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CHRYSCOGONE ZOUGMORE, PRESIDENT DU MBDHP : "Nous assistons à un retour insidieux aux Etats d’exception"

Publié le mardi 20 octobre 2009 à 03h54min

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Dans cet entretien que nous a accordé le président du MBDHP, Chrysogone Zougmoré évoque la contribution de son mouvement à l’instauration de la démocratie au Burkina Faso. Le président du MBDHP déplore les graves atteintes aux droits humains et constate un retour insidieux aux Etats d’exception sur le continent africain, imputable à l’échec des démocraties électorales de nos Etats. Chrysogone Zougmoré estime qu’il est temps que le principe des candidatures indépendantes soit adopté. Il souhaite que le MBDHP puisse encore fêter 20 autres années avec l’engagement de l’ensemble des militants travaillant avec les populations des provinces, des départements et des villages du Burkina.

"Le Pays" : Comment se déroule une journée du président du MBDHP ?

Chrysogone Zougmoré : Ma journée est comme celle de tous les Burkinabé. A 6h je suis levé et à 7h30 je suis au bureau où je traite les dossiers du jour qui me sont soumis par la secrétaire, de concert avec l’ensemble des 11 membres du personnel. Je rentre chez moi à midi pour réprendre à 15h. Je descends parfois à 19h quand je suis très chargé.

Est-il facile de succéder à Maître Halidou Ouédraogo ?

Le travail que nous menons au MBDHP est un travail d’équipe. Tout est fonction de l’organisation qui est mise en place. Halidou Ouédraogo a fait plus de 18 ans à la tête du MBDHP. Il a marqué de son empreinte le mouvement dont je viens de prendre la direction il y a seulement 2 ans de cela. Durant ces 2 années, nous avons fait beaucoup de choses quant à la relance du Mouvement.

Maître Halidou Ouédraogo est-il parfois sollicité pour vous donner un coup de main ?

Maître Halidou Ouédraogo, comme vous le savez, a été élevé au rang de président d’honneur du MBDHP. Lorsque nous avons besoin de ses services pour animer une conférence, il n’hésite pas à répondre favorablement. C’est ainsi qu’il a participé au panel que nous avons organisé dans le cadre du 20e anniversaire. Avant tout, il reste un militant du MBDHP. Et comme tous les autres militants, nous ferons de temps en temps, appel à eux lorsque cela sera nécessaire.

Le MBDHP est-il fier de ses 20 ans ?

Bien sûr que nous en sommes fiers. 20 ans, c’est tout de même important. Il y a des organisations qui sont nées après le MBDHP mais n’ont pas vécu plus de 4 ou 5 ans. Notre mouvement a été bâti sur des objectifs nobles et des fondements assez solides. Le MBDHP s’était donné pour objectif d’oeuvrer au retour d’une vie constitutionnelle normale. Rappelez-vous que nous sommes nés en 1989 à la suite de deux régimes d’exception, le Conseil national de la Révolution (CNR) et le Front populaire (FP), à un moment où les libertés publiques et les droits de l’homme n’étaient pas du tout respectés. Nous avons créé le MBDHP pour rechercher une vie meilleure pour le Burkina Faso et pour l’ensemble des Burkinabè. Avoir pu traverser ces 20 ans sans fléchir, sans nous ramollir est un vrai motif de fierté et nous avons célébré cela les 25 et 26 septembre dernier.

Le MBDHP a-t-il son aura d’antan, 20 années après ?

Je pense que oui. Il fut des moments où la situation socio-politique a été très tendue. Je veux parler des années 1998 à 2003. Durant cette période, l’activité du MBDHP a été très forte. Mais de façon générale, le mouvement garde intacte son aura. Nous sommes présents sur l’ensemble du territoire national et sommes l’organisation la mieux implantée au Burkina Faso et même en Afrique sans fausse modestie. A la faveur de la 5e Assemblée générale statutaire, nous avons pu mesurer la présence du MBDHP. 160 délégués venus des 4 coins du pays, des sections venues de Côte d’Ivoire, de France et du Sénégal.

Le MBDHP travaille-t-il de façon sereine ou est-il parfois victime de menaces ?

Il arrive que nous recevions des menaces. La nature du travail que nous faisons n’est pas facile. Mais nous nous sommes jusqu’ici imposés par la force de nos arguments et également par le nombre et la qualité de nos militants. Si nous continuons d’exister, c’est que nous travaillons en toute objectivité. Certains ont essayé de nous coller des étiquettes d’organisation proche des partis politiques d’opposition. Si nous continuons d’exister aussi et si les populations nous font toujours confiance, c’est que nous travaillons en toute honnêteté dans le domaine de la protection et de la promotion des droits humains.

La présence d’une personnalité comme Salif Diallo, ex-ténor du CDP, dans vos rangs aux premières heures du MBDHP, a-t-elle été pour vous un avantage ou un obstacle ?

Nous ne regardons pas la couleur politique de ceux qui viennent au MBDHP. C’est un mouvement ouvert à tout le monde. Nous considérons beaucoup plus l’engagement, le militantisme des uns et des autres. Ce n’est pas parce qu’il est ou était au CDP qu’il faut le singulariser. Au MBDHP, nous avons des militants venant de tous les partis politiques. On ne peut pas dire que le passage de Salif Diallo ait apporté quelque chose de particulier. Chaque membre du MBDHP apporte sa contribution au renforcement de l’organisation.

"Nos militants ont été bastonnés, nos sièges saccagés"

Quels sont les temps forts dans la vie du MBDHP ? Quels sont les bons et les mauvais souvenirs qui vous sont présents à l’esprit ?

Le MBDHP est né pour faire en sorte que les droits humains soient respectés dans ce pays et nous avons mis un accent particulier dans ce sens. Nous avons activement contribué à l’écriture de la Constitution du Burkina Faso. Le titre I de notre Constitution porte fortement l’empreinte du MBDHP. A l’époque, nous avions des personnes comme Halidou Ouédraogo, Yarga Larba et Aimé Nikiéma qui ont activement pris part à la rédaction de la Constitution. Cela a été un moment très important, notre contribution pour un retour à une vie constitutionnelle normale. Nous nous sommes également impliqués dans la lutte contre l’impunité à la suite de l’assassinat crapuleux de Norbert Zongo et de ses compagnons le 13 décembre 1998 à Sapouy. Ce moment-là a également été très fort pour notre mouvement. Jusqu’en 1998, on n’avait pas vu le MBDHP aussi engagé à travers tous les militants et l’ensemble de ses structures. Nous en avons aussi payé le prix. Nos sièges ont été saccagés dans certaines localités comme Koudougou, Réo ou Tenkodogo. Nos militants ont été bastonnés comme à Yako et à Ouahigouya. Mais nous avons tenu bon parce que nous croyions en nos objectifs. Si c’était à refaire, nous n’hésiterIons pas une seule seconde. Du reste, nous sommes toujours à la tête du Collectif des organisations démocratiques de masse et des partis politiques que nous présidons depuis 1998.

Quels commentaires faites-vous de la situation des droits humains au Burkina Faso ?

Il n’est pas exagéré de dire que la situation n’est pas si rose que ça. Nous avons même en ce moment des craintes quant à un retour à des situations d’exception. S’agissant des droits civils et politiques, nous constatons un retour insidieux de ce que nous avons connu dans les années 2000 : des exécutions sommaires et extrajudiciaires, sous le couvert de la lutte contre le grand banditisme. Il y a une loi très dure qui a été adoptée et qui est assez préoccupante dans certaines de ses dispositions. Par exemple lorsque les délais de garde-à-vue passent de 5 à 15 jours, cela est préoccupant pour un Etat de droit qui se veut respectueux des droits humains et des libertés. Lorsqu’on remplace la notion de légitime défense par la notion d’absolue nécessité, cela ouvre la voie à toutes les dérives. Cette loi préoccupe donc les organisations de défense des droits de l’homme que nous sommes. Nous avons la persistance malheureuse des arrestations et des détentions arbitraires. Certaines personnes sont détenues dans des postes de gendarmerie et de police plus d’un mois, pour des problèmes mineurs. Pire, nous constatons que dans certains de ces postes de police et de gendarmerie, on pratique la torture. Les intéressés parlent d’interrogatoires musclés ; mais nous, nous appelons cela de la torture. Il y a un cas en ce moment que nous suivons. Dès que nous aurons suffisamment d’éléments, nous le ferons savoir.

Pour ce qui concerne les droits économiques, sociaux et culturels, il y a bien évidemment le phénomène de la vie chère avec des populations qui deviennent de plus en plus pauvres ; des familles qui n’arrivent plus à se nourrir. Tout cela fait partie des droits de l’homme. Le droit à l’éducation, le droit à la santé, le droit à un logement. Les pluies diluviennes qui se sont abattues le 1er septembre, à Ouagadougou et dans d’autres villes du Burkina, ont revélé au grand jour que le droit au logement est un droit fondamental pour les populations. De manière générale, je pense qu’il y a des éléments de préoccupation en matière de droits humains dans notre pays. Du point de vue des droits politiques, 20 ans après le retour à une vie constitutionnelle normale et après qu’on ait déclaré la communalisation intégrale avec tout ce qui s’est passé dans certaines communes où des maires ont été décriés, parfois chassés, il est temps que le principe des candidatures indépendantes aux élections locales de base, notamment les municipales, soit adopté ; ce principe que nous défendons et pour lequel nous avons lancé une campagne pétitionnaire depuis 2006. Voilà donc un ensemble d’éléments qui nous font dire que la situation des droits humains au Burkina Faso n’est pas rose.

Qu’en est-il de la situation dans nos prisons ?

La situation dans nos prisons est exécrable. Nous avons visité à deux reprises la Maison d’arrêt et de correction de la ville de Ouagadougou et ce que nous y avons vu est vraiment déplorable. Vous y trouverez des prisonniers qui ne ressemblent plus à des êtres humains mais beaucoup plus à des animaux. Même quand on est en prison, on reste humain. Il est temps que les autorités en charge de ces questions s’intéressent aux conditions de vie des personnes incarcérées. Nous avons interpellé le chef de l’Etat sur la question. Nous avons également connu, il n’y a pas longtemps, les tentatives d’évasion à la prison de Koudougou où il y a eu 6 morts et des blessés dans une situation critique. Tout cela relève des situations difficiles que vivent les prisonniers. Quelque chose doit être fait pour améliorer leurs conditions de détention.

"Dadis doit passer devant les tribunaux"

Quel est le jugement du MBDHP sur la question des droits humains en Afrique ?

Le MBDHP ne se préoccupe pas seulement des questions des droits humains au Burkina Faso. Ce qui se passe aussi ailleurs, sur le continent africain, le préoccupe. La situation de la démocratie, des droits humains en Afrique est extrêmement pénible. Cela s’explique par l’échec des démocraties électorales imposées à nos Etats. Nous assistons en ce moment à un retour insidieux aux Etats d’exception. Les exemples de la Guinée, de la Mauritanie, du Niger, du Gabon, du Togo sont parlants. Certains chefs d’Etat sont élus sur des bases qui ne sont pas claires, donc des pouvoirs illégitimes de fait, même si on parle d’élections. Lorsqu’un fils ou un frère de chef d’Etat se déclare candidat à une élection, il est automatiquement vainqueur même avant la proclamation des résultats. Ce qui s’est passé en Guinée illustre le caractère difficile et inadmissible de la situation des droits de l’homme en Afrique. Le MBDHP a été très clair. Il faut que Dadis Camara quitte immédiatement le pouvoir. Les responsables de ce massacre doivent être arrêtés et punis à la hauteur de leur forfait. C’est un crime contre l’humanité. Le capitaine Moussa Dadis Camara doit passer devant les tribunaux guinéens, africains ou internationaux. Des mesures doivent être prises pour que de pareils crimes ne soient plus jamais commis en Afrique.

Parlez-nous des difficultés et des problèmes que vous rencontrez au MBDHP...

Comme toutes les organisations, nous avons aussi des problèmes. Pour réaliser les activités que nous menons depuis 20 ans, il faut des moyens. Pour ce qui est des ressources humaines, nous avons suffisamment de militants aguerris. C’est au niveau des ressources matérielles et financières que nous avons beaucoup de problèmes. Nous fonctionnons largement grâce à la contribution financière de partenaires extérieurs. A terme, cela constitue un danger pour la vie de notre organisation. L’une de nos priorités aujourd’hui consiste au renforcement de l’autonomie financière du MBDHP pour la pérennité de son action. D’ici 5 ou 10 ans, nous pourrons trouver des solutions assez réalistes pour parer à l’éventualité de tout arrêt des subventions de nos partenaires.

Quelles sont les principales conclusions et décisions prises au cours de votre Assemblée générale statutaire (AGS) des 25 et 26 septembre 2009 qui a coïncidé avec la commémoration de votre vingtième anniversaire ?

L’AGS a pris comme principale décision d’implanter le MBDHP dans les départements et dans les villages du Burkina. Si nous voulons réussir notre mission de promotion et de protection des droits humains, il nous faut impliquer l’ensemble des populations dans le travail que nous faisons. Il est plus qu’impératif pour nous de nous investir dans les départements et dans les villages. Nous avons longtemps travaillé pour les populations. Il est temps aujourd’hui que nous travaillions avec elles. C’est un objectif visé et un pari lancé au cours de l’AG statutaire. Ce pari, je pense, sera tenu. J’invite l’ensemble des militants à beaucoup plus d’engagement et de détermination, où qu’ils se trouvent.

Le MBDHP a passé le cap de ses 20 ans et il faut souhaiter que nous puissions encore fêter 20 autres années. Si cela doit se faire, ce sera avec l’engagement de l’ensemble des militants. Je voudrais également appeler l’ensemble de la population à soutenir davantage le Mouvement dans les provinces, les départements et les villages. C’est à ce niveau là que bat le pouls de la nation. C’est donc un appel lancé pour le renforcement de l’organisation à l’endroit de nos militants et de la population du Burkina. Je voudrais également saluer l’action de la presse qui, durant ces 20 ans, nous a parfois accompagnés en rendant visibles nos actions et en nous soutenant. Du reste, nous avons dans nos rangs, un grand nombre de journalistes qui nous aident à faire ce travail de protection, de promotion et de défense des droits humains. Merci donc à la presse. Nous souhaitons qu’elle puisse toujours nous accompagner dans notre sacerdoce.

Le Pays

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