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Jean-Philippe Rapp, directeur de du Forum Nord-Sud Médias : « Nous irons au Burkina pour écouter ce que les gens ont à dire et voir comment on peut ensemble faire concrètement contre la faim »

Publié le mercredi 4 novembre 2009 à 01h49min

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Après avoir été débattu en septembre dernier à Genève, en Suisse, le thème de la faim sera à nouveau au centre des discussions du prochain Forum international Nord-Sud Medias qui devrait se dérouler en 2010 au Burkina Faso. Le directeur du Forum, Jean-Philippe Rapp, explique les raisons du choix du Burkina et les enjeux de ce rendez-vous au moment où le réchauffement climatique risque d’hypothéquer la production agricole africaine, compliquant ainsi le combat pour l’autosuffisance alimentaire

Qu’est-ce qui a motivé la création de ce Forum dénommé Nord-Sud Medias ?

Cette manifestation annuelle a été fondée il y a maintenant 25 ans. J’étais journaliste à la Télévision Suisse Romane (TSR) et j’enseignais également à l’Institut universitaire d’études du développement. A l’époque, il y avait un cours « Information et développement » et nous nous sommes dit, pourquoi ne pas créer un lieu où, dans un minimum de temps, on pourrait voir un maximum de films sur le développement. A la télévision, j’étais aussi producteur d’une émission qui s’appelait « Temps présent » et je me suis rendu compte qu’il était difficile de trouver un film sur le développement, encore moins un endroit où, en trois jours, on pourrait choisir le meilleur parmi tant d’autres.

Nous avons alors créé cette manifestation d’abord à l’Université, et au fil des ans, elle a acquis une audience internationale. Au départ, elle s’intitulait « Rencontres internationales Nord-Sud », puis « Festival international Medias Nord-Sud » et aujourd’hui « Forum international medias Nord-Sud ». Vous remarquerez qu’à chaque fois, il y a le mot Media, car pour nous, il ne s’agit pas seulement d’avoir des gens qui viennent pour juste rendre compte d’un colloque dans les médias, mais nous voulions qu’il y ait un partenariat. L’idée est qu’un média publie dans la semaine du Forum, un dossier ou fasse une émission spéciale sur le thème traité. L’expertise doit côtoyer la presse et l’opinion autour d’un thème, et en cela, voir en une semaine, 40 films sur la faim, on ne trouve ça nulle part ailleurs.

Notre démarche s’inscrivait aussi dans le cadre du Nouvel ordre de l’information et la communication (NOMIC), et c’était à l’époque où on voyait extrêmement très de films au Nord réalisés par des gens du Sud. Il y avait toujours notre regard sur le Sud, mais on ne voyait pas le regard du Sud sur le Sud encore moins du Sud sur le Nord.

Le choix des thèmes est-il nécessairement lié à l’actualité ?

Pas forcément ! Au départ, c’était très générique, le rapport Nord-Sud, c’est-à-dire les grandes questions sur le développement. Nous traitons de thèmes tels que l’influence des radios internationales, le rapport aux otages, la montée de l’islam, etc., mais nous nous sommes rendus compte que ces questions étaient aussi traitées en France, en Angleterre qu’en Suisse. Il y a quatre ou cinq ans, le Forum est devenu ce qu’on appelle chez nous une Fondation, un statut qui impose une rigueur notamment financière plus que si nous étions une association. A partir de là, nous avons souhaité analyser les enjeux majeurs du futur qui nous concernent tous. Qu’on soit du centre ou de la périphérie. Nous avons choisi le thème de « la fin du pétrole », et dans notre objectif, il fallait que tous les acteurs soient présents : pétroliers, représentants d’Etats et les ONG qui contestent la non transparence dans la gestion de la manne pétrolière, se sont rencontrés et discuté et cela s’est bien passé.

L’’édition suivante, nous avons choisi de nous intéresser à la Chine et nous avions eu la chance car il y a cinq ans, c’était encore le début des débats sur la Chine et ses nouveaux rapports avec l’Afrique. La question de savoir si la Chine n’est pas en train de coloniser l’Afrique par le haut avec les grands chantiers, et par le bas avec les Chinois qui vendent du tissus sur le marché africain n’était pas aussi débattue comme aujourd’hui. Puis, tout naturellement, nous avons abordé la question du réchauffement climatique en 2007 au moment où sortait le film d’Al Gore.

Jusque là, les débats étaient organisés en Suisse. Pour quelles raisons les avez-vous délocalisés par la suite ?

Nous les avons délocalisés lorsque nous nous sommes posé la question sur la montée de la Chine et de l’Inde, deux pays qui sont en train de faire basculer le monde. L’année dernière, on a posé la question suivante au Forum : l’Inde est-elle une puissance mondiale malgré les inégalités sociales qu’elle connaît en même temps qu’émerge une classe moyenne ? La question a été débattue en Inde et les débats étaient très passionnants. Pour la prochaine édition, nous allons poursuivre cette expérience en approfondissant le thème de cette année, c’est à dire la « faim dans le monde » dans un pays africain, probablement au Burkina Faso.

Pourquoi spécialement le Burkina Faso, qui n’est pas le seul pays africain exposé à la faim ?

Pour plusieurs raisons : c’est un pays qui a à peu près le même nombre d’habitants que la Suisse, qui fait de la monoculture et a des difficultés alimentaires. Mais aussi, et surtout, un des pays les plus sécurisés de la zone région ouest-africaine. La manifestation est toutefois ouverte à tout le monde sans exception et ce n’est pas un hasard si nous avons décidé d’aller en Afrique l’année prochaine. Vous savez bien qu’il y aura la prochaine coupe du monde en Afrique du Sud en 2010, donc il y aura les projecteurs braqués sur le continent. Nous voulons profiter de cette occasion pour intéresser le reste du monde à l’Afrique, un continent qui doit tripler sa production agricole pour nourrir son milliards d’habitants dans trente et cela dans des conditions difficiles : désertification, réchauffement climatique, mauvaise qualité des sols, mauvaise gouvernance, flambée des prix venue de l’extérieur…Le thème de la faim mérite donc d’être poursuivi mais on ira au Burkina pour écouter ce que les gens ont à dire, et voir comment on peut ensemble faire concrètement contre la faim.

A titre personnel, vous avez des liens avec le Burkina…

Oui, j’ai des liens personnels avec le Burkina parce que j’y ai fait des émissions durant la période Sankara et nous avons fait un film qui doit d’ailleurs être unique en son genre, où on voit Sankara et Blaise Compaoré ensemble en train de gouverner le pays. Dans le passé, j’ai aussi fait une émission de télévision et de radio sur le Burkina et qui a connu une très grande audience ; il y a également le livre d’entretiens « Sankara, un nouveau pouvoir africain » que j’ai fait avec Jean-Ziegler en 1986. Je ne sais pas si l’explication vient de toutes ces choses qui ont été faites, mais c’est curieux, entre, les Suisses et les Burkinabè, il y a une histoire, quelque chose de sentimentalement fort.

Avec le livre, je voulais recueillir les rêves du jeune capitaine Sankara, comprendre comment il voit et ce qu’il a envie de, comment s’organise et quelles sont les résistances auxquelles il va faire face ? J’espérais pouvoir revenir dix ans après et lui reposer les mêmes questions pour voir si la situation des paysans et des femmes s’est améliorée. Malheureusement, il a été assassiné, mais j’estime que ça vaut la peine de confronter cette période qu’on a connue à la réalité d’aujourd’hui.

Il y a eu aussi les regards croisés sur les hôpitaux suisse et burkinabè…
Absolument ! A l’époque, on voulait faire le portrait comparé de deux hôpitaux, celui de Ouagadougou et celui de Genève. Et pour compliquer l’exercice, on a décidé que des journalistes Suisses feraient le portrait de l’hôpital de Ouagadougou et des journalistes Burkinabè celui de Genève. Les deux reportages ont ensuite été diffusés dans les deux pays et ça eu un impact énorme surtout en Suisse. On ainsi pu voir le fonctionnement de l’hôpital de Ouagadougou qui paraît inadéquat pour un gars du Nord : la nourriture qu’on jette et qui bouche les canalisations, les difficulté pour obtenir des médicaments, etc. Bref, on a fait une radiographie d’un hôpital qui a des difficultés de fonctionnement car mal équipé, mais où les gens essaient de régler les problèmes par un engagement personnel, avec plus d’affection et une forte assistance de la famille des malades.

L’équipe burkinabè a fait le portrait de l’hôpital de Genève et c’était assez drôle car les grands patrons de l’hôpital se disaient : qu’est-ce que ces Africains font en venant filmer l’hôpital de Genève ? Et comme ils pensaient que le reportage sera diffusé au Burkina et que personne en Suisse ne le verrait, eh bien, ils disaient des choses extrêmement vraies. Malheureusement pour eux, c’est sur la télévision suisse romaine que le reportage a été diffusé. Les téléspectateurs suisses ont pu voir le regard que des Burkinabè portent sur le fonctionnement de leur hôpital. Avec élégance, ils s’étonnaient que 60% des possibilités de l’établissement soient utilisées pour nettoyer l’hôpital, que 80% du personnel est étranger, du peu de facilités qu’on offre aux parents de pouvoir assister leur enfant hospitalisé et le type de rapport qu’entretient le personnel avec la machine . Leur conclusion est que les deux pays sont sur deux mondes, puis ils ont dit au personnel : « A votre place, on s’interrogerait sur l’hôpital de Genève ». Je peux vous dire que ce reportage, qui a été diffusé partout dans le monde a un impact très fort car l’hôpital a changé ses horaires pour l’accueil des parents.

C’était une belle expérience et 25 ans après, j’ai encore des images gravées dans ma mémoire et j’ai rencontré des gens formidables comme le docteur en pédiatrie Sawadogo. A la suite de notre reportage sur l’hôpital de Ouagadougou, il y a eu une énorme mobilisation des gens en Suisse pour récolter des fonds pour construire la pédiatrie de l’hôpital
Malheureusement, l’hôpital a été inondé le 1er septembre et les équipement endommagés…
Oui, nous sommes à la 25eme édition du Forum Nord-Sud, il y a une inondation au Burkina et personne n’en parle ici, c’est fou ! Pourtant, ce pays est bien connu et a une bonne image auprès des Suisses

Avez-vous le sentiment qu’au fil du temps, une conscience mondiale émerge sur les questions traités par le Forum ?

Je suis comme vous, au départ je suis journaliste, et j’ai toujours essayé de choisir des thèmes qui sont d’actualité comme le réchauffement climatique qui ne laisse plus personne indifférent, mais je reconnais que le problème de la faim est difficile à traiter. Il y a cependant des périodes où c’est plus sensible car où que l’on se trouve, on est d’une manière ou d’une autre concerné par le problème de la faim. Dans 20 ans si le réchauffement climatique continue comme ça, il y aura une importante baisse de la production agricole mondiale. Comment réussira t-on à résoudre ce problème ? Avec les agro carburants, on voit bien que des pays gardent leurs réserves de maïs privant ainsi les pays pauvres de pouvoir nourrir leurs populations. C’est un vrai problème face auquel on ne peut pas croiser les bras surtout que des gens descendent dans la rue pour protester violemment !

Comment ceux du Sud apprécient-ils le Forum et la façon dont il est organisé ?

A chaque édition, nous essayons de venir le maximum de gens du Sud en fonction de nos moyens. Mais au Burkina, ce sera l’inverse. Ceux qui participent au Forum ici iront à la rencontre de producteurs et de paysans et confronteront leurs connaissances avec ce qui se passe là-bas, histoire de voir si ce qu’ils ont dit à Genève tient ou pas la route. Vous avez remarqué que cette année, il y avait un représentant de la firme Nestlé au colloque, ce qui ne s’était jamais passé dans les débats sur le développement ? Est-ce ça veut dire que les grands groupes sont entrain de changer de position, qu’ils subissent des pressions de l’opinion et se voient obligés de s’expliquer ? C’est en tout cas souhaitable et important qu’ils soient là et qu’on discute avec des gens qui représentent l’agrobusiness.

C’est la preuve qu’il n’y a plus de problème isolé. Il y a 25 ans, on disait on disait eux et nous, maintenant on dit « Nous », ensemble. Le problème du réchauffement climatique, de la sous rétribution du producteur, ça concerne aussi les habitants du Nord et il y va de notre avenir à tous de trouver des solutions à ces problèmes. Donc, plus il y aura de lieux où on discute, c’est mieux ce sera. Et puis, en tant que journalistes, un jour on, nous demandera un jour : « Qu’avez-vous fait de la tribune dont vous avez disposée ? »

Propos recueillis Par Joachim Vokouma, Lefaso.net

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