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“Kut yaaré” : Le marché du fer se rouille

Publié le mercredi 16 septembre 2009 à 04h06min

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En 2003, les plaintes itératives des populations riveraines des rails du secteur 10 de Ouagadougou pour l’encombrement et tout ce qui s’en suit par les barres de fer et autres carcasses de véhicules fait naître, au sein du conseil municipal de la capitale, le projet de leur déguerpissement. Un site polémique leur fut trouvé à Bassinko (village de l’arrondissement de Sig-Noghin) sur la route de Ouahigouya. 6 ans après, c’est un « kut yaaré », entendez marché du fer fantôme, que nous avons retrouvé il y a quelques semaines de cela quand nous avons entrepris de faire le présent reportage.

A l’évidence, l’initiative du maire de Ouagadougou n’a pas pris ; en tout cas, pas pour le moment. Les travailleurs du fer ne semblent pas vraiment avoir adhéré à ce projet futuriste pour les uns, irréaliste pour les autres ? Et comme dans un jeu de ping-pong, les différents acteurs de la trouvaille d’alors de Simon Compaoré se rejettent la balle de la responsabilité de sa lenteur.

Une aire verdoyante à perte de vue sur ses 140 hectares, parsemée de maisonnettes sans toitures et des tas de ferrailles ici et là ; des paysans avec femmes et enfants labourant paisiblement leurs champs de gombo, d’arachides, de mil pour les uns ou de bien d’autres céréales pour les autres. Perchés sur un arbre, des enfants font paître leur troupeau de moutons ; non loin des cités relais, le seul « occupant réel » (nous y reviendrons plus loin) menant ses activités avec quelques ouvriers.

Voilà le constat qui peut être fait du projet d’aménagement de la Zone d’activités du fer (ZAFER) de Bassinko, communément appelé marché du fer ou kout yaaré (en langue nationale mooré), mis en œuvre par la commune de Ouagadougou depuis 2003. Un projet qui, visiblement, a du mal à trouver ses marques. 2003-2009, c’est déjà 6 années d’écoulées et même le plus convaincu des optimistes devrait avoir de bonnes raisons de s’inquiéter de son aboutissement. Flash-back sur un projet initié sur fond de dissensions.

En août 2003, les riverains des rails au secteur 10 de Ouagadougou se plaignent de ces barres de fer, de ces morceaux de ferraille, de ces carcasses de voitures, de camions et d’engins lourds qui obstruent les voies, jonchent leur quartier, le rendant insalubres et blessant les habitants. Ils prennent alors langue avec le maire de Ouagadougou, Simon Compaoré, qui leur promet de trouver une solution à leur problème. Début août, le vibrionnant bourgmestre de la capitale pose la première brique du désormais “Kout yaaré”, qui devait être en même temps un site de regroupement des garagistes, des vendeurs de véhicules, des soudeurs, des mécaniciens qui occupent la voie publique et de ceux qui ne sont pas en règle vis-à-vis des textes communaux.

Aussitôt, l’Association des garagistes du Kadiogo (AGK) se démarque de cette initiative et refuse tout déguerpissement pour avoir été ignorée bien qu’étant, jusqu’à ce moment précis, la seule structure légalement reconnue travaillant en étroite collaboration avec la mairie. Une véritable guerre de clans se déclenche entre l’AGK et la toute jeune Association professionnelle des garagistes, casse-auto-vendeurs de pièces détachées de Ouagadougou (l’APGCA-VPO), qui semble avoir été créée fort opportunément.

Le 25 août, la mairie organise une réunion, à laquelle “tout le monde a participé”. Le communiqué final précise que le site est destiné aux garagistes, aux ferrailleurs et aux vendeurs de véhicules d’occasion. Etaient donc concernés par le nouveau site : ceux qui mènent leurs activités sur la voie publique ; ceux qui utilisent des parcelles à usage d’habitation comme garage sans avoir au préalable changé leurs papiers et auxquels un délai de deux mois sera donné pour se mettre en règle.
« Nous avons voulu voir clair dedans »

Comme à son début, les objectifs du site n’ont jamais fait l’unanimité de ses principaux acteurs. Pour le directeur de la zone d’activités au fer (ZAFER), Martin Marie Gustave Ouédraogo, « l’idée qui a germé prioritairement pour que le site soit créé, c’est que tous ces gens-là évoluent dans le secteur informel et nous avons voulu travailler à ce qu’à long terme ils intègrent le secteur formel ». Le second souci, dit-il, est que le regroupement permettra de donner une vitalité à leurs différentes activités, du fait de la proximité, qui crée des avantages que les gens n’arrivent pas à évaluer en termes pratiques. Il contribuera donc à leur alléger la tâche ainsi qu’aux clients, du moment où on pourra tout trouver sur place. Etant donné que les professionnels de ce secteur ne réunissent pas les conditions idoines pour exercer leurs activités, le site est donc la solution idéale, selon lui, pour qu’ils libèrent la voie publique et ne troublent pas la quiétude de leurs voisins.

« Quoiqu’on dise, ils exercent dans des parcelles côtoyant des habitations », a-t-il poursuivi avant d’ajouter : « Comme les gens l’avait compris, nous n’avons pas, à l’époque, voulu les chasser de la ville ». En outre, un espace est désigné pour le parc automobile de l’Etat. Pour ses concepteurs, la ZAFER est un projet futuriste minutieusement aménagé où, au-delà des travailleurs du fer, il y aura la police, la gendarmerie, la douane et les sapeurs-pompiers. En plus, le CCVA, l’administration du marché, des lieux de culte, des restaurants, une station d’essence et des lieux de stationnement y sont prévus.

Qu’à cela ne tienne, les garagistes sont pour le moins réservés. Ousseni Jacques Ouédraogo, 1er vice-président de l’AGK : « Nous ne nous sommes pas opposés au projet, mais nous avons voulu d’abord y voir clair. Ce n’était même pas un projet. On a été appelé un matin pour s’entendre dire que le maire a trouvé un terrain à Bassinko et qu’on devait s’inscrire et s’y installer. On ne pouvait pas nous envoyer comme ça à l’abattoir ».

De son côté, Moda Mamadou Diop, secrétaire à la formation professionnelle de l’AGK et SG de la Fédération nationale des artisans du Burkina Faso (FENABF), trouve que la lutte qu’ils ont menée pour se faire comprendre a été vaine, car, précise-t-il, « c’est parce qu’on ne pouvait pas faire autrement que nous avons accepté ». A l’entendre, la mairie, après maintes rencontres a fini par leur faire avaler le morceau.
« Plus de 60% de nos membres n’ont pas eu de parcelle »

Une décision finale considérée comme un consensus entre les travailleurs du fer eux-mêmes et bien entendu la municipalité. S’en est suivi tout un processus de collecte des dossiers et d’attribution des parcelles. Pour Martin Marie Gustave Ouédraogo, « lorsque nous avons eu l’adhésion de toutes les associations, nous avons mis en place un comité chargé de recevoir et de centraliser les dossiers à raison de 10 000 FCFA le dossier. Comme il s’agissait d’un projet social le m2 coûtait 100 FCFA et les superficies allaient de 100 à 1500 m2. Ensuite, une commission d’attribution a été mise en place dans laquelle toutes les parties prenantes étaient représentées avec la liste de leurs membres à jour ».

Elle aurait ainsi été composée des différentes administrations et associations des travailleurs du fer y compris les services de la sécurité dont la police, la gendarmerie, les sapeurs-pompiers, la douane, les directions de l’ONATEL, de l’ONEA et de la SONABEL. Un travail d’équipe après lequel 1512 parcelles de 100 à 1500m ont été dégagées sur les 140 hectares de la zone. « Et à l’heure où je vous parle, ajoute M. Ouédraogo, il n’y a pas un seul qui peut dire qu’il a payé les indemnités de lotissement et le prix de sa superficie et qu’il n’a pas eu sa parcelle. Il y en a d’autres qui n’ont pas répondu, mais leurs attributions sont là ».

Mais pour le 1er vice-président de l’AGK, qui a obtenu une parcelle de 1000 m2, payer 50 000 à 150 000 FCFA en une tranche n’est pas du tout aisé pour un garagiste de ce pays : « Nous avons plus de 60% de nos membres actifs qui ont déposé et qui n’ont pas eu de lopins parce que les délais ne leur permettaient pas de payer les frais des superficies demandées. Et comme nous payions par catégorie professionnelle, à notre tour (les garagistes), nos membres n’ont pu payer ». Pourtant, le directeur de la ZAFER est ferme sur la question : « Il n’y a plus de la place sur le site ».
« Je suis presque seul ici depuis 2007 »

Les parcelles ont donc été attribuées depuis 2005, mais, quatre années plus tard, le constat sur le terrain est plus qu’alarmant. Tout juste dénombre-t-on quelques maisonnettes dans les différentes parcelles comme celles du parc automobile de l’Etat. Sur place, El hadj Abdul Rahman Kaboré, aidé de 4 ouvriers, est en pleine activité : « Depuis le 4 mai 2007, j’ai déménagé ici. Je fais de la casse du fer, et les gens viennent en acheter pour leurs différents travaux comme les patrons de véhicules, les soudeurs. Je suis presque seul ici », nous a-t-il confié. Jouissant pleinement de l’espace dont il dispose, en tirer tout le profit a été son premier réflexe. « Comme il y a assez d’espace, je cultive, j’élève de la volaille, des ruminants en attendant que les autres occupants viennent. Je suis presque seul, mais, grâce à Dieu, je ne me plains pas », lâche-t-il. « Dès qu’ils vont arriver, je vais arrêter mon élevage » s’empresse-t-il d’ajouter. De l’autre côté, de la ferraille, un ancien bulldozer, des planches et bien d’autres matériels sont entassés pêle-mêle.

Adama Zongo en assure le gardiennage. « Mon patron s’appelle Idrissa Bandaogo. Nous sommes trois à assurer la surveillance du matériel. Un garde la journée et les deux autres la nuit. Souvent, on vient déposer le matériel et on revient le ramasser. Mais ça fait un bout de temps que personne n’est venu », nous confie-t-il. Sur les lieux, un immeuble est en construction. Un peu plus loin, Adama Zongo indique une parcelle qui appartiendrait à un Libanais, lequel l’a déjà mise en valeur. Quant à la question de savoir quand viendront ses voisins, « notre vigile » n’en sait fichtrement rien.
« Si le projet était réaliste, il aurait été maintenant réalisé »

A entendre les premiers concernés par la délocalisation, la viabilisation de la zone constitue le nœud gordien du problème. Pour le président de l’APGCA-VPO, Idrissa Bandaogo, les attributions ont été faites en même temps que la crise économique. Les travailleurs du fer subissant aussi cette crise, « le prix du matériel comme le fer et le ciment a augmenté et fait qu’aujourd’hui les moyens que nous investissons sur place sont insuffisants ». Pour sa part, Moda Mamadou Diop pense que le problème se situe à un autre niveau : « Si vous vous installez sur le site, il n’y a pas d’eau, pas de courant ni de téléphone. Comment votre garage, ou votre atelier de soudure, va-t-il fonctionner ? ». La lenteur à s’y installer serait donc imputable à l’ONEA et à la SONABEL, qui tardent à apporter leurs précieux jus sur le site. Quant à la mairie, qui dirige les travaux, les choses semblent encore plus compliquées, car, affirme Martin Ouédraogo, chacun doit, selon le cahier de charges, investir sur son site.

Parce qu’elle a dit que chacun doit investir sur sa parcelle, les garagistes pensent que la mairie fuit ses responsabilités, ou du moins refuse de les prendre. « A l’une des rencontres avec le maire, il nous a dit qu’il a pensé à nous parce qu’il y a des gens qui n’arrivent pas à payer 25 000 FCFA de location mensuelle et que, par moments, ils sont chassés de leurs ateliers ou de leurs garages. Il disait donc qu’il tenait à ce que chacun ait son terrain. Alors, si quelqu’un ne peut pas payer 25 000 FCFA de location, c’est qu’il est difficile pour lui d’investir sur un terrain », lance le 1er président de l’AGK. La commune, elle aussi, se retourne vers les nationales d’eau et d’électricité : « On est allé avec les techniciens de l’ONEA et de la SONABEL pour qu’ils vérifient le site. Ils disent qu’ils ne peuvent pas immobiliser leurs fonds dans un projet qui ne va pas fonctionner tout de suite.

Pour eux, il faut qu’il y ait les réalisations et que le besoin se fasse sentir avant qu’ils ne viennent », dit-il. Pourtant, la SONABEL décline toute responsabilité dans le fait que le projet traîne les pieds. Pour la nationale d’électricité, comme tout client, quand la mairie a besoin d’électricité, elle doit faire les démarches nécessaires, qui passent par l’introduction d’une demande.

Ce qu’elle aurait d’ailleurs fait. Après quoi, la SONABEL aurait fait un devis, qu’elle a adressé à la mairie, mais depuis, plus de réponse. Quand nous bouclions ce dossier, nous n’avions pas encore eu d’information avec l’ONEA malgré nos déplacements et appels incessants dans ce sens. Mais, quelque part, la commune reconnaît qu’elle est dans des difficultés financières parce qu’elle a d’autres projets à gérer. « On va y aller selon nos moyens parce que c’est une question d’argent.

Quand vous voulez faire des voies principales et des voies secondaires et que vous savez que la location d’un caterpilar vous fait 150 000 par jour, si vous faites la sommation, ça fait pratiquement 300 à 400 millions alors que nous n’avons encaissé que 46 millions de contribution au lotissement », disent les services de Simon. Même si elle doit compter sur ses propres moyens, des partenariats avec d’autres villes et des institutions qui peuvent l’accompagner dans la viabilisation totale de cette zone ne sont pas exclus, même qu’ils sont en projet.
La « vraie » cause de la lenteur

Certes, on ne saurait exclure le problème du financement et de la viabilisation des causes qu’accuse que prend ce projet pour prendre forme, mais on ne devrait pas non plus négliger d’autres raisons, autrement plus pratiques :

« Ce n’est pas pour les garagistes que le marché doit être fait, mais pour la casse, la soudure et tout ce que vous voulez. Ceux qui transforment le fer peuvent y aller transformer leurs fers et les ramener en ville. Par contre, imagine que tu tombes en panne en ville ; comment vas-tu amener ton véhicule à Bassinko ? », demande Jacques Ouédraogo avant d’ajouter qu’ils avaient demandé de les fixer aux 4 sorties de la ville ou encore dans chaque arrondissement, mais qu’on leur aurait dit qu’il n’y avait pas de place. Moda Mamadou Diop embouche la même trompette :

« La mécanique auto, le garage, c’est comme la pharmacie ou la boutique du quartier. C’est un établissement de proximité. Mettez toutes les pharmacies, les bars à la porte de la ville et on verra ». Un projet du genre, il en a vu à Accra. Mais, a-t-il précisé, c’est la caisse de sécurité sociale qui l’a financé, viabilisé, construit et mis en location. “Les réalités et les moyens ne sont pas les mêmes”, assène-t-il.

Pour les uns et les autres, le site serait également une aubaine pour mieux se connaître, se spécialiser et être beaucoup plus opérationnels et efficaces dans des domaines, organes et marques bien précis.

En tout cas, malgré ce retard à l’allumage, qui fait que le marché du fer semble se rouiller, Martin Marie Gustave Ouédraogo est convaincu de l’avenir de cet projet futuriste, même s’il finit par reconnaître que, pour l’instant, « on ne peut pas dire aux garagistes de fermer et d’aller sur le site parce que les conditions ne sont pas réunies pour eux ».

J-M. T. (collaborateur)

L’Observateur Paalga

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