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Maître Issouf Baadhio, nouveau bâtonnier : "Nous voulons d’un barreau qui accompagne et porte la société civile"

Publié le lundi 12 octobre 2009 à 03h31min

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Me Issouf Baadhio

Elu en juin dernier pour succéder à Me Antoinette Ouédraogo, Me Issouf Baadhio, le nouveau bâtonnier, prendra officiellement fonction, sauf report de dernière minute, aujourd’hui lundi 12 octobre. C’est assurément un grand jour pour Issouf Baadhio, ce maître de parole de grand talent et homme discret, voire effacé, qui, après avoir été à de nombreuses reprises candidat malheureux à la tête du barreau, voit ainsi sa persévérance récompensée. A la tête de tous les membres du conseil de l’ordre, il prendra le bâton de St Nicolas, symbole de son bâtonnat, devant un parterre d’hommes de droit, de politiques, de parents et d’amis. Quelques jours avant cet événement, nous avons bien voulu le rencontrer à son cabinet pour un entretien.

Voilà un quart de siècle que vous êtes sur la brèche dans la défense de la veuve et de l’orphelin. Est-ce un métier difficile que d’être avocat ?

Je vous remercie d’avoir eu l’amabilité de venir à moi. Dire que c’est un métier difficile, c’est presque un euphémisme puisque c’est un domaine qui cumule beaucoup d’exigences. D’abord l’indépendance, car il n’est pas facile d’être indépendant dans un monde interdépendant. La deuxième grosse difficulté, c’est d’être inscrit dans la durée. La troisième, c’est de concilier sa vie personnelle à sa vie professionnelle. Mais, au-delà de tout cela, c’est un métier passionnant, qui ouvre des portes, qui vous projette sur la vie, sur les hommes. C’est donc un métier certes difficile, mais complet.

Au fait, quelles étaient vos motivations en embrassant ce métier ?

La première chose qui m’a poussé à embrasser cette profession, c’est l’influence des grands hommes, mais non par mimétisme. Il y a aussi l’attrait qu’elle représente en termes d’indépendance et de liberté.

Pour bon nombre de justiciables, être avocat, c’est synonyme de baigner dans l’opulence. Est-ce effectivement le cas ?

Il n’y a pas de relation de cause à effet. Le vécu de l’avocat a deux principes fondateurs que sont le tact et la modération. C’est un métier qui peut permettre à ceux qui l’exercent d’avoir une certaine aisance, pas seulement matérielle. Je dis toujours en m’amusant que je fais ce métier pour ne pas mourir idiot, mais certainement pas pour être riche parce que, pour l’être, il y a des possibilités beaucoup moins coercitives que le travail intellectuel, besogneux. Ceux qui y viennent pour être riches, déchantent vite. L’avocat se bonifie un petit peu avec le temps et l’expérience, et sa rémunération est fonction de son expérience et de sa notoriété. Ainsi, vous conviendrez avec moi que ce ne sont pas des choses qui s’achètent au marché.

A-t-on sur la place des avocats qui gagnent difficilement leur vie ou qui végètent carrément ?

Oui ! Ne vous faites pas d’illusions, le milieu s’est fortement paupérisé pour beaucoup de raisons. La première, c’est qu’il n’y a pas d’adéquation entre l’offre et la demande. C’est un métier ouvert, libéral, indépendant, pour ceux qui passent le filtre de l’examen du certificat d’aptitude à la profession d’avocat et qui remplissent les conditions de moralité d’éthique. Corrélativement, il est extensible et nous avons une pyramide des âges pour ce qui concerne les 150 avocats environ que compte le barreau du Burkina. Un avocat est quand même quelqu’un qui a fait des études supérieures ; et si ce monsieur était dans la fonction publique ou un travailleur du privé, il ne serait certainement pas relégué au rôle de planton. Par conséquent, nous pensons qu’il faut un minimum pour exister. Nous avons aujourd’hui certains confrères qui ont du mal à joindre les deux bouts.

Après plusieurs tentatives pour accéder à la dignité du bâtonnat, vous y voilà désormais ! Quelle a été l’ambiance au cours de cette élection ?

Toutes les élections auxquelles j’ai eu à participer, je l’ai fait avec mes convictions et mes principes. Je n’ai jamais dérogé ni à mes principes ni à mes convictions. Les débats qu’il a pu y avoir sur le devenir de la profession étaient des débats francs et directs.

Était-ce une élection comme une autre ?

Non, puisque, cette fois-ci, il y avait quatre candidats pour 150 avocats ; si vous faites le ratio, vous aurez un avocat pour 35 électeurs.

Quel est le rôle du bâtonnier ?

Le bâtonnier est le chef de l’Ordre. En tant que tel, il préside le Conseil de l’Ordre qui a la charge de l’administration de l’Ordre. Par conséquent, il représente cette instance dans tous les actes de la vie civile, prévient et concilie les différends d’ordre professionnel entre les membres du barreau, instruit les réclamations formées par les tiers. Il a, seul, qualité pour représenter l’Ordre auprès des autorités judiciaires, administratives et des pouvoirs publics, et pour traiter toutes les questions relatives aux intérêts de l’organe. Le bâtonnier représente à tout moment l’Ordre tout entier. Les confrères ne doivent donc pas s’étonner qu’il reçoive des honneurs particuliers et qu’il représente l’Ordre dans toutes les cérémonies et en toutes circonstances.

Les confrères veilleront à respecter le bâtonnier et à lui prodiguer les marques extérieures de respect qui lui sont dues, qui ne vont pas à l’homme ou à la femme, mais à l’Ordre qu’il symbolise. C’est en respectant le bâtonnier que les avocats feront respecter leur Ordre. De même, il est normal d’exiger que les magistrats nouvellement nommés devant un tribunal, selon l’usage immémorial, rendent visite au bâtonnier. Certains ignorent ou veulent s’affranchir de cet usage, car ils craignent de marquer au barreau une allégeance particulière par cette marque de courtoisie. L’ordre des avocats refusera alors d’assister à l’installation de ces magistrats. Le bâtonnier peut déléguer tout ou partie de ses fonctions à un ou plusieurs membres du Conseil de l’Ordre.

Tout avocat inscrit peut-il être candidat au bâtonnat ?

Non. La loi prévoit que pour être élu bâtonnier, il faut avoir au minimum 10 ans d’ancienneté. Il y a un tableau qui déroule la présence des avocats par ordre d’ancienneté au tableau. Il faut aussi être à jour de ses cotisations et ne pas avoir été l’objet de sanction au cours de sa carrière.

Comment expliquez-vous vos échecs lors de vos précédentes tentatives ?

Je n’ai pas d’explications rationnelles à donner. J’insiste bien sur le mot rationnel. A cette question, je réponds que, pour ce qui me concerne, je n’ai ni changé dans ma méthode d’approche, ni dans mon vécu quotidien, ni dans la perception que j’ai du métier dans son vécu d’aujourd’hui et dans son devenir.

Pour vous, être bâtonnier, est-ce une étape ou un objectif final ?

Je suis avocat par choix. C’est un objectif professionnel. Je me sens bien dans ma peau d’avocat.

Quelles sont vos priorités au cours de ce mandat ?

Beaucoup de priorités. La première, c’est effectivement replacer le barreau dans sa position institutionnelle sur l’échiquier républicain. Nous avons depuis un barreau qui n’est pas bien visible du point de vue de sa position institutionnelle ; qui ne joue pas pleinement son rôle sur la scène républicaine, nous avons un barreau qui ne porte pas la société civile, qui ne l’accompagne pas. Nous allons axer notre mandat aussi sur l’éthique et la déontologie. L’avocat est un auxiliaire de justice, mais pas un auxiliaire du juge et au cours de notre mandat, nous allons travailler à mieux le positionner aussi bien dans la société civile qu’au niveau judiciaire. Nous sommes dans une profession libérale, mais pas libertaire ; et nous allons travailler à amener l’ensemble des avocats à y adhérer. C’est par là que passe la survie du corps.

Il y a environ 150 avocats au Burkina. Ce nombre est-il conforme aux ratios internationaux ?

Pas du tout ! En la matière, la norme internationale ne veut rien dire parce que cette norme doit être conforme au revenu par habitant. Si vous avez 15 millions d’habitants dans un pays et que sur ce chiffre moins de 2 millions peuvent solliciter les services d’un avocat, statistiquement ce ratio ne tient pas la route. La frange des Burkinabè qui peuvent requérir les services d’un avocat sur l’ensemble de la population représente epsilon. Dans cet epsilon, il y a ceux qui pensent qu’ils ont affaire à un service public, qu’ils ne doivent donc pas payer, ce qui réduit encore plus.

Que pensez-vous de la CARPA et surtout de son application sur le terrain ?

La CARPA était conçue au départ pour sécuriser les fonds que les avocats percevaient pour le compte de leurs clients. Le problème, c’est que cette caisse n’a pas beaucoup de visibilité. Elle est même insuffisamment promue au sein des avocats. Il y a pas beaucoup de coercition au niveau des confrères qui seraient tentés de ne pas utiliser cet outil. Mais en ce qui me concerne, j’ai déjà annoncé la couleur ; je ne serai pas le premier responsable de la CARPA en tant que bâtonnier parce que j’estime qu’on ne peut pas être juge et partie. Lorsque le bâtonnier a besoin de solliciter cette structure, il ne peut être à la fois celui qui demande et celui qui autorise.

Pour ce faire, je ne serai pas le prochain président du Conseil d’administration de la CARPA. Les textes sont clairs, son conseil d’administration est élu par un collège électoral. Nous devons avoir un conseil responsable, qui rend compte effectivement à l’Assemblée et qui informe le bâtonnier de la bonne marche de la CARPA.

Que pensez-vous de la justice burkinabè où il est beaucoup fait cas de corruption ?

Ma position sur ce point a toujours été claire. Il n’y a pas de devenir professionnel pour l’avocat, auxiliaire de justice, dans un contexte de corruption. Maintenant, dire que la corruption n’existe pas sur le plan social, personne ne le nie. Mais je ne pense pas que le système judiciaire soit plus corrompu qu’une autre administration. Cependant, le véritable problème est de savoir comment promouvoir une justice saine.

Mais en tant que bâtonnier, je travaillerai à deux choses : la première, c’est qu’on se parle, donc la promotion du dialogue. C’est ce que j’appelle le premier et le dernier rempart, le cycle de l’interprofessionnalité. Il faut qu’il y ait un barreau respecté et transparent. Il y va de l’intérêt de la justice, mais c’est un intérêt capital sur le plan social. Pour ce faire, nous avons besoin d’un ciment d’interprofessionnalité entre les avocats, les magistrats, les huissiers, les notaires, etc., qui sont une chaîne de la complémentarité. Et nous devons nous battre pour que cette complémentarité ne soit pas un vain mot. Et, avec moi, le barreau doit jouer sa partition.

Entretien réalisé par Boureima Diallo

L’Observateur Paalga

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