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Réhabilitation de Yamoussoukro : Gbagbo retape une belle oubliée

Publié le jeudi 24 septembre 2009 à 04h00min

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Les habitants de Yamoussoukro doivent une fière chandelle au président Laurent Gbagbo pour avoir courageusement pris l’initiative de réhabiliter la ville natale de Félix Houphouët-Boigny dans son rôle de véritable capitale politique de Côte d’Ivoire. Abandonné à son sort après la mort du “père de la Nation” en décembre 1993, le bastion des Akouè (une tribu Baoulé) commence depuis à vêtir ses attributs du pouvoir d’Etat sous le régime de l’opposant éternel au “Vieux”. Et les grands chantiers qui essaiment çà et là sont le témoignage éloquent de ce nouveau réveil.

Yamoussoukro n’est plus ce chapelet enchanteur des lacs comme pour donner la réplique à Abidjan avec sa perle des lagunes dont elle a ravi nominalement la place en 1984. Sous le poids de la vétusté de ses immeubles et de la dégradation très avancée de ses voies, la capitale politique ivoirienne a pris des rides. Gagnée par les outrages du temps, elle perd de plus en plus l’éclat qui l’a caractérisée tout au long du règne du “père de la Nation”, Félix Houphouët Boigny (1905-1993), natif de la localité. La première fournée de la forte délégation burkinabè à la conférence au sommet du Traité d’amitié en Côte d’Ivoire a été surprise d’entendre le pilote du vol spécial de “Air Burkina” indiquer que l’atterrissage à l’aéroport de Yamoussoukro est différé pour faute d’électricité sur le site. Elle s’est rendue à cette évidence en constatant les ampoules éteintes des lampadaires de la rue reliant l’aérodrome à la ville. Une chose impensable, il y a seulement quelques années. Le barrage de Kossou, à quelques encablures de là, doit en partie sa construction à la résolution exclusive des problèmes d’électricité de la ville. Les métayers agricoles de Houphouët, des Burkinabè, se sont plus à soutenir que l’on peut ramasser, la nuit venue, une aiguille dans les rues du village de leur employeur. “La cité est en train de battre de l’aile. La mairie n’a visiblement pas les moyens d’entretenir les infrastructures”, confie le chauffeur de l’équipe des journalistes. Les nombreuses fissures sur la piste d’atterrissage relatent bien cet abandon.

Le charme urbain a vraiment pris un grand coup avec des constructions déteintes et des nids de poule sur la plupart des artères de la ville. L’heure est au colmatage pour rendre la circulation moins dangereuse. L’hôtel, “Bonheur II” qui a longtemps captivé le regard des voyageurs est dans un délabrement avancé. Les lacs, jadis symboles de la localité, grâce à ses nombreux crocodiles et à l’immensité des lieux ressemblant à une lagune en pleine savane, sont envahis par la jacinthe d’eau et des immondices. L’insalubrité est à son comble surtout au quartier “Dioulabougou” où des grains de maïs et de riz sont séchés sur les trottoirs pendant que des femmes se débarrassent de toutes sortes de déchets ménagers aux abords. La très prestigieuse “Fondation Félix-Houphouët Boigny pour la paix” et le centre ville n’échappent pas à cette réalité. “Nous voulons bien assurer la propreté mais les bacs de la mairie ne suffisent plus et on ne sait pas où jeter les ordures si ce n’est pas dans la rue”, se convainc sans regret une tenancière de maquis.

La crise est venue donner un coup de massue en détournant sur d’autres axes, l’important trafic vers le Nord et l’Ouest dont la ville a été conçue pour être le carrefour privilégié voire un passage obligé. Rendant son environnement plus morose puisque cette situation a considérablement réduit les activités rémunératrices liées à cette position stratégique dans le transport routier à l’intérieur et à l’extérieur du pays. “Vraiment rien n’est plus comme avant. Le commerce ne marche plus. On se débrouille mais ça ne va pas”, se plaint Adjoua Kouamé, devant son fourneau de poisson à la braise à la principale escale. La ville natale de Houphouët-Boigny a cette faiblesse de n’abriter aucune usine. Une telle vision aurait pu aider à maintenir une certaine vitalité après la disparition du “Bâtisseur”. Aujourd’hui, elle se dresse majestueusement avec ses palais vieillissants sans aucune assise économique. Ce que la poche de “l’enfant prodige” a supporté hier, la municipalité ne peut l’entretenir. “Sans un apport conséquent de l’Etat, il est impensable que les ressources locales puissent faire face aux besoins sans cesse croissants et aux dépenses d’entretien. Les infrastructures nous dépassent”, avoue un conseiller municipal. Même si la communauté catholique ouest-africaine effectue toujours des pèlerinages à la Basilique, la belle époque où Yamoussoukro a rivalisé d’attrait des touristes avec des villes européennes semble révolue.

Retour à une ville natale de président

Il fut un temps où à plus d’une quinzaine de kilomètres de la ville, tout visiteur est frappé par l’éblouissante lumière des lampadaires bordant çà et là ses grandes artères. Point de renseignement pour se convaincre que l’on entre dans une “localité qui compte” où réside “une personnalité qui compte pour le pays”.
Un livre intitulé “Yamoussoukro : du village à la capitale” retrace avec force détail, les différentes étapes de cette spectaculaire métamorphose. Rendue possible grâce au seul désir de son fils devenu premier président de la République après avoir reçu en 1984, l’onction de l’Assemblée nationale, présidée alors par Aimé Henri Konan Bédié, pour déporter la capitale d’Abidjan à Yamoussoukro. Sa seule volonté a suffi pour entretenir le rêve ! Comme Gbadolite chez Mobutu Sesse Seko en République démocratique du Congo (RDC), la fortune personnelle de Houphouët et le budget national se sont confondus pour sortir de terre tout ce qui est digne “d’une capitale politique d’un pays et de terre natale de président”. Les boulevards et les constructions de bien des capitales africaines ressemblent à des pistes et à des taudis par rapport à ce que l’on voit à Yamoussoukro tant la démesure des infrastructures routières et immobilières reste prononcée. La ville a bénéficié des projets les plus extravagants : une mairie en marbre, une Fondation Félix Houphouët Boigny pour la paix, un aéroport international, un palais présidentiel à hauteur d’un “doyen des chefs d’Etat africains”…

Sans compter les nombreuses écoles supérieures (Ecole nationale des sciences agronomiques, Ecole nationale supérieure des travaux publics, Institut polytechnique Félix Houphouët-Boigny…) dont l’architecture surprend Africains et Occidentaux, à travers leur conception futuriste. Le “Bélier” (synonyme de Houphouët en langue nationale baoulé) n’a pas lésiné sur les moyens.
Et en pleine crise économique dans les années 1990, une autre merveille naît de son imagination, “en guise d’un cadeau de lui et de sa sœur ainée Mamie Faitai à la Vierge Marie” : la Basilique Notre-Dame de la Paix.
La plus haute du monde avec 158 mètres, elle est bâtie sur 120 hectares et peut accueillir dans sa chapelle dix huit mille personnes dont sept mille assises. Ses vitraux d’une décoration exceptionnelle et son imposante coupole témoignent toujours de la “folie” avec laquelle le fondateur du Rassemblement démocratique africain (RDA) a construit chez lui. “La Basilique de Yamoussoukro est la huitième merveille du monde”, aiment à répéter des Ivoiriens.

La terre natale du “père de la Nation” est une cité scientifique et administrative. L’électricité abonde jusque dans les maisons bien construites mais inhabitées. Le “goudron” est quasi-présent sur les larges rues, avenues et boulevards.
Les infrastructures se révèlent bien au-delà des besoins d’une population estimée à l’époque à peine à cent mille habitants. Elles ont longtemps permis à la ville d’être présentée comme l’une des plus modernes de la sous-région. En plus des établissements professionnels, secondaires et universitaires, elle abrite de nombreuses directions régionales et des hôtels haut de gamme dont l’un, cinq étoiles et du haut de ses douze étages s’appelle péremptoirement “Le Président”. Par la volonté du digne fils du pays, la cité des Akouè a obtenu son indépendance vis-à-vis de sa voisine, Bouaké, deuxième ville du pays dont elle a été l’une des simples sous-préfectures.
Entre fierté et révolte, la majorité des Ivoiriens ont longtemps cité en plus de leur “Manhattan” du Plateau à Abidjan, la ville de Yamoussoukro comme une longueur d’avance de leur pays sur bien des capitales de pays voisins. Censée se substituer à Abidjan pour abriter toutes les structures de l’Etat, cette ville a toujours été objet de contemplation sans en avoir les attributs jusqu’à la disparition de son “Bon Samaritain”.

Réalisme d’un éternel opposant

Le prestige de Yamoussoukro s’est estompé avec le décès de Houphouët-Boigny, le 7 décembre 1993, après trente-trois ans de pouvoir. Les obsèques du “père de la Nation” restent l’une des dernières plus grandes mobilisations populaires nationales dans la localité. Henri Konan Bédié et Robert Guéi y ont effectué un petit détour pour recevoir des hôtes de marque sans aucunément se soucier de son devenir dans leurs programmes de développement. Ils lui ont tourné le dos, préférant se consacrer à leur propre localité d’origine et abandonnant du coup, la continuité des chantiers.

Le président Bédié a choisi de fabriquer un autre Yamoussoukro chez lui, à Daoukro. D’autres projets similaires voire concurrents tels le Grand-Hôtel, l’autoroute Daoukro-Bouaké naissent aux frais de la princesse. Laissant craindre la probabilité d’un autre transfert de la capitale politique. Leur exécution est brutalement interrompue avec le coup d’Etat du 24 décembre 1999 qui porte le général Robert Guéi au pouvoir. Aucun des successeurs immédiats du “Vieux”, sortis pourtant de son moule, n’a perçu la nécessité de forger l’image d’une capitale politique à 240 kilomètres au Nord d’Abidjan et y transférer les sièges des différents pouvoirs. “Le président Bédié a choisi de s’occuper de chez lui en ne nommant ici qu’un ministre-résident qui disposait de très peu de moyens pour entreprendre quoi que ce soit”, se souvient un professeur de mathématiques au Lycée scientifique de Yamoussoukro. Voilà une autre facette du gaspillage des ressources de l’Etat. Ces attitudes de chefs d’Etat à vouloir tout transférer chez eux posent avec acuité la question de la survie de leurs œuvres et de leurs désirs financés par l’argent du contribuable : transformation radicale de leur terre natale en capitale ou en ville très moderne, constructions extravagantes…

Le cas du palais du président Maurice Yaméogo à Koudougou en est une parfaite illustration. L’absence d’unanimité pour engager des fonds publics dans l’entretien de la capitale politique a plongé Yamoussoukro dans une profonde léthargie. Et comble de paradoxe, le salut est venu d’où on l’a pensé le moins, de l’opposant éternel au “Vieux” : Laurent Koudou Gbagbo, actuel président de la République. Aussitôt arrivé au pouvoir en décembre 2000, l’enfant de Mama s’est attelé à conférer à la cité des lacs, sa place et son rôle dans le pays afin de rendre utiles les fonds publics qu’elle a déjà engloutis. “Je me suis toujours opposé à l’idée du président Houphouët d’ériger son village natal en capitale politique. Mais comme c’est déjà consommé, il faut courageusement s’engager dans la voie des réalisations déjà entreprises pour rendre le village utile afin d’éviter un gaspillage sans précédent des ressources de l’Etat”, a-t-il expliqué. La réhabilitation s’effectue progressivement avec la réalisation d’un certain nombre d’ouvrages nécessaires aux transferts des différents pouvoirs. L’Hôtel des Parlementaires d’une capacité de trois cents chambres déjà fonctionnel impressionne par sa forme du navire britannique, “Le Titanic”. Les chantiers de l’Assemblée nationale, du Sénat et du Palais présidentiel, prévus pour être achevés bientôt, forcent l’admiration.

“Aucune personne sincère ne peut ici taxer l’action de Laurent Gbagbo de démagogique. Il faut être sincère et reconnaître que c’est du réalisme politique. Sinon, comment comprendre le fait que Bédié qui est Baoulé comme nous, de surcroît l’homme à qui Houphouët a tout donné, ait abandonné le village natal de son mentor, alors que Gbagbo bien qu’opposant et d’une autre ethnie, accepte y investir autant pour le réhabiliter pendant que son village n’est qu’à environ 200 km d’ici ? Ne me dites surtout pas que c’est pour obtenir des voix parce que Yamoussoukro et sa région ne sont pas les plus peuplés de la Côte d’Ivoire. Gbagbo s’est tout simplement rendu compte d’une évidence pour l’avenir de la localité et du pays. Ce dépassement de soi manque à de nombreux chefs d’Etat africains”, soutient Loukou Kra, un fonctionnaire originaire de Yamoussoukro. Le président Gbagbo n’hésite pas à inviter ses hôtes sur les chantiers à lui. Un diaporama d’une quinzaine de minutes reprend, étape par étape, “les travaux d’Hercule” initiés pour “ressusciter” la terre natale du “père de la Nation”.

Ils sont essentiellement financés et exécutés à coup de plusieurs dizaines de milliards F CFA par la République populaire de Chine. Outre l’édification des universités, des ambassades et autres grandes surfaces commerciales expriment cette audace politique.
Cette belle physionomie des nouvelles infrastructures vient renforcer les constructions déjà existantes et donner à la capitale politique son charme d’antan. Car après la réhabilitation, un autre volet dit “rénovation et restauration” vise à la débarrasser de la vétusté et de la dégradation des ouvrages routiers et immobiliers. Une telle mue couplée à la présence effective de toutes les institutions de l’Etat, va apporter une certaine effervescence entamée par la fin de la crise.
La reprise et l’intensification du trafic apparaissent comme une lueur d’espoir pour les habitants. Des lendemains meilleurs pour une “belle vieille”, oubliée et abandonnée, dont le réveil pourrait sonner sous le régime de Laurent Koudou Gbagbo.

Jolivet Emmaüs (joliv_et@yahoo.fr) De retour de Yamoussoukro

Sidwaya

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