise dont la présente tentative présumée de coup d’Etat n’est qu’une manifestation de plus, à mon sens, nous devrions tous agir (gouvernants, gouvernés, classe politique, société civils, forces morales) en consentant les efforts et les sacrifices nécessaires pour arracher la victoire sur notre situation pathologique, elle sera une double victoire :

- une victoire sur les séquelles de notre passé conflictuel par l’organisation d’une véritable réconciliation nationale

- une victoire sur notre présent et notre avenir par de nouveaux engagements et pratiques de strict respect du consensus constitutionnel dans son esprit et sa lettre.

Pour ce faire, il nous faudrait ensemble et en toute modestie et sincérité : situer les niveaux de responsabilité dans cette situation de crise et en tirer les justes conséquences, nous fixer des tâches de redressement et de solutionnement et nous en donner les moyens idoines, dans le respect de la Constitution. C’est dans cet esprit de sursaut patriotique et aussi par devoir d’intellectuel que je me propose après de larges consultations et en collaboration avec des bonnes volontés, de formaliser un appel très prochainement à tous les intellectuels, patriotes, démocrates de nos villes et campagnes pour leur demander de constituer un Forum civique national, source de propositions et d’actions citoyennes à même d’arracher cette double victoire qui sera déterminante pour la juste poursuite de notre vie démocratique.

Etienne TRAORE

Enseignant de Philosophie morale et politique
Université de Ouagadougou

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