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Crise ivoirienne : l’esprit de Marcoussis renaît à Accra

Publié le lundi 2 août 2004 à 14h34min

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Tout, ou presque, était pourtant écrit depuis janvier 2003 quand, dans un sursaut collectif, au son de l’Abidjanaise, sous les bulles de champagne et la larme à l’œil, les différents protagonistes du conflit ivoirien, qui ne durait alors que depuis seulement 4 mois, s’étaient exilés au Centre national de rugby (CNR), le Clairefontaine du ballon oval, pour mettre balle à terre.

L’arbitre s’appelait Pierre Mazeaud, un éminent constitutionnaliste français qui avait la redoutable tâche de cornaquer cette équipe hétéroclite aux desseins contraires, et où donc chacun tirait à hue et à dia. Au terme de 10 jours d’un match serré où le marquage se faisait à la culotte, où la moindre parcelle de terrain était âprement disputée, le juge Mazeaud siffla la fin de la partie. A la grande satisfaction et au grand soulagement de tous. Le conclave politico-militaire venait d’accoucher d’un document final qui répondra au doux nom d’Accord de Linas-Marcoussis, cette banlieue parisienne qui l’avait vu naître. Pour dire vrai, le bébé ne plaisait complètement à aucun des parents, mais le propre de tout compromis, a-t-on coutume de dire, est de ne satisfaire entièrement aucune des parties.

L’essentiel était qu’après les vaines tentatives du général Gnassingbé Eyadéma et le "laisse-moi faire" d’Abdoulaye Wade, les Ivoiriens tenaient la feuille de route en cinq points qui leur indiquait la voie à suivre pour sortir du tunnel. Dans la foulée, un sommet convoqué par le grand chef blanc au Centre de conférences international de l’avenue Kléber entérina le texte en vertu duquel (point 3.e) le président Laurent Gbagbo fut dépouillé de certaines de ses prérogatives constitutionnelles, qu’il devait déléguer au nouveau premier ministre Seydou Elimane Diarra, nommé rencontre tenante pour conduire le gouvernement de réconciliation nationale. Sur le papier donc, le train de la concorde était en marche, mais personne n’était dupe. Tout le monde en effet se doutait que le chemin de la paix serait pavé de nombreux obstacles.

La suite des événements allait cependant dépasser leurs craintes. Comme l’avouera plus tard Salif Diallo, un des négociateurs de l’ombre de Marcoussis, on a sous-estimé Gbagbo ; sous-estimé la capacité à rebondir de cette véritable bête politique à qui il faut reconnaître au moins un certain courage ; sous-estimé sa facilité à dire tout et son contraire ; sous-estimé sa roublardise, sous-estimé son extraordinaire pouvoir de rouler tout le monde dans la farine, y compris ses pairs, qui finiront par connaître l’homme et par lui dire d’arrêter "de tourner les gens en bourrique". Autrement dit de promettre telle chose dehors et d’en faire à sa tête une fois rentré au Gbagboland. Accra III échappera-t-il à cette logique ? Toute la question est là.

Car si à l’issue du sommet qui a réuni jeudi et vendredi derniers dans la capitale ghanéenne treize chefs d’Etat africains, un accord prévoyant un calendrier de réformes politiques ainsi que le désarmement des rebelles et des milices a été signé, il faut attendre d’en voir un début d’application sur le terrain pour y croire tant on a été suffisamment échaudés jusque-là. On a en fait mis 18 mois pour revenir à la case départ, celle de Marcoussis, qui prévoyait déjà dans son Annexe relative au Programme du gouvernement de réconciliation les dispositions sur lesquelles les différentes parties, après "d’intenses négociations", sont tombées d’accord à Accra. Pour les acteurs et les observateurs de la scène politique ivoirienne, le succès le plus important du sommet concerne l’article 35 de la Constitution ivoirienne, qui avait, on le sait, été expréssement libellé pour disqualifier Alassane Dramane Ouattara (ADO) de la course à la présidentielle de 1995 et de 2000.

Le texte actuel stipule en effet que le candidat à la présidence de la République doit être ivoirien de naissance né de père et de mère eux-mêmes ivoiriens d’origine. De plus, il ne doit jamais s’être prévalu d’une autre nationalité. Les rédacteurs du texte avaient beau s’en défendre, ça crevait les yeux que cette formule était une montagne juridique dressée devant ADO réputé être Burkinabè, et donc de nationalité douteuse. Alors donc que la loi se veut par essence impersonnelle et de portée générale, il apparaissait clairement que la Constitution ivoirienne avait été rédigée pour régler le cas ADO, ainsi d’ailleurs que Gbagbo allait le reconnaître plus tard.

Or l’inéligibilité du patron du RDR est le nœud gordien de la crise qui secoue le pays d’Houphouët depuis une décennie, particulièrement du soulèvement des rebelles le 19 septembre 2002. Il fallait donc le trancher et à Accra, ses homologues ont clairement demandé à Gbagbo d’user de ses pouvoirs constitutionnels pour faire adopter le ou en lieu et place du et. Autrement, il lui faut abandonner son idée de référendum sur le sujet et amener, conformément à l’esprit et à la lettre de Marcoussis (1), les députés FPI, qui ont fait des misères à Henriette Diabaté, à aller dans le sens voulu par la communauté internationale dont la patience, dit-on, s’amenuiserait.

Cela d’autant qu’on aurait pu faire l’économie de 18 mois supplémentaires de crise si, au lieu de s’appliquer méthodiquement à déchirer la feuille de route de Marcoussis, le chef de l’Etat ivoirien s’était résolu à l’appliquer. Le voici aujourd’hui obligé de réchauffer à Accra le plat concocté à Paris dans la mesure où l’Annexe à l’Accord de Marcoussis, comme indiqué plus haut, réglait tous ces problèmes. Il n’a pas tort Louis Dacoury-Tabley de dire qu’on a seulement "tropicalisé" Marcoussis ; un peu aussi pour complaire à ceux-là qui n’ont jamais géré le fait que ce soit les Blancs qui aient obtenu ce document alors même qu’ils étaient incapables d’y parvenir.

Plutôt donc que de faire un pas en avant deux bonds en arrière au rytme de la "prudencia", Gbagbo et ses disciples auraient intérêt, s’ils veulent remettre sur les rails le train de la réconciliation, à jouer franchement la carte de Marcoussis, ou d’Accra III si on veut. Premier test cette semaine avec la tenue d’un conseil des ministres auquel devraient prendre part les trois membres du gouvernement, dont Guillaume Soro, qui avaient été remerciés il y a quelques mois de cela par le maître d’Abidjan. Mais plus que la remise en service du gouvernement du vieux Elimane qui avait fini par vouloir jeter l’éponge, c’est à l’aune des réformes politiques (régime électoral, éligibilité à la présidence, code de la nationalité...) édictées à Marcoussis et reprises à Accra qu’on jugera la volonté du camp présidentiel de sortir du trou noir.

Car sans ces garanties, il ne faut pas se faire des illusions dans un environnement où la confiance est la chose la moins partagée : le DDR (Désarmement - Démobilisation - Réinsertion) qui devrait commencer d’ici le 15 octobre prochain n’aura pas lieu. Inutile donc de vouloir jouer au plus fin. A moins de souhaiter, in petto, que la présidentielle n’ait même pas lieu en octobre 2005. Les chefs d’Etat qui se sont penchés une fois de plus au chevet de l’Eléphant qui agonise depuis de longs mois ont en tout cas donné un nouveau souffle à l’esprit de Marcoussis, qui renaît, pour ainsi dire, à Accra. A charge pour les Ivoiriens de le tirer définitivement d’affaire.

Notes : (1) Le point 3.e de l’Accord de Linas-Marcoussis dispose en effet que "...les partis politiques représentés à l’Assemblée nationale et qui ont participé à la table ronde s’engagent à garantir le soutien de leurs députés à la mise en œuvre du programme gouvernemental".

Observateur Paalga

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Vos commentaires

  • Le 6 août 2004 à 18:41, par Dr.jacques lohourou digbeu-badlor En réponse à : > Crise ivoirienne : l’esprit de Marcoussis renaît à Accra

    destination "objectivite" ? : courage,vous y etes presque !

    il n’ y a pas de doute, le parti pris de votre papier a ete forge dans l’air du temps : la haine de gbagbo ; mais vous vous rattrapez pour ainsi dire "psychanalitiquement", puisque, en depit des contorsions, vous eprouvez toujours du mal a sous-estimer le president ivoirien ; pourquoi donc ne pas prendre acte de la maestria salvatrice du maitre d’abidjan, la verser au "dossier ivoirien", afin d’envisager une sortie de crise qui prenne enfin en compte les aspirations de la frange non intoxiquee du peuple Ivoirien, autant dire ...la cote d’ivoire reelle, que la propagande , avec une belle constance, tente d’ignorer depuis le debut de ce conflit ; comme d’autres , vous nagez aujourd’hui dans les brisures du thermometre casse, sans jamais parvenir a faire baisser la fievre ;
    comprenez donc, monsieur , que le traitement de la crise ivoirienne commande courage, objectivite et honnetete, seuls antidotes"aux desillusions de salif diallo", le negociateur de l’ombre.

    sincerement

    Dr. jacques lohourou digbeu-badlor,usa

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