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Proverbe du Jour : “Nous sommes lents à croire ce qui fait mаl à сrοirе. ” Ovide

Inondations du 1er septembre : 24 heures dans la peau d’un sinistré

Publié le mercredi 30 septembre 2009 à 03h13min

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Avec plus de 1800 âmes en détresse pour seulement 6 salles de classe, l’école Koubri Nabmanegma de Lanoag yiri (sur l’axe Ouaga-Pô) a enregistré la plus forte concentration de sinistrés des inondations du 1er septembre. Pour tous ces damnés…du ciel, c’est le cas de le dire, dont les maisons, en zone non lotie, ont fondu comme du sucre sous la pluie, une question brûle les lèvres : que va faire l’Etat pour leur relogement ? Obsédante question qui vaut son pesant de tourment dans cette galère des quelque 60 mille sans-abri que compte désormais la capitale. Du vendredi 18 au samedi 19 septembre 2009, nous avons vécu, vingt-quatre heures durant, ce que vivent, depuis plusieurs semaines, les victimes du déluge. Récit.

Le ciel est noir, piqué d’une myriade d’étoiles. Sous les couvertures, des corps recroquevillés sur des nattes. Pêle-mêle. D’autres sont vautrés sur des tables d’écolier. Faute de couchettes. Il fait froid. La rosée perle sur les êtres et les choses. Aucune moustiquaire dressée sur ce vaste espace vide transformé en dortoir géant. Régal pour les moustiques et autres insectes piqueurs-suceurs. Soudain, un cri déchire le voile de silence. « Maman, maman ! » Le verre de thé reste coincé entre mes lèvres. Coup d’œil sur l’horloge de mon téléphone portable : 1 H 30 du matin. « C’est comme cela toutes les nuits. Le sommeil est toujours agité », lance, avec détachement, l’agent de police municipale, derrière sa théière. Son compagnon de garde, lui, se précipite en direction du point d’où est parti le vagissement.

Un instant après : « RAS ! »

Juste un môme qui a fait un cauchemar. « L’autre nuit, c’est jusqu’au fond diable là-bas que j’ai retrouvé un enfant en pleurs », poursuit notre fakir (1). Son breuvage, servi fumant et aromatisé à la menthe, a fait effet tout au long de la nuit. Durant tout ce temps, calme plat sur le site. Il s’agit plutôt du calme après une journée particulièrement angoissante. Matinée du vendredi 18 septembre. Profonde anxiété à l’école Koubri Nabmanegma. Ses pensionnaires de fortune, les sinistrés de Lanoag yiri, sont transis d’émotion. La rentrée scolaire approche. Obligation leur est donc faite de lever le camp. Dare-dare. Invités, dans cette perspective, à se faire recenser, pour tous ceux qui veulent rejoindre les nouveaux sites d’accueil, c’est pourtant avec du plomb dans les jambes et la peur au ventre que les « volontaires » se sont présentés devant l’assistante sociale.

Annoncée la veille, la nouvelle de la délocalisation est tombée, comme le ciel, quelque deux semaines auparavant, sur la tête des sinistrés. Elle est d’autant plus assommante qu’elle est livrée sans autre forme de précisions. Aucune information sur l’emplacement des nouveaux abris de fortune. Idem sur la durée du séjour. « Nous-mêmes, nous ne savons pas où on doit les recaser. Ma tâche ce matin, c’est de prendre l’identité de tous ceux qui désirent rejoindre les sites définitifs », claironne l’agent recenseur Habibou Sanga. Installée sous un arbre, elle couche sur du papier blanc, dans des colonnes, visiblement tracées à main levée, nom, prénom, numéro de téléphone et nombre d’enfants en âge de scolarisation des occupants des lieux.

« Tous ceux qui s’inscrivent ont obligation de rejoindre les nouveaux centres. Sinon, ils auront à en répondre à la gendarmerie », s’égosille-t-elle, visage en sueur, écume aux lèvres. Trois policiers, postés à l’écart, veillent discrètement sur l’ordre dans le rang. « La file est longue parce que beaucoup croient que c’est le début d’une opération d’attribution de parcelles », me confie-t-elle, mezza voce.

Ont-ils tort de le croire ? Non, pas vraiment ! En effet, parmi les renseignements recherchés par le ministère de l’Action Sociale et de la Solidarité nationale, figure un détail équivoque : le nombre de tôles dont était coiffée chaque maison. « Vraiment, je n’en sais rien. Le renseignement nous a été en réalité demandé par le ministère de l’Habitat. Est-ce pour aider à reconstruire les maisons ou à trouver des terrains, prrr ! », confesse l’éducatrice sociale. Aussi volubile que dévouée à sa tâche, elle n’hésite pas à jouer sur le registre de la parenté à plaisanterie pour arracher un sourire, même contenu, à ses « esclaves » bissa.

Questions sans réponses

« Toi, je vais t’envoyer cultiver mon champ d’arachides ». La galéjade fait mouche : « Un maître qui travaille pour son serf, c’est un sacrilège », rétorque un vieil homme, la voix chevrotante. A la queue leu leu, visage hâve, pas lourds, « les volontaires » reviennent du point de recensement, la tête fourmillant de questions sans réponses. « Ils ont dit que nous devons déménager. C’est normal parce que c’est bientôt la rentrée des classes. Mais où, jusqu’à quand ? On ne nous dit rien. C’est vrai que le gouvernement a fait des efforts pour soutenir les sinistrés. Mais ce que nous demandons par-dessus tout, ce sont des parcelles en zones loties », rage Ablassé Nikiéma. Sa maison écroulée, ses biens emportés par les eaux, ce bagagiste dans une société de transport de la place a rejoint, avec femme et enfants, la cohorte de malheureux du 1er septembre qui a pris ses quartiers dans cet établissement scolaire.

Sa nouvelle vie ? Il la trouve très difficile, surtout pour son épouse et ses deux gosses, qui ne parviennent toujours pas à s’en accommoder. Mais lui, le zaksoaba (chef de famille), ne doit pas défaillir, comme le lui ont enseigné ses pères. Il fait alors contre mauvaise fortune bon cœur : « C’est le sababo [NDLR : le destin]. Si Dieu décide que je vais me relever, ce sera chose faite ». La petite foule qui l’entoure acquiesce gravement de la tête. La résignation est palpable sur les visages. Mais Rasta, lui, a les nerfs toujours en pelote et tient à ce que cela ressorte dans le journal. « L’argent qu’ils utilisent pour nous acheter de quoi manger aurait dû servir à nous trouver des maisons sap sap [NDLR : rapidement, dans le langage populaire] ».

De son vrai nom Amado Barry, Rasta, coiffé d’épaisses nattes emmêlées, a perdu, outre son ghetto comme il le dit, un bien que, selon lui, rien ni personne ne pourra lui restituer : « J’ai regardé, impuissant, mes djembés et la maquette de mon œuvre musicale flotter dans l’eau en direction de je ne sais où. Quand la pluie a cessé dans l’après-midi, j’ai foncé immédiatement chez mon manager, dont le studio est situé à Dapoya ». Peine perdue. « Là-bas, je me suis rendu compte que la maison d’enregistrement a elle aussi complètement disparu ». C’est dire que Jah, le Dieu rastafari, a abandonné son ouaille à la colère de la nature. Depuis, l’artiste est devenu un sans-domicile-fixe. Hébergé par un ami, il lui arrive parfois de passer la nuit au site, au milieu de ses compagnons d’infortune.

Mais ce matin-là, la présence du musicien en herbe sur les lieux n’a rien d’une simple visite de courtoisie comme il le fait souvent. « J’ai appris qu’il y a un recensement. Alors, je suis venu m’inscrire. On n’en sait jamais ». On n’en sait jamais quoi ?« Peut-être qu’après cela, il y aura une opération de distribution de parcelles », se met-il à conjecturer. Mais son visage, subitement maussade, en dit long sur le degré de pessimisme qui le ronge de l’intérieur.

Il fait chaud. Le soleil est au zénith. La vaste cour, naguère grouillante de monde, perd de son effervescence. Le menu peuple s’abrite par grappes sous les arbres. D’épaisses volutes de fumée continuent de s’élever dans le ciel. Des femmes agitent avec acharnement des morceaux de carton tout autour des foyers, faits de pierres.

Les vivres commencent à faire défaut

Il est midi passé. Le repas du jour, du couscous de maïs, mijote à n’en pas finir dans des marmites dernier format ; celles qu’on utilise dans les internats, les casernes ou chez les dolotières. Face aux va-et-vient ininterrompus des garnements, une dame fulmine : « Nous faisons de notre mieux. Depuis hier, il n’y a aucune goutte d’eau. Le forage est en réparation. Nous avons été obligées d’effectuer plusieurs allers-retours au diable vauvert pour recueillir l’eau », explique Salamata Zoungrana, les yeux rougis et la voix enrouée par la fumée. Mais il n’y a pas que le liquide précieux qui fît défaut ce jour-là au centre d’accueil.

En effet, dans une des salles de classe, transformée en magasin, plus d’huile, plus de poisson fumé, plus de haricot. Conséquence, le riz au gras assaisonné de sardines et le couscous au benga, les deux aliments de base, sont désormais réduits à leur plus simple expression. Une frugalité alimentaire qui nourrit toutes sortes de rumeurs sur le site. En effet, des chuchotis font état de détournements de dons et de favoritisme à l’égard de certains proches des membres du comité de gestion. « Parfois, c’est au milieu de la nuit qu’on vient distribuer des morceaux de papiers [NDLR : tickets donnant droit à l’accès au repas]. Des gens qui ne sont pas sinistrés reçoivent nattes et habits.

Sans compter les autres choses qui disparaissent », souffle O.S. L’œil toujours fureteur, il évoque, non sans délectation, la convocation du magasinier, quelques jours auparavant, par la police. Brève interpellation dont le gestionnaire de stocks, Balirabou Atieguiba Pascal, reconnaît avoir été l’objet, avant de monter au créneau, brandissant la thèse de la dénonciation calomnieuse : « Après quelques heures d’interrogatoire, les policiers m’ont relâché et ils m’ont dit de continuer à gérer les dons parce qu’il n’ y a rien contre moi ». Plus tard dans le magasin, il ajoute : « Je suis sinistré comme eux. Et comme eux, j’étais un résident du quartier Lanoag Yiri, même si je ne suis pas né là-bas. On se connaît. Yen a qui ne supportent pas de voir les clés de la maison entre les mains d’un étranger ».

A l’écart, sous un arbre, le regard triste, un môme au ventre ballonné sur les jambes, Pamoussa Nikièma, est en rogne. Il est 13h passées, la cuisine n’est toujours pas terminée. L’enfant crève de faim, le père, de chagrin. Le petit dévore des yeux le tô qu’une femme vend à côté, le géniteur est sans le moindre kopeck. La veille, celui-ci s’était tapé, à crédit, deux bonnes tartes de maïs accompagnées d’une sauce d’oseilles. Les soupirs carillonnants qu’il pousse par intervalles réguliers expriment la houle de dégoût qui lui monte de l’estomac. Le souvenir des jours fastes lui revient irrésistiblement à l’esprit : « A Abidjan, j’étais loin de penser que je vivrai pareille chose dans mon pays ». Soupir.

Soupçons de détournement

Né pour la besogne, l’ex-tâcheron, qui a gagné sa vie en terre ivoirienne à la force du poignet et à la sueur du front, est aujourd’hui dans le dénuement total.

De retour, l’après-midi du fameux mardi noir, de Fada où il était employé comme ouvrier sur un chantier, le kooswéogo (émigré de longue date en mooré), comme le désignent certains, n’a eu que ses yeux pour pleurer. Sa bicoque ? Réduite en amas de boue, de bois et de tôles froissées. Sa moto achetée il y avait à peine six mois de cela ? Emportée par les torrents et il en était toujours sans nouvelle le vendredi 18 septembre. Ses économies de plus de 150 000 francs ? Complètement dissipées par Dame Nature. Comble de malheur, la natte sur laquelle il dormait au centre d’hébergement a été volée, et le comité de gestion « refuse de lui en trouver une autre ». L’astre du jour poursuit sa course vers le couchant.

Dès la tombée de la nuit, le coin grouille de nouveau de ses pensionnaires. Contrairement au déjeuner, le dîner, du riz au gras, est, lui, tombé à l’heure. Rupture du jeûne musulman oblige. Mieux, chacun a reçu sa pitance du soir, contrairement encore au repas du midi, qui n’a pas suffi à satisfaire toutes les bouches.

Toutefois, les spaghettis, venus d’ailleurs, auraient été très inégalement distribués. Des membres du comité de gestion se seraient taillé la part du lion, laissant la portion congrue au gros de la troupe. « Ils [NDLR : les responsables] se sont servis à l’avance, sous prétexte que c’est pour casser le jeûne. Depuis quand des Emmanuel ou des Pascal [allusion faite au délégué et au magasinier] sont des musulmans ? », persifle, une fois de plus, O.S. avant d’aller choir sur sa couchette, l’ire affichée.

Subitement, des éclairs se mettent à zébrer le ciel. Inquiétude chez l’un des deux agents de police, qui m’avait prêté son imperméable en guise de protection, même dérisoire, contre les moustiques. « Quand il pleut, c’est grave. Les salles ne suffisent pas à abriter tout le monde. C’est la bousculade et, à deux, nous ne parvenons pas à rétablir l’ordre », raconte un des vigiles. Ouf ! On l’a échappé belle. Jusqu’au petit matin aucune goutte n’est tombée de la voûte. Idem pour les jours suivants.

Aux environs de 4h du matin, à la suite de l’appel du muezzin, des silhouettes humaines convergent vers la sortie de la cour. Une fois dehors, les unes prennent d’assaut le petit « restaurant-par-terre », où sont proposés du riz au gras et des spaghettis fumants, pendant que les autres traversent le bitume en direction de l’étal d’un vendeur de café et de thé. Ici, au site d’accueil de Lanoag Yiri, le petit-déjeuner ne figure pas au menu de l’aide alimentaire apportée par l’Etat.

Dans l’adversité, la foi en Allah est restée intacte chez nombre de sinistrés. Pour certains, celle-ci est le viatique de celle-là. Même s’ils savent que le lendemain, la fête de l’Aïd el-Fitre sera faite de privation (Lire encadré). Pareil regroupement humain est généralement source de divers problèmes sociaux.

- Est-ce vrai, par exemple, que la promiscuité favorise des conflits de génération ?
- Est-ce vrai que les rudes conditions de vie jette certaines dans la prostitution ?
- Est-ce vrai que les affinités se construisent autour de valeurs identitaires ? Autant de questions dont les réponses requièrent un temps d’investigation beaucoup plus long que les vingt-quatre heures passées avec les sinistrés. Mais, ce n’est que partie remise. (1) Terme utilisé chez nous pour désigner la personne qui prépare le thé vert de Chine.

Alain Saint Robespierre

L’Observateur Paalga

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Vos commentaires

  • Le 30 septembre 2009 à 11:54, par Totolitoto En réponse à : Inondations du 1er septembre : 24 heures dans la peau d’un sinistré

    Il ne faut pas que les sinistrés croient que l’Etat est capable de leur donner de l’argent, ce ne pas possible. L’Etat doit s’occuper d’abord de l’hopital, des ponts, les services sinistrés,etc... L’Etat a besoin de 70 milliards et en 21 jours il n’a euqe3,5 milliards, donc les inistrés n’ont qu’à se chercher ou se contenter de la tente, du riz, la natte et le couscous. Une fois que les écoles sont libérées, l’Etat est totalement libéré et tanpis pour ces pauvres sinistrés. Donc chers sinistrés, prenez vos responsabilités et cherchez vous vite et très vite car l’Etat ne pourra pas vous nourrir bientot. Excusez moi, mais je ne fais que vous dire la vérité, rien que la vérité. Je suis avec vous de tout coeur, mais soyez réalistes.

    • Le 30 septembre 2009 à 18:35 En réponse à : Inondations du 1er septembre : 24 heures dans la peau d’un sinistré

      Mon frère tu es cruel mais tu dis vrai. Cette prise en charge des sinistrés par l’Etat n’est que temporaire. Il faudra bien qu’ils reprennent le combat quotidien, et tout seul ! Tout simplement parce que c’est impossible pour le gvment de les reloger de façon durable.
      Ils peuvent espérer une aide à la réinsertion, mais sous nos cieux ce genre de mesure relève du rêve...

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